Jacques Jonathan Nyemb : « J’ai été confronté à la complexité de perpétuer un héritage tout en le fructifiant »

(Investir au Cameroun) – Ce 11 février 2024, le Cameroun célèbre la 58e édition de la fête nationale de la jeune sur le thème : « Jeunesse, import-substitution et patriotisme économique pour le progrès du Cameroun ». À l’occasion, Investir au Cameroun a entrepris de donner la parole à quelques jeunes. Place à Jacques Jonathan Nyemb. À bientôt 36 ans, l’ancien porte-parole du patronat camerounais est une figure marquante de la jeunesse camerounaise. Il partage son analyse des défis et opportunités de sa génération.

Investir au Cameroun : Que signifie pour vous être un jeune camerounais aujourd’hui, en particulier après vos études à Harvard et votre choix de revenir au Cameroun pour prendre la tête de l’entreprise familiale ?

Jacques Jonathan Nyemb : Être jeune et Camerounais, pour moi, c’est avant tout incarner les valeurs transmises par ma famille : le patriotisme, la quête de l’excellence et l’importance du partage. Ces principes m’ont guidé dans mon parcours, de Harvard jusqu’à la décision de revenir au Cameroun. Je ressens profondément le devoir de m’engager, de combattre la médiocrité et de redonner espoir à notre jeunesse. C’est en impliquant activement cette jeunesse, qui représente près de 66% de notre population, que nous pourrons réellement transformer notre pays.

Mon engagement est aussi nourri par une conviction : nous vivons une époque de changements majeurs, et c’est en Afrique que se dessineront les contours d’un avenir plus durable. La jeunesse camerounaise a un rôle crucial à jouer dans la construction de ce nouvel avenir, un monde où le respect de la nature et des êtres vivants est central.

Je ressens profondément le devoir de m’engager, de combattre la médiocrité et de redonner espoir à notre jeunesse. C’est en impliquant activement cette jeunesse, qui représente près de 66% de notre population, que nous pourrons réellement transformer notre pays.

Enfin, mon expérience internationale m’a appris l’importance de l’agilité et de l’innovation. Pour apporter un changement durable, il est essentiel de favoriser l’apprentissage continu, la créativité et l’élaboration de nouvelles solutions pour une société plus inclusive et solidaire. Une opportunité unique se présente à la jeunesse africaine, et la jeunesse camerounaise, reconnue pour son ingéniosité, doit saisir cette chance. Il est temps de mettre en avant une jeunesse camerounaise apprenante, engagée et patriote, prête à jouer un rôle de premier plan dans la renaissance africaine.

Investir au Cameroun : Face à ceux qui pensent que votre chemin a été pavé de facilités, comment réagissez-vous ? Quels ont été vos défis majeurs lorsque vous avez repris l’entreprise familiale au Cameroun et comment les avez-vous surmontés ?

Jacques Jonathan Nyemb : Je suis profondément reconnaissant envers ma famille et mon pays pour les valeurs et les opportunités qu’ils m’ont offertes. Cependant, cette reconnaissance s’accompagne d’une double responsabilité : réussir et transmettre. Comme le dit le proverbe, « nous n’héritons pas de la terre de nos ancêtres, nous l’empruntons à nos enfants ». Cette philosophie guide mon engagement quotidien.

En reprenant l’entreprise familiale, j’ai été confronté à la complexité de perpétuer un héritage tout en le fructifiant. Je veux démontrer que pérenniser une entreprise familiale peut être un succès au Cameroun. Cette ambition m’a amené à renforcer mon éthique professionnelle dans un contexte de défiance profonde envers le droit et de méfiance grandissante envers la justice.

Plus que jamais, je suis convaincu de l’importance de mettre notre résilience, notre « Hemlè » national, non plus seulement au service de notre survie individuelle, mais surtout du bien-être collectif de tous les Camerounais. C’est en relevant ces défis avec courage, éthique et créativité que j’aspire à contribuer à la transformation de notre pays.

Investir au Cameroun : En tant que dirigeant d’un des plus importants cabinets d’avocats d’affaires au Cameroun, quels sont les défis et opportunités que cela représente ? Quelles actions votre cabinet a-t-il entreprises pour impacter positivement le climat des affaires dans le pays ?

Jacques Jonathan Nyemb : Diriger un cabinet d’avocats d’affaires de cette envergure est à la fois un défi et une opportunité unique d’influencer positivement notre environnement économique. Depuis plus de dix ans, nous nous investissons activement dans la formation juridique. Grâce à notre collaboration avec l’Université catholique d’Afrique centrale (Ucac), nous avons formé plus de trente stagiaires, dont beaucoup sont devenus des professionnels reconnus. Nous proposons régulièrement des cours et ateliers à l’université, couvrant des sujets variés comme la négociation d’affaires ou la gouvernance d’entreprise, et soutenons les clubs étudiants pour développer leurs compétences en art oratoire et recherche scientifique. Actuellement, nous œuvrons à la création d’un laboratoire en droit des affaires au sein de l’Ucac, qui offrira aux étudiants une expérience professionnelle concrète grâce à des cliniques juridiques.

En parallèle, notre cabinet a toujours valorisé la pratique pro-bono. Depuis 1996, nous offrons des services juridiques gratuits ou à faible coût, notamment aux startups innovantes, en particulier dans le secteur de la fintech. Cette initiative vise à soutenir l’inclusion financière et à promouvoir des pratiques entrepreneuriales responsables et exemplaires.

Il est crucial de saisir cette opportunité pour réorienter notre modèle économique vers une industrialisation plus collaborative, circulaire et écologique. Le secteur privé doit jouer un rôle central dans la création de chaînes de valeur endogènes, inclusives et intégrées à l’économie mondiale.

Nous jouons également un rôle actif au sein de diverses organisations patronales, essentielles pour améliorer le climat des affaires au Cameroun. Au sein du Gicam, nous avons participé à l’élaboration du premier Code de bonne gouvernance des entreprises d’Afrique centrale, et j’ai eu l’honneur de présider la Taskforce dédiée à ce projet. Plus récemment, nous avons apporté notre expertise à la création de la Chambre de commerce européenne au Cameroun (Eurocham), de manière bénévole.

Notre cabinet est donc profondément engagé dans la transformation économique du Cameroun, avec une approche citoyenne. Nous sommes régulièrement sollicités par des organisations internationales et des entités publiques pour contribuer à l’élaboration de plaidoyers et proposer des réformes pertinentes pour la région de l’Afrique centrale.

Investir au Cameroun : Pouvez-vous nous parler de l’impact de votre organisation « The Okwelians » sur le leadership des jeunes Camerounais et partager un exemple de succès qui illustre comment elle contribue à façonner l’avenir du pays ?

Jacques Jonathan Nyemb : Fondé en 2020, The Okwelians (tiré du verbe okwele en duala, qui signifie apprendre) est un Think Do Tank dédié à l’innovation sociale au Cameroun. Notre mission est de transformer la jeunesse en un acteur clé de la transformation durable du pays, en luttant contre la marginalisation, la pauvreté et le sous-emploi. Aujourd’hui, The Okwelians rassemble une communauté dynamique de plus de 2000 membres répartis sur quatre continents, tous engagés à bâtir un Cameroun fier, prospère et solidaire.

Chaque année, nous formons environ 250 jeunes leaders à travers nos programmes d’excellence, visant à créer une génération de décideurs publics et privés pour le Cameroun de demain. Notre laboratoire d’idées, s’appuyant sur la recherche-action, réunit plus de soixante experts pour développer un nouveau paradigme sociétal axé sur la bonne gouvernance, la transformation économique et la cohésion sociale. Nos travaux récents couvrent des domaines variés tels que les villes durables, la concertation communale, le Made in Cameroon, la refondation du patronat, l’employabilité des jeunes, la couverture santé universelle et le renouvellement du pacte social camerounais.

Un exemple marquant de notre impact est notre engagement dans la transition écologique. Nous avons mobilisé plus de 3000 acteurs publics et privés et sensibilisé près de trois millions de citoyens à cette cause. Plus récemment, nous avons aidé plus de 150 agripreneuses à structurer une chaîne de valeurs durable dans la filière manioc. Nous aspirons également à établir l’Institut Afrique Europe pour l’innovation verte, positionnant ainsi le Cameroun comme un leader mondial en matière d’innovation verte.

Notre vision à court terme est d’investir davantage le débat public pour influencer l’agenda de transformation durable du Cameroun, affirmant ainsi notre rôle dans la construction d’un avenir meilleur pour notre pays.

Investir au Cameroun : Dans le contexte actuel de hausse des prix et des défis économiques, notamment la récente augmentation du prix du carburant, quel rôle attribuez-vous au secteur privé et spécifiquement au patronat pour naviguer et atténuer ces défis au Cameroun ?

Jacques Jonathan Nyemb : Nous vivons une période de mutations géopolitiques et économiques sans précédent, et l’Afrique, en particulier le Cameroun, ressent fortement ces turbulences. Face à cela, il est crucial de saisir cette opportunité pour réorienter notre modèle économique vers une industrialisation plus collaborative, circulaire et écologique.

La crise financière de 2008 a souligné la nécessité d’évoluer d’un État tout-puissant vers un État stratège et facilitateur. Dans ce contexte, le secteur privé doit jouer un rôle central dans la création de chaînes de valeur endogènes, inclusives et intégrées à l’économie mondiale.

La diaspora, en tant qu’ambassadrice des patrimoines et savoir-faire camerounais, peut grandement contribuer au rayonnement du Cameroun sur la scène internationale. Il est temps de libérer le potentiel du Cameroun en engageant des transformations concrètes, et cela ne peut se faire sans l’apport de toutes ses forces vives, y compris notre diaspora.

Pour le Cameroun, cela implique de repenser le dialogue entre le secteur public et privé. Il est essentiel d’établir un cadre de dialogue permanent, inclusif et concerté, où le secteur privé participe activement à la définition, l’élaboration, la mise en œuvre et l’évaluation des politiques publiques. Parallèlement, une restructuration du secteur privé est nécessaire, incluant une refondation du patronat, voire une refondation syndicale au sens large.

Je suis convaincu que c’est en adoptant cette approche que le Cameroun pourra s’établir comme une puissance agro-industrielle de premier plan en Afrique et dans le monde. Cela nécessite une vision stratégique claire, une collaboration étroite entre les secteurs public et privé, et une politique ambitieuse en matière de formation, de recherche et d’innovation.

Investir au Cameroun : En tant qu’ancien membre de la diaspora « utile », quelle est votre vision pour renforcer les liens entre la diaspora africaine et le continent, et comment cela se manifeste-t-il dans votre travail au Cameroun ?

Jacques Jonathan Nyemb : La diaspora a toujours été une ressource précieuse pour les pays en développement, et le Cameroun ne fait pas exception. Représentant environ 15% de notre population, avec une tendance à l’augmentation, la diaspora camerounaise joue un rôle crucial dans la transformation sociale, culturelle, économique et politique du pays.

En co-fondant des organisations comme Oser l’Afrique, African Business Lawyers’ Club et l’Association des juristes camerounais de France, j’ai pu constater l’importance de plateformes structurées pour mobiliser l’engagement des diasporas africaines. Ces plateformes, en collaboration avec les acteurs locaux, sont essentielles pour intégrer la diaspora dans le tissu social et économique camerounais.

L’inclusion institutionnalisée de la diaspora est fondamentale pour son implication dans la transformation du Cameroun, notamment sur le plan économique. Il est vital d’orienter les ressources techniques et financières de la diaspora vers des initiatives productives, par l’investissement, l’emploi et l’entrepreneuriat. Cela devrait être une priorité pour les décideurs du pays, avec la mise en place de politiques, programmes et mesures adaptés.

Par ailleurs, la diaspora, en tant qu’ambassadrice des patrimoines et savoir-faire camerounais, peut grandement contribuer au rayonnement du Cameroun sur la scène internationale. Exploiter ce potentiel ouvrirait de nouvelles voies de coopération décentralisée, patronale et non-étatique au sens large. Il est temps de libérer le potentiel du Cameroun en engageant des transformations concrètes, et cela ne peut se faire sans l’apport de toutes ses forces vives, y compris notre diaspora.

Interview réalisée par Idriss Linge

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