À l’occasion de la semaine internationale des droits des femmes, la rédaction d’Outre-mer La1ère vous propose une série qui retrace la place des femmes en Outre-mer. Le premier volet s’intéresse à la fondatrice du premier planning familial des Outre-mer en Guadeloupe en 1964, Jacqueline Manicom était une sage-femme, autrice et militante féministe guadeloupéenne, oubliée de l’histoire quand on parle du droit à la contraception et à l’avortement. Elle s’est battue aux côtés de Gisèle Halimi et Simone de Beauvoir.
Née le 1er avril 1935 au Moule en Guadeloupe, Jacqueline Manicom est l’aînée d’une famille de 20 enfants (10 vont survivre). Fille d’un couple « d’analphabètes« , elle se voyait devenir médecin, mais obligée d’arrêter ses études pour aider sa mère alors enceinte et alitée, elle voit son rêve s’envoler. Son envie d’aider les autres reste plus forte que tout. Sans doute inspirée par l’histoire personnelle de sa mère, qu’elle a connu « toujours enceinte ou en deuil » la Guadeloupéenne se tourne vers des études de sage-femme en Martinique en 1958. Diplômée, elle décroche son premier poste à l’hôpital Bichat en région parisienne. Une profession qui changera le cours de sa vie. « C’était une excellente sage-femme, très reconnue et appréciée de ses patientes et de son milieu à l’hôpital », raconte l’historienne et journaliste Hélène Frouard, autrice de l’ouvrage « Jacqueline Manicom, la Révoltée« , paru aux éditions de l’Atelier.
Dévouée et attentionnée dans son métier, Jacqueline Manicom mettra au monde plus de cinq mille enfants, comme elle le dit dans l’un de ses livres publié en 1972, « La Graine. Journal d’une sage-femme ». Chaque accouchement est un moment unique pour elle. « Chacune d’elles est un monde unique avec ses problèmes spécifiques, écrit-elle. Mais chaque femme accouche de « son » enfant, et en face de chacune d’elles, je me retrouve comme devant l’unique accouchée de la terre. Assurer les suites de couches, c’est entreprendre un bien long voyage«
Un long voyage que la Guadeloupéenne a pu expérimenter dans sa vie. Enceinte très tôt d’un interne en médecine à l’hôpital Bichat, l’union entre les deux amants sera désapprouvée par la famille de l’homme qui les contraint à divorcer. Confrontée à ce qu’elle considère comme du racisme, Jacqueline Manicom vivra avec ce traumatisme très longtemps. « Elle a été en proie au racisme assez tôt quand elle est arrivée à Paris, et ça a été assez traumatisant pour elle parce qu’elle croyait beaucoup aux promesses de la république, c’est-à-dire l’égalité« , confesse Hélène Frouard.
De retour en Guadeloupe avec son enfant après cet échec sentimental, Jacqueline Manicom accuse le coup, d’autant plus qu’à cette période post-coloniale, les femmes divorcées avec un enfant sont très mal vues. Mais dotée d’un caractère hors du commun, Jacqueline Manicom reprend le cours de sa vie et surtout sa profession. Elle retrouve un poste de sage-femme dans une clinique en Guadeloupe. Là-bas, elle veut apporter sa pierre à l’édifice et inspirée par le planning familial créé en 1960 dans l’Hexagone, elle fonde le tout premier planning familial des Outre-mer en Guadeloupe en 1964 avec Marie-Antoinette Simet-Lutin, professeure de collège et le médecin Jacques Abel. L’association s’appellera « la maternité consciente ». Cette corporation va s’atteler à distribuer des stérilets et des pilules aux jeunes femmes qui viennent consulter.
Elle était bien placée pour savoir ce que ça représentait, d’une part avec son expérience de sage-femme mais aussi par rapport à ce qu’elle avait vécu. Puisqu’elle-même avait été enceinte, sans l’avoir planifiée, assez jeune, s’en est suivi un mariage et un divorce très rapide. Donc, elle savait ce que c’était de ne pas pouvoir maîtriser sa fécondité
En Guadeloupe, elle rencontre son second et dernier mari, un professeur de l’hexagone et repart vivre à Paris avec lui. Femme engagée, elle fréquente d’illustres personnalités marquantes des droits des femmes : Simone de Beauvoir ou encore Gisèle Halimi. Elle sera témoin de moralité lors du procès de Bobigny en 1972 et témoigne en faveur de l’avortement. « Elle a été assez courageuse de le faire » glisse Hélène Frouard, qui d’ailleurs dans sa biographie sur la Guadeloupéenne nous apprend que « A Massy [en région parisienne, NDLR] elle loue avec des militantes du mouvement de libération des femmes (MLF) et quelques médecins, un appartement pour pratiquer des avortements clandestins ».
Je trouve ça incroyable parce que les combats qu’elle a mené sont encore d’actualité, même après 70 ans
Nina Halte, sa petite fille
Activiste médicale et pionnière dans le milieu de l’avortement, la Guadeloupéenne racontera ses combats dans deux ouvrages. Le premier « mon examen de Blanc » et le second « La Graine, le journal d’une sage-femme » où elle dénonce les dysfonctionnements dans le milieu médical et la détresse des patientes au moment de l’accouchement. Elle sera invitée aussi de nombreux plateaux télé et radio pour parler de ses actions.
Femme forte aux premiers abords, combattante pour les droits des femmes et pour l’avortement, Jacqueline Manicom est une femme meurtrie et tiraillée dans le plus profond de son âme. À 41 ans, elle met fin à ses jours. Dans une lettre qu’elle a laissée, elle dit « sa fatigue d’être femme, noire et pauvre ». « Je trouve ça dramatique, car elle s’est donnée la mort l’année où son combat a porté ses fruits. En 1976, l’avortement venait d’être légalisé, elle n’a même pas eu le temps de le voir. C’est terrible« , souffle Nina Halte, sa petite fille.
Grande oubliée de l’Histoire, en cette semaine des droits des femmes, une école va être inaugurée au nom de Jacqueline Manicom dans le 20ème arrondissement de Paris, ce vendredi 7 mars.
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