Strasbourg (Bas-Rhin), reportage
« Est-ce que vous pouvez me dire ce que c’est que l’extractivisme ? Parce que moi je ne connais pas du tout… » Sur le parvis de la gare de Strasbourg, l’atelier pancartes de la marche pour la paix en République démocratique du Congo (RDC) interpelle les passants. Ce lundi 15 juillet, ils sont une quinzaine à jouer du feutre sous le soleil de la fin d’après-midi pour préparer la manifestation du lendemain. Elle doit se rendre devant le Parlement européen. La dernière étape d’un voyage initié à Besançon il y a plus de trois semaines.
Avec un sourire, Claire Lhermitte délaisse son ouvrage pour répondre à la question de Judith, 17 ans, de passage à Strasbourg ce jour-là pour visiter les institutions européennes avec un groupe du Mouvement rural de la jeunesse chrétienne. En quelques phrases, la coordinatrice de l’événement explique les liens entre l’extraction intensive de minerai en RDC et la multiplication des groupes armés dans l’est du pays.
Cobalt, cuivre, coltan, lithium… Le Congo possède dans son sous-sol d’importantes réserves de métaux indispensables à l’économie du numérique et aux technologies de la transition énergétique, tels que le solaire ou l’éolien. Très demandées par les pays riches en quête de décarbonation, ces matières premières sont une manne financière pour les groupes armés qui se concentrent sur les régions minières de la RDC.
« Il y a de nombreux rapports de l’ONU qui démontrent que ces groupes détiennent des mines artisanales ou agissent en tant que milices de sécurité des mines. Cela représente des millions d’euros, détaille Hugo Percheron, autre coordinateur de l’événement. Ces groupes déstabilisent le territoire pour permettre l’accaparement des ressources. Ils font fuir les habitants et instaurent la peur. »
L’un des conflits les plus meurtriers du XXIᵉ siècle
« Depuis 1994, on compte plus de 6 millions de morts en RDC, poursuit le militant. On estime également à près de 7 millions le nombre de réfugiés internes. C’est un conflit totalement oublié alors que c’est l’un des plus meurtriers du XXIᵉ siècle. »
Depuis trois ans, les conflits se sont encore intensifiés dans cette zone et le nombre de groupes armés a plus que doublé. L’aggravation de la situation a poussé les militants de Génération lumière à sortir des cartons un projet aussi vieux que l’association.
Fondée il y a sept ans par trois jeunes Lyonnais d’origine congolaise, « Génération lumière est une organisation de solidarité internationale et d’écologie décoloniale, dit Hugo Percheron. Dès le début, ses fondateurs avaient ce rêve d’une marche jusqu’au Parlement européen pour aborder la question de l’extractivisme. C’est là que tout se décide en matière de transition énergétique et c’est ce qui détermine de grandes lignes politiques et commerciales pour après. »
Le 22 juin dernier, quelques membres de Génération lumière ont donc pris le départ d’un voyage à pied de près de 300 kilomètres à travers l’est de la France. Vingt-trois jours de marche et autant d’étapes et de rencontres organisées avec des associations locales tout au long du parcours pour imaginer des alternatives au pillage des ressources des pays du Sud global et au saccage des écosystèmes pour en extraire toujours plus de matières premières.
« L’outil de la marche nous a permis de rencontrer des personnes qui ne seraient pas venues à nos événements, dit Claire Lhermitte. On a cherché à sensibiliser les habitants à la vigilance citoyenne sur cette question. En Alsace, on nous a parlé de projets d’extraction du lithium. Les gens se sentent concernés. »
« Parler de minerais ne suffit pas »
Pendant trois semaines, les militants ont tenté d’inscrire l’extractivisme dans le vocabulaire commun. « C’est un terme qui n’est pas courant et qui, pourtant, fait partie de la vie des gens, dit David Meanda Kithoko, président de Génération lumière. On nous dit que c’est un mot compliqué, mais nous avions envie de le garder parce qu’il permet d’être au plus près de la réalité des choses. Parler de minerais, de corruption ou de destruction du vivant ne suffit pas. Il nous faut un mot qui englobe tout ce système. »
À travers cette marche, les militants veulent questionner « une vision capitaliste » et occidentale de la transition énergétique. « Avec la décarbonation, on nous dit qu’un propriétaire de voiture électrique est un bon écocitoyen, poursuit le militant. Mais on continue à penser une société avec une voiture par personne. On s’empêche d’imaginer un autre système de transport. On refuse de changer de paradigme. »
Empêcher les importations
À 18 h 30, le rassemblement sur le parvis de la gare compte désormais une quarantaine de personnes. Des militants écologistes, décoloniaux, des membres de la diaspora congolaise strasbourgeoise et du collectif local de solidarité avec la Kanaky. C’est le début d’une soirée « nuit debout », permettant à chacun d’imaginer « comment habiter la Terre autrement ». Les premières prises de parole évoquent l’habitat léger et l’importance de la sensibilité à l’égard du vivant.
C’est la dernière veillée avant la fin du voyage au Parlement européen. Ce mardi 16 juillet, Génération Lumière y rencontrera des députés EELV pour leur remettre un projet de résolution européenne visant à empêcher les importations de métaux issus des zones de conflits en RDC et des pays frontaliers. Le texte demande également la création d’un droit à la réparation des objets, afin de réduire la demande européenne en matériaux bruts vierges.
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