Depuis des années, l’est de la République démocratique du Congo est en proie à des violences alimentées par des tensions régionales et des rivalités politiques. Les processus diplomatiques de Luanda et de Nairobi, censés apporter la stabilité, se sont heurtés à des impasses, laissant le terrain à de nouvelles tensions. Alors que la médiation religieuse menée par la Cenco et l’ECC tente de s’imposer comme une ultime voie de dialogue, Kinshasa peine à définir une stratégie claire. Entre luttes d’influence, calculs diplomatiques et réalités militaires, où en est réellement la RDC face à ce conflit ? Henry-Pacifique Mayala, coordonnateur du baromètre sécuritaire du Kivu à Ebuteli, décrypte les enjeux et les perspectives d’une sortie de crise.
Le Point Afrique : Pourquoi les processus de Luanda et de Nairobi, désormais fusionnés après le sommet SADC-EAC du 8 février 2025 à Dar es Salaam, peinent-ils à produire des résultats concrets ?
Henry-Pacifique Mayala : Dès le départ, ces processus ont été minés par des divergences profondes, tant sur les intérêts en jeu que sur l’interprétation des revendications. Chaque partie a cherché à imposer sa propre lecture du conflit et à privilégier la médiation la plus alignée avec ses intérêts.
Le processus de Luanda, par exemple, a échoué in extremis, notamment après la décision du président Kagame de ne pas s’y rendre. Un choix stratégique qui s’inscrit dans une lutte d’influence régionale, notamment face à l’Angola, dont le président Lourenço, désormais à la tête de l’Union africaine, tente d’imposer son leadership. Mais une médiation n’a de sens que si les protagonistes acceptent de négocier.
Côté Nairobi, Kinshasa a commis plusieurs erreurs d’appréciation, intégrant ce bloc économique sans mesurer pleinement les rapports de force internes. Historiquement, le Rwanda y joue une carte stratégique, et l’accord signé en 2021 entre Tshisekedi et l’Ouganda sur des infrastructures transfrontalières a exacerbé les tensions. L’axe Kasindi-Beni-Butembo et Bunagana-Goma, en contournant le Rwanda, menaçait directement son économie, surtout dans un contexte où ses relations avec Kampala étaient déjà au plus bas.
Il est impératif de commencer par un dialogue interne
L’échec du processus de Nairobi s’explique aussi par des réalignements politiques : la victoire de William Ruto au Kenya a changé la donne. Contrairement à Kenyatta, qui avait facilité le rapprochement entre Kinshasa et l’EAC, Ruto n’a jamais affiché la même proximité avec le gouvernement congolais.
En réalité, ces deux processus n’ont pas failli par manque de moyens, qu’ils soient politiques ou militaires. Le véritable problème, c’est l’absence d’une volonté sincère des acteurs du conflit de parvenir à un compromis. Sans engagement réel, aucun cadre diplomatique, aussi bien structuré soit-il, ne peut déboucher sur une solution durable pour la paix à l’est de la RDC.
Face à cette impasse diplomatique, la Cenco et l’ECC, les deux principales églises du pays, ont débuté une initiative de médiation religieuse au début février. A-t-elle une chance d’aboutir ? Si oui, à quelles conditions ?
Oui, je pense que c’est une véritable médiation de dernière chance. À ce stade, cette initiative est la seule à disposer d’une légitimité incontestable. À l’intérieur de la RDC, la Cenco et l’ECC représentent plus de 70 % de la population congolaise et possèdent la capacité de rassembler les acteurs essentiels de la scène socio-politique. De plus, à l’international, leur réseau avec les Églises du Kenya ou du Rwanda leur permet de bénéficier d’un soutien extérieur, tout en incarnant une posture perçue comme neutre et désintéressée, ce que d’autres acteurs régionaux, comme le président Kagame, pourraient difficilement revendiquer face à un président Lourenço souvent perçu comme concurrent.
Cependant, il faudrait revoir l’approche actuellement adoptée par les évêques. Ce processus aurait gagné à être soutenu davantage au sein de l’Union africaine, car il est évident que cette crise ne se résoudra pas tant que les différends internes congolais ne sont pas réglés. Il est impératif de commencer par un dialogue interne, pour établir un consensus politique entre tous les acteurs congolais. Ce n’est qu’une fois cet accord atteint que l’on pourra envisager une ouverture vers les mécanismes externes, tels que la SADC et l’EAC, avant, peut-être, de se tourner vers l’Union africaine ou même les Nations unies.
Pensez-vous qu’il y a, du côté du pouvoir en place à Kinshasa, un intérêt à saper cette initiative de la Cenco et de l’ECC dans le sens où elles prônent un dialogue entre toutes les parties, y compris le M23, ce qui représente une ligne rouge pour le gouvernement congolais ?
Le flou demeure sur la position de Kinshasa, et ce n’est pas nouveau. Ceux qui suivent la politique congolaise se souviendront qu’en 2016, sous Kabila, la même confusion régnait face à l’initiative des évêques pour un dialogue inclusif. À l’époque, ses proches avaient tenté de discréditer les prélats, avant que lui-même ne finisse par les recevoir. Aujourd’hui, le schéma semble se répéter.
Officiellement, le gouvernement communique par la voix de son porte-parole, Patrick Muyaya, mais dans les faits le président Tshisekedi a bien reçu la délégation religieuse en urgence. Ce contraste traduit un manque de ligne claire. Et surtout, il révèle une réalité crue : le chef de l’État a peu de marges de manœuvre. Militairement, la situation ne tourne pas à son avantage, le M23 continue son avancée. Diplomatiquement, les alternatives se réduisent.
Il ne s’agit pas de savoir qui « gagne » ou qui « perd »
Ne pas soutenir cette médiation, c’est manquer de vision stratégique. Pour une fois, une initiative congolaise a la légitimité et la capacité de rallier aussi bien les acteurs nationaux qu’internationaux. Mais, encore une fois, c’est du côté du pouvoir en place que vient le blocage. Rien d’étonnant quand on sait combien, sous Tshisekedi, la gouvernance a navigué sans cap clair.
Mais temporiser dans un contexte aussi volatil, c’est jouer avec le feu. Le temps ne joue pas en faveur du président.
Le mandat de Félix Tshisekedi est-il menacé ?
Difficile de se prononcer avec certitude. La situation évolue et tout dépendra de la convergence des forces en présence, qu’il s’agisse de l’opposition républicaine ou des groupes armés comme l’AFC/M23. Imaginer une paix durable sans intégrer ceux qui ont pris les armes serait illusoire. Félix Tshisekedi, arrivé au pouvoir dans des conditions contestées, est aujourd’hui dans une impasse. Face à ce nœud gordien, seul un dialogue inclusif pourrait débloquer la situation. Certains acteurs pourraient exiger une transition sans lui à la tête du pays. Mais il est encore trop tôt pour trancher. Attendons de voir.
Si la médiation menée par la Cenco et l’ECC parvient à réunir toutes les parties prenantes, y compris le M23, cela représenterait-il une victoire stratégique pour le Rwanda, qui plaide de longue date pour un dialogue direct entre Kinshasa et la rébellion ?
Une victoire pour le Rwanda ? Non, avant tout une chance pour la paix. Si un dialogue inclusif permet de faire taire les armes durablement, c’est toute la région qui en sortira gagnante. Le malheur du Congo ne profite pas directement au Rwanda, et inversement. Mais il serait naïf de croire qu’un accord avec le M23 suffira à solder le conflit. La question des FDLR reste entière : que deviendront-ils demain ? Ce sont ces enjeux de fond qu’il faut mettre sur la table, au-delà des symptômes visibles du conflit.
Historiquement, la région des Grands Lacs est marquée par des tensions profondes, de la révolution rwandaise de 1959-1961 au génocide de 1994. Qui peut prédire l’après-Kagame ? Il ne s’agit pas de savoir qui « gagne » ou qui « perd », mais de trouver une solution viable à long terme.
Félix Tshisekedi est aujourd’hui dans une impasse
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En 2013, un premier règlement de l’insurrection armée avait été trouvé. Un nouveau compromis est possible. D’autant que le Rwanda, malgré sa stratégie de communication agressive, reste économiquement vulnérable. La guerre lui coûte cher, et les sanctions occidentales s’accumulent. Dans ces conditions, peut-il maintenir indéfiniment sa posture belliqueuse ?
Croire que l’ouverture d’un dialogue entre Kinshasa et le M23 constituerait une victoire rwandaise serait une lecture trop simpliste. Ce ne serait qu’un début. Le véritable enjeu est de s’attaquer aux racines profondes du conflit.
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