Haïti : sauver l’avenir de 3 millions d’enfants

New York, le 22 avril 2024 – « Excellences, bonjour. C’est un plaisir d’être aujourd’hui parmi vous.

Je remercie l’ambassadeur Frazier d’avoir organisé cet échange pendant la présidence maltaise du Conseil de Sécurité et de m’avoir invitée à vous informer de l’aggravation de la situation humanitaire en Haïti.

Aujourd’hui, je m’exprime à la fois en tant que directrice générale de l’UNICEF et en tant que Défenseure principale pour Haïti au sein du Comité permanent interorganisations.

Excellences, la situation en Haïti est catastrophique et s’aggrave de jour en jour.

Cinq millions et demi de personnes, dont trois millions d’enfants – soit deux enfants sur trois dans le pays – ont besoin d’une aide humanitaire. Dans de nombreuses régions, les services publics essentiels se sont effondrés et la population n’a plus accès à la nourriture et à l’eau potable. Dans certaines communautés, les conditions de vie sont plus dangereuses qu’elles ne l’ont jamais été.

La crise en Haïti est avant tout une crise en matière de protection. Des années de troubles politiques et des conditions économiques dévastatrices ont conduit à la prolifération de groupes armés. Aujourd’hui, on estime que 2,7 millions de personnes, dont 1,6 million de femmes et d’enfants, vivent dans des zones sous leur contrôle effectif. Lors de ma dernière visite sur place, j’ai pu constater de visu à quel point la violence et la peur déchirent le tissu même qui unit les familles et les communautés.

Chaque jour, des enfants sont blessés ou tués. Certains sont recrutés ou rejoignent des groupes armés par pur désespoir. Des données récentes de l’UNICEF indiquent que 30 à 50 % des groupes armés en Haïti comptent actuellement des enfants dans leurs rangs.

Les femmes et les jeunes filles continuent d’être la cible de violences sexuelles et sexistes d’une extrême gravité. L’année dernière, des milliers de cas de violence sexuelle ont été signalés, dont beaucoup ont été perpétrés contre des enfants. Le nombre réel de cas est probablement bien plus élevé encore.

Avec de multiples violations graves commises régulièrement à l’encontre des enfants chaque jour, Haïti a la tragique particularité d’avoir été retiré puis réintroduit à l’ordre du jour de ce Conseil sur les enfants dans les conflits armés.

Jusqu’à présent, en 2024, la violence s’est poursuivie et s’est même intensifiée. Depuis le début de l’année, plus de 2 500 personnes ont été tuées, blessées ou enlevées… et l’ONU a vérifié plus de 400 violations graves des droits des enfants. Dans le même temps, des familles continuent d’être déplacées par la violence. En effet, nous estimons que plus de 180 000 enfants sont aujourd’hui déplacés à l’intérieur du pays.

Les groupes armés ont également bloqué les principales voies de transport entre Port-au-Prince et le reste du pays, détruisant les moyens de subsistance et limitant l’accès aux services publics. Et à mesure que ces groupes armés gagnent du terrain, les quartiers érigent des barricades et mettent en place des équipes d’autodéfense pour tenter de lutter contre la violence. En conséquence, des centaines de milliers d’enfants et leurs familles vivant dans des communautés assiégées sont largement coupés de l’aide humanitaire et d’un accès aux services de base.

Cette combinaison de facteurs potentiellement mortels a provoqué une aggravation de la crise alimentaire et nutritionnelle, en particulier pour les enfants.
Les résultats récents de l’analyse IPC indiquent une augmentation alarmante de 19 % du nombre d’enfants qui devraient souffrir de malnutrition aiguë sévère en Haïti cette année. L’analyse a également montré que 1,64 million de personnes sont confrontées à des degrés élevés d’insécurité alimentaire aiguë, ce qui accroît le risque d’émaciation et de malnutrition chez les enfants.

Parallèlement, l’insécurité à Port-au-Prince a rendu pratiquement impossible l’accès aux fournitures sanitaires et nutritionnelles pour au moins 58 000 enfants souffrant d’émaciation sévère dans la zone métropolitaine. La route de Martissant, le seul couloir humanitaire entre Port-au-Prince et les régions du sud, reste bloquée, exposant environ 15 000 enfants souffrant de malnutrition à un risque accru de décès.

Pour ne rien arranger, le choléra a refait son apparition, avec plus de 80 000 cas reportés à ce jour, plongeant encore un peu plus le pays dans la crise et l’incertitude.

La violence compromet également le travail des acteurs humanitaires sur le terrain. Notre accès au port de Port-au-Prince a été empêché par les groupes armés qui opèrent dans la région, bloquant ainsi près de 300 conteneurs chargés de fournitures humanitaires vitales. Cela inclut 17 conteneurs de l’UNICEF contenant des suppléments nutritionnels, ainsi que des fournitures néonatales, maternelles et médicales. Port-au-Prince est aujourd’hui presque entièrement bouclé en raison des barrages aériens, maritimes et terrestres.

Malgré les risques et la complexité opérationnelle, nos organisations et nos partenaires continuent de fournir des services vitaux aux enfants et aux familles les plus vulnérables. Ensemble, nous faisons tout notre possible pour offrir des services de nutrition et de santé, répondre à l’épidémie de choléra et soutenir les équipes mobiles de protection de l’enfance.

Les partenaires humanitaires mettent actuellement en place une plateforme logistique à Cap-Haïtien, où un aéroport international secondaire et un port restent opérationnels. Nous avons également ouvert de nouvelles lignes d’approvisionnement en dehors de Port-au-Prince pour assurer la livraison du fret humanitaire.

Excellences, nous tenons nos promesses pour le peuple haïtien et nous nous engageons à rester sur le terrain pour répondre aux besoins humanitaires croissants. Mais nous avons besoin de plus de soutien. Le plan de réponse aux besoins humanitaires pour 2024, qui nécessite 674 millions de dollars pour atteindre 3,6 millions de personnes, n’est financé qu’à hauteur de 8 %.

Une augmentation des financements flexibles de la part des donateurs et des États Membres est nécessaire de toute urgence pour répondre aux besoins humanitaires. Cela nous permettrait de fournir une aide vitale tout en œuvrant en faveur du développement à long terme et du renforcement de la résilience.

Chers membres du Conseil, prenant acte des efforts déployés par ce Conseil pour rétablir la paix et la sécurité en Haïti, nous vous demandons aujourd’hui de faire usage de votre influence auprès des acteurs étatiques et des groupes armés pour protéger les droits humains et permettre au peuple haïtien de retrouver la sécurité.

Dans le cadre de vos efforts pour remédier à la crise, nous vous prions respectueusement de bien vouloir rappeler aux parties concernées leur obligation d’agir conformément au droit, aux normes et aux principes internationaux et d’accorder la priorité à la protection des personnes dans le besoin.

Toujours dans le cadre de ces efforts, nous vous demandons de faire tout ce qui est en votre pouvoir pour faciliter une action humanitaire impartiale et indépendante en Haïti. Nous sommes fermement convaincus que nous ne pourrons atteindre toutes les personnes dans le besoin à travers le pays que par un dialogue humanitaire soutenu avec tous les acteurs armés. Il est impératif que la réponse humanitaire soit perçue comme étant indépendante des objectifs politiques et sécuritaires. 

Dans la mesure où la Mission multinationale de soutien à la sécurité en Haïti est susceptible d’être déployée dans des environnements urbains densément peuplés, la question de la sécurité de la population civile est primordiale. Aussi le recours à la force au sein et aux alentours des zones peuplées doit-il être évité, et la Mission devra avoir uniquement recours aux moyens nécessaires et proportionnés les moins préjudiciables possibles dans le cadre de son objectif légitime de maintien de l’ordre.

En outre, dans le cadre de la prévention de l’exploitation et des atteintes sexuelles, le personnel de la Mission devra être dûment formé à cette thématique en amont de son déploiement ainsi que sur le terrain. Les pays fournissant du personnel de police devront prendre toutes les mesures nécessaires pour mener des enquêtes aussi rapidement que possible en cas d’allégation et pour que les auteurs d’exploitation et d’atteintes sexuelles aient à rendre compte de leurs actes. Il conviendra par ailleurs que tous les enfants associés à des groupes armés et identifiés par les forces de sécurité soient traités avant tout comme des victimes et confiés en toute sécurité aux acteurs de la protection de l’enfance.

La communauté internationale devra également travailler activement avec les partenaires haïtiens, notamment avec la société civile, les parties prenantes locales et les dirigeants communautaires.

Une telle démarche permettra de renforcer la capacité des organisations et des institutions haïtiennes, de protéger les droits humains et de déployer une réponse humanitaire plus efficace qui prenne en compte le contexte local et le vécu du peuple haïtien.

Chers membres du Conseil, il est grand temps de passer à l’action. Une intensification immédiate de l’aide régionale et internationale en Haïti est indispensable, faute de quoi la situation pourrait devenir irrémédiable. Cependant, même si toutes les mesures nécessaires étaient prises pour endiguer cette crise, celle-ci ne saurait être résolue rapidement. En effet, si nous devons fournir à Haïti un soutien politique et financier global aujourd’hui et à long terme, nous devons également travailler de concert avec le peuple haïtien pour l’accompagner dans la mise en place des solutions innovantes dont il a besoin pour concrétiser sa vision d’une société pacifique et prospère.

Je vous remercie pour votre attention ».

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