« Il nous faut une loi contre les violences conjugales » – DW – 09/04/2025

Au Cameroun, une décision de justice dans un cas de féminicide choque l’opinion publique depuis quelques jours.

Il s’agit de la libération d’Éric Békobé, pourtant reconnu coupable de violences conjugales ayant entraîné la mort de Diane Yangwo, son épouse.

Les faits remontent au 18 novembre 2023, Diane Yangwo, enseignante, était âgée de 31 ans.

La décision du juge du tribunal de grande instance du Wouri, à Douala, fait d’Eric Békobé un homme libre depuis une semaine, après avoir passé 16 mois en détention provisoire. L’époux auteur du féminicide de Diane devra payer une amende de 53 000 FCFA.

De nombreuses femmes s’insurgent contre ce verdict. Parmi celles qui ne comprennent pas la remise en liberté d’un homme reconnu coupable du meurtre de sa femme, il y a notamment Bergeline Domou. Défenseuse des droits des femmes, elle est notre invitée et répond aux questions d’Elisabeth Asen, notre correspondante au Cameroun.

Interview de Bergeline Domou

DW : La libération d’Eric Békobé, qui a été reconnu avoir tué son épouse Diane Yangwo, provoque une vague d’indignation au sein de la population camerounaise. Après seulement 16 mois de détention provisoire, il a été libéré et condamné à payer une amende de 53 000 francs CFA. Comment réagissez-vous à cela ? 

BD: Ma réaction, c’est une réaction de colère, d’indignation. Parce que ce verdict nous montre clairement que la vie d’une femme ne vaut rien, ne représente rien pour ceux qui ont rendu cette décision, je ne vais même pas encore parler de la justice. Quand il s’agit de la vie d’une femme, on donne carrément un permis de tuer à tous ceux qui portent atteinte à la vie de ces dernières.

Donc, c’est incroyable, c’est inconcevable. On doit faire quelque chose!

DW: Pensez-vous que cette décision jugée décevante, illustre la manière dont les cas de féminicides sont traités au Cameroun ? 

BD: Vous parlez des traitements des féminicides comme si ces cas étaient traités. Non, pas du tout, pas du tout ! Depuis plus de cinq ans aujourd’hui, le taux est en progression. L’année dernière, nous étions à plus de 76 meurtres de femmes.

Aujourd’hui, en 2025, nous sommes à plus de 16 parmi lesquels 13 ont été assassinées par leur mari. Et s’il y avait des décisions, si les autorités prenaient en compte la vie des femmes, si la justice s’était vraiment arrêtée sur cette situation, ces chiffres ne monteraient pas.

Donc, les autorités, les instances supérieures, n’accordent pas d’intérêt à cela. On peut vous tuer comme on veut et puis la vie continue. 

DW: Le cas d’Éric Békobé n’est pas isolé. Plusieurs cas de féminicides enregistrés n’ont pas été condamnés. C’est un phénomène plus large au Cameroun, on dirait… 

BD: Effectivement, monsieur Éric Békobé n’est pas le premier à porter atteinte à la vie de sa femme.

En 2024, nous étions à plus de 76 cas. Nous sommes en 2025 avec plus de 16 cas, et ça, c’est les cas répertoriés, les cas officiels. Parce qu’il faut noter qu’il y a des cas qu’on ne reporte pas, les cas qu’on ne peut pas recouper. C’est un phénomène très large au Cameroun.

On s’est rendu compte parce qu’il y a des organisations de la société civile qui, de plus en plus, répertorient ces faits et les portent sur la place publique. Donc, ce n’est pas un phénomène isolé, c’est un phénomène qui est courant. 

DW: Et comment appréciez-vous la manière dont les autorités gèrent la question du féminicide au Cameroun ? 

BD: Rien n’est géré pour tout ce qui est des cas de féminicide. La société civile, les activistes portent les cas, on crie, on tempête, on rouspète, on les répertorie…et puis, qu’est-ce qui est fait ? Rien n’est fait !

La preuve, on a ce jugement qui nous est tombé dessus. Nous tous, nous avons vécu le cas de madame Yangwa en direct,  nous tous, nous avons vu comment elle agonisait à l’hôpital, nous tous, nous avons vu les plaintes, les gendarmes ont témoigné, les policiers ont témoigné comment elle venait se plaindre.

Mais qu’est-ce qui a été fait ? Rien !

Ce qui a été fait, c’est qu’elle est morte. C’est ce qu’on sait aujourd’hui, qu’elle est morte. Et puis, on a dit, il faut payer 53 000 FCFA et le monsieur doit être libre. Voilà, voilà donc ce qu’en font les autorités quand il s’agit de la vie d’une femme. 

DW: Pourtant, dans les années 1980, Mariette Dikoum, pour ne citer que ce cas, a écopé de la prison à vie pour avoir tué son mari. N’avez-vous pas l’impression que c’est une justice de deux poids, deux mesures ? 

BD: Il y a madame Dikoum qui a été condamnée à vie pour avoir porté atteinte à la vie de son époux en 1983,  et en 2025 monsieur Bekobe est libre après avoir assassiné son épouse. Sans toutefois vouloir rentrer dans cette conversation,  je veux dire que la décision de justice telle qu’elle a été rendue, montre très clairement qu’on peut tuer son épouse, on peut porter atteinte à sa vie, on peut l’égorger, on peut la détruire et sortir libre de la justice. On peut sortir de là en se disant: « je n’ai rien fait ».

C’est ce que nous dit la décision de justice. Et ça m’amène à revenir sur la nécessité de revoir la loi qui encadre les féminicides. Cette loi n’existe pas! Il est important qu’on ait une autre qualification que celle qu’on a actuellement. On doit avoir une qualification qui doit porter sur les violences conjugales, c’est très important, avec une pénalisation qui va avec.

À partir de là, ça nous éviterait des cas comme celui de monsieur Bekobe.

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