La carte d’identité est un document essentiel pour prouver son identité et sa nationalité dans une variété de situations officielles et quotidiennes.
Elle est émise par le gouvernement et contient des informations personnelles importantes sur son titulaire.
La carte d’identité est parfois requise pour des transactions telles que l’ouverture d’un compte bancaire, la réservation de billets de voyage, l’accès à des services publics, et bien d’autres.
Elle est donc une pièce indispensable pour l’épanouissement d’un citoyen dans son pays.
Sauf qu’en République démocratique du Congo (RDC), les populations n’ont pas eu droit à ce précieux sésame pendant près de 40 ans.
Pendant près de quatre décennies, les populations congolaises étaient identifiées soit par leur carte d’électeur, leur permis de conduire, leur carte professionnelle ou encore une carte scolaire ou académique pour les élèves et étudiants.
Crises sécuritaires et conflits armés
En RDC, l’identification de la population a toujours été liée au recensement.
Pourtant, ces deux processus sont distincts selon les experts. L’identification vise à fournir des documents ou des preuves officielles d’identité à des individus alors que le recensement vise à recueillir des données démographiques et socio-économiques sur une population donnée.
Bien que ces processus soient différents, ils peuvent cependant être complémentaires et se chevaucher dans la mesure où les informations recueillies lors d’un recensement peuvent également être utilisées pour identifier les individus et émettre des documents d’identification.
Selon Moussa Musavuli Mbutho, expert en état civil et gestion d’identité, « la RDC est l’un des rares pays au monde à ne pas être en mesure de connaître sa population, tant au niveau individuel qu’au niveau des agrégats statistiques, en dehors des estimations approximatives ».
Le dernier recensement général de la population en RDC date de 1984.
C’est ce qui justifie, selon Christian Moléka, politologue et analyste politique, la non délivrance des cartes d’identités.
En effet, comme dans beaucoup de pays, le recensement devrait se faire chaque dix ans. Cependant, les multiples périodes d’instabilité politique en 1990 avec les conférences nationales souveraines, la guerre de 1996, et les conditions sécuritaires et politiques n’ont pas permis de faire le travail de recensement.
C’est à partir de 2014 que le débat est revenu sous l’impulsion du président Joseph Kabila. Le ministère du Plan avait alors commencé à planifier le recensement général de la population et de l’habitat.
Cette fois-ci, la question a été « hyper politisée avec la problématique des élections de 2016 », explique Christian Moléka.
A l’époque, plusieurs avaient lié le défis du vaste travail de recensement à « une volonté de repousser les élections de 2016 et de permettre à Joseph Kabila de gagner quelques années de plus ».
Ce n’est qu’après 2018 que cette question de recensement est revenue sur la table.
« Là encore, il y a eu des questions non plus d’instabilité politique, mais une problématique de gouvernance » : les ministères de l’Intérieur, du Plan et le ministère du Numérique revendiquaient chacun le droit de mettre en place le processus de recensement.
Finalement, après des temps d’arbitrage, c’est à l’Office national d’identification de la population, qui avait été créé en 2011, qu’a été confié la constitution du fichier général de la population.
Cet organe technique du Ministère de l’Intérieur a désormais pour missions, outre l’identification de la population congolaise, la délivrance de la Carte d’Identité Nationale (CIN).
Des impacts à divers niveaux
Les spécialistes s’accordent sur les conséquences engendrées par l’absence des données individuelles ou globales de la population en RDC.
Ne pas être en mesure de prouver son identité dans son propre pays a des conséquences négatives pour les titulaires de droits comme pour les détenteurs d’obligations. En effet, « la capacité de prouver son identité est la base de la participation à la vie sociale, politique et économique moderne », explique Moussa Musavuli Mbutho. Malheureusement, plusieurs Congolais sont encore privés de ces droits civiques.
Christian Moléka renchérit en précisant que lorsqu’un « Etat n’a pas de données statistiques sur sa population, toutes les politiques qu’il va mettre en place ne correspondront pas réellement à sa démographie, alors il sera dans des supputations et des approximations ».
Sans une identification fiable et généralisée, il est donc difficile pour les autorités de mettre en œuvre efficacement des politiques publiques, de fournir des services sociaux de base et de garantir les droits des citoyens.
Ces problèmes peuvent également entraver le fonctionnement de l’économie, car une identification fiable est souvent nécessaire pour accéder à des services financiers, pour l’emploi et pour d’autres transactions commerciales.
Sur le plan politique, les récurrentes contestations du fichier électoral, à l’approche des élections, sont une résultante de l’absence d’une base de données fiables de la population, selon les experts.
Relance de l’identification
Dès son accession à la magistrature suprême, en 2019, le président congolais Félix Tshisekedi a fait de « l’identification biométrique de tous les citoyens », l’une de ses priorités.
Felix Tshisekedi annonçait alors une campagne «d’identification biométrique » en vue de doter le pays d’un registre national de la population.
Le décret numéro 22/09 du 02 mars 2022, de l’ancien Premier ministre Sama Lukonde, portant sur l’organisation des activités opérationnelles dans le cadre de l’identification de la population et du recensement général de la population et de l’habitat, viendra concrétiser cette volonté du président Tshisekedi.
C’est finalement le vendredi 30 juin 2023 que le premier modèle de la nouvelle carte d’identité nationale délivrée par l’ONIP a été octroyé au président Félix Tshisekedi en tant que « Premier citoyen de la République ».
Bien évidemment, la cérémonie était solennelle car la RDC célébrait ce 30 juin 2023 les 63 ans de son indépendance.
Près d’un an plus tard, l’Onip est passé à la vitesse supérieure en procédant le vendredi 26 avril 2024 à la reprise effective de l’opération d’octroi de la carte d’identité.
» Nous avons repris après avoir marqué une pause lors des élections de décembre 2023, laissant aussi le temps d’importer les matériels afin que nous puissions faire ce que nous faisons aujourd’hui. C’est la reprise de l’identification de masse », avait alors indiqué Stanislas Kenza, directeur général intérimaire de l’Onip.
Cette opération concerne dans un premier temps les communes pilotes de Bandalungwa, Lingwala, Limete et de la N’sele, et plus tard dans 8 autres communes, avant les 12 restantes.
L’ONIP indique que des bureaux d’identification ont été implantés dans les « maisons communales et quartiers » de la ville-province de Kinshasa pour faciliter les opérations.
En plus, et pour se rapprocher des populations, des « Conteneur/Bureau d’Identification » ont été installés dans les quartiers de Kinshasa.
Cet exercice se poursuivra dans les provinces après la clôture de celle de Kinshasa. Une action pérenne qui aboutira à l’identification complète des congolais selon Stanislas Kenza .
Conditions d’octroi la carte d’identité
La délivrance de la nouvelle carte d’identité est gratuite. Cependant, plusieurs conditions ont été listées par Stanislas Kenza, le directeur général par intérim de l’Onip, pour obtenir la nouvelle carte d’identité. Tout d’abord il faudra justifier de sa nationalité congolaise. Stanislas Kenza souligne également l’importance de présenter une pièce d’identité valide, telles qu’une carte d’électeur, un passeport ou un permis de conduire. Pour ceux qui ne possèdent pas ces documents, ils devront venir avec trois témoins déjà identifiés par l’Onip afin de justifier leur nationalité.
L’ONIP s’appuie également sur le travail de la CENI (Commission électorale nationale indépendante) notamment sa base de données pour continuer l’identification.
En effet, en 2023 lorsqu’elle a commencé à faire son travail d’enrôlement pour les élections, la CENI avait également commencé à prélever des éléments biométriques des populations.
Les caractéristiques de la nouvelle carte d’identité
Selon IDEMIA, l’agence chargé de la production de cette pièce d’identité au standard international, elle est faite de matériaux durables pour résister aux intempéries : la carte aura une durée de dix ans.
Cette carte biométrique possède une puce sans contact qui permet entre autre l’authentification du porteur. La puce, le système d’exploitation et l’applet sont conformes à la norme ICAO (International Civil Aviation Organisation). Une norme a été créée après les attentats du 11 septembre 2001, pour le renforcement de la sûreté mondiale.
Cédric Huet, Directeur Afrique de la firme internationale IDEMIA, précise que cette carte pour citoyen est « sécurisée grâce à la technologie de gravure laser Lasink ». Un portrait couleur y est intégré et un second portrait du détenteur de la carte apparait sous forme « d’image fantôme ». Et pour plus de sécurité, une impression « offset arc-en-ciel » applique un dégradé de couleurs sur toute la largeur de la carte.
Selon les autorités, « c’est une carte d’identité bien sécurisée, fiable, et non falsifiable »
Après enrôlement, chaque citoyen recevra un récépissé et après une période consacrée à la vérification des données identitaires des requérants par les Services de Sécurité, il lui sera délivré sa carte d’identité.
Combien ça coûte ?
A terme, le processus d’identification devra coûter un peu plus d’un milliard de dollars.
En effet, pour la production des cartes d’identités nationales et la gestion du fichier général de la population, un contrat d’une durée de 20 ans a été signé entre l’ONIP et le consortium IDEMIA/AFRITECH pour plus d’un milliard de dollars soit 697 millions de dollars à titre de l’apport de l’Etat congolais, et 503 millions de dollars du consortium.
Le consortium Afritech RDC/IDEMIA investira 697 millions de dollars pour la production de carte et du fichier général de la population, en plus de la construction et l’aménagement de 237 antennes de l’ONIP sur le territoire national et dans les représentations diplomatiques mais aussi une plateforme de vérification de l’identité.
Conformément au contrat, l’état contribue à hauteur de 15% du financement de la partie non-rentable soit 104 millions USD. Les 85% qui représentent un montant de 593 millions USD sont mobilisés par le partenaire (Afritech RDC/IDEMIA ) sous forme de lignes de crédit auprès de partenaires financiers sur une période de remboursement de 5 ans. L’état ne rembourse que la partie non-rentable de l’émission et la remise gratuite des cartes d’identité nationale ainsi que le recensement biométrique de la population, soit un montant de 697 Millions USD.
Le partenaire investira grâce à des lignes de crédit ensuite 503 millions de Dollars soit environ 25 millions de dollars par an pour la construction et l’exploitation des centres d’indentification, l’énergie solaire, les groupes électrogènes, la connectivité permanente au réseau GSM ou la fibre optique ou au satellite, la sécurité informatique et physique des données, les opérations de commercialisation des services d’identité notamment les salaires, la logistique, le marketing et la communication etc.
Pour Christian Moléka, analyste politique, il faut que le gouvernement « s’assume et finance entièrement ce processus pour qu’il ne s’arrête pas et qu’il aille jusqu’au bout ».
Crédit: Lien source
Les commentaires sont fermés.