Ils pensaient pouvoir réduire leurs impôts en investissant dans ces logements sociaux en Martinique, le fisc les rattrape
Des années après, l’administration leur a réclamé un remboursement, parfois à hauteur de dizaines de milliers d’euros. 72 dossiers ont été étudiés par le tribunal administratif de Nantes mi-mars. La décision est attendue début avril.
C’est l’histoire d’un couple qui a investi 28.500 euros en 2014 dans un programme de construction de logements sociaux en Martinique. Grâce au dispositif Girardin, le foyer a alors bénéficié d’une réduction d’impôts approximative de 34.000 euros… jusqu’à ce que l’administration fiscale remette en cause partiellement la réduction d’impôt et vienne lui demander cinq ans plus tard de payer un redressement de plus de 16.000 euros. Cette situation est loin d’être isolée.
Jeudi 13 mars, 72 dossiers du même acabit ont été étudiés par le tribunal administratif de Nantes, avec des recouvrements pouvant atteindre plusieurs dizaines de milliers d’euros pour des investissements. «C’est toujours embêtant de devoir rembourser de l’argent au fisc dix ans plus tard. Votre niveau de revenu n’est plus forcément le même», constate maître Philippe Hery, avocat spécialiste en droit fiscal au barreau du Mans, qui a défendu une quinzaine de dossiers.
Débat autour de la notion d’investissement
Pour comprendre le cœur de la discorde, l’ancien bâtonnier rappelle que «le dispositif Girardin permet de bénéficier d’une réduction d’impôt sur le revenu, dans le cadre d’investissements pouvant prendre des formes diverses, situés en Outre-Mer». En l’occurrence, il s’agit là d’investissements immobiliers effectués via des intermédiaires. «Pour bénéficier de la réduction, les personnes physiques devaient investir dans des sociétés», explique l’avocat. «Une fois l’argent apporté à ces sociétés, celles-ci devaient investir et construire les logements dans un délai de 18 mois». Globalement, bon nombre de résidences sont sorties de terre mais seulement 24 mois plus tard.
«Or, l’article du code général des impôts indique qu’il faut investir dans un délai de 18 mois. Mes clients ont investi, puisqu’ils ont versé de l’argent à des sociétés. La difficulté est de savoir si oui ou non ces sociétés allaient finir les constructions dans un délai de 18 mois. Mais cela était hors du champ de contrôle des personnes qui avaient investi dans les sociétés en question», expose Me Hery.
Le débat porte sur la notion d’investissement. Maître David Vautrin, avocat au barreau de Paris, qui traite de dossiers fiscaux Girardin depuis une dizaine d’années, a défendu un des 72 dossiers. «Les contribuables vont investir dans les SCI et les SCI selon la loi ont 18 mois pour “investir intégralement le produit de la souscription” à leur capital. La loi parle d’“investissement intégral”», souligne-t-il. La question posée est donc : «Qu’est-ce qu’un investissement intégral» au sens de l’article 199 undecies C du code général des impôts ?
L’administration a décidé depuis de nombreuses années d’essayer d’assainir le milieu des monteurs en défiscalisation. Maintenant que c’est assaini, elle a tendance à s’en prendre à d’honnêtes gens
Maître David Vautrin, avocat au barreau de Paris
«Cette phrase qui impose l’investissement intégral dans les 18 mois est entendue par l’administration comme devant être traduite par l’achèvement d’une construction», observe l’avocat fiscaliste. Il plaide un abus d’interprétation. «La loi ne dit pas que les constructions doivent être achevées dans les 18 mois suivant le jour de la souscription».
Comme relevé par Presse Océan, le rapporteur public a rejeté leurs requêtes lors de l’audience du 13 mars, laissant peu d’espoir à Me Vautrin sur l’issue de la décision attendue le 3 avril. Et ce, malgré le fait que d’autres juridictions, comme les tribunaux administratifs de Versailles, Bordeaux, Nancy et Poitiers aient donné raison aux contribuables dans des dossiers semblables.
«L’administration a décidé depuis de nombreuses années d’essayer d’assainir le milieu des monteurs en défiscalisation. Maintenant que c’est assaini, elle a tendance à s’en prendre à d’honnêtes gens, car dans cette affaire les logements sociaux ont bien été construits et sont loués à des bénéficiaires», indique le docteur en droit, qui se souvient d’une époque révolue où les fraudes faisaient florès.
Visant à encourager le développement économique des territoires ultramarins, le dispositif Girardin attire différents profils de contribuables. «Ce type d’investissement qui permet de réduire ses impôts concerne tout le monde quels que soient les niveaux de revenus car il joue sur votre sensibilité à l’impôt», observe Me Hery. «Cela ne dépend pas de savoir si vous êtes aisé, mais davantage de savoir si vous êtes en capacité d’accepter de payer de l’impôt ou pas et si oui quel montant», conclut-il.
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