« Garde à vous ! » La voix du coach Alioune Diovol résonne dans l’Arène nationale de Pikine. Le complexe, conçu pour accueillir les compétitions de lutte sénégalaise dans la banlieue de Dakar, s’est ouvert à d’autres sports de combat. Sous l’œil de son entraîneur, Bocar Diop exécute différentes figures pour mettre au tapis son adversaire. Coup de pied fouetté, coup de pied retourné, talonnade… Le taekwondiste remporte, ce jour-là, deux combats sur trois.
« Il est en bonne forme pour les JO, mais ce pourrait être encore mieux si on avait les moyens de faire des entraînements plus poussés », estime Alioune Diovol. L’entraîneur déplore un manque de soutien financier de la part des instances sportives du pays. D’après Bocar Diop, qualifié depuis le mois de février pour les JO de Paris 2024, le Comité national olympique et sportif sénégalais (CNOSS) « a promis une bourse de 3 millions de francs CFA (4 500 euros), mais elle n’est toujours pas arrivée ».
Sans budget, impossible pour le taekwondiste d’aller faire des stages d’entraînement à l’étranger, si précieux avant les compétitions internationales – toutes disciplines confondues – pour pouvoir se mesurer à ses adversaires. « Je pensais qu’être sportif de haut niveau avec une qualification aux JO changerait un peu ma vie, c’est presque pire », confie-t-il en wolof, traduit par son coach en français.
« Sans rien en retour »
Pour pouvoir se consacrer trois fois par jour à l’entraînement, l’athlète a lâché son emploi de soudeur. Résultat, à 25 ans, il n’a plus aucune rentrée d’argent et se voit hébergé par la Fédération sénégalaise de taekwondo à l’Arène nationale dans une petite chambre qu’il partage avec quatre autres sportifs. « Ma famille m’en veut, ajoute le vice-champion d’Afrique, classé 15e mondial. Ils ne comprennent pas que je donne tant à mon pays, sans rien en retour. »
Bocar Diop, qui participera aux olympiades pour la première fois, espère tout de même ramener une deuxième médaille. Si, depuis 1964, le Sénégal participe sans discontinuer aux Jeux d’été, seul un athlète est monté sur le podium : Amadou Dia Ba, médaillé d’argent au 400 mètres haies des Jeux de Séoul, en Corée du Sud, en 1988.
Outre le taekwondo, le judo, l’escrime, l’athlétisme, le tennis de table et le canoë-kayak font partie des disciplines représentées par la délégation sénégalaise. Néanmoins, parmi les onze athlètes qualifiés, dont deux paralympiques, le jeune Bocar Diop est le seul à s’entraîner au Sénégal. « Lorsque les conditions sont meilleures en France, ou encore aux Etats-Unis, il est tout à fait normal que les sportifs quittent le pays », estime Omar Sedima Diagne, secrétaire général du Comité national olympique sénégalais.
Mais, à l’instar de l’escrimeuse Ndèye Binta Diongue, eux non plus ne sont pas à l’abri des difficultés. Présente à Tokyo en 2020, elle était pressentie pour une qualification aux Jeux de Paris. « Entre janvier 2023 et aujourd’hui, pour un an et demi, j’ai reçu du CNOSS une bourse de préparation de 11 millions de francs CFA (18 300 euos). Au Sénégal, c’est une très grosse somme, reconnaît-elle. Mais en France, une fois que j’ai payé mon loyer, c’est terminé. »
Intégrée à la célèbre académie d’escrime Team Levavasseur dans le Val-de-Marne (94), l’athlète partage son temps entre l’entraînement et son travail d’éducatrice, trente-cinq heures par semaine. Faute de moyens et pour parvenir à faire l’un de ces prestigieux stages de préparation à l’étranger, Ndèye Binta Diongue a récemment dû avoir recours à une cagnotte en ligne. Elle a récolté 1 600 euros. De quoi partir quelques jours pour un entraînement intensif à Budapest. « Mais mon coach a dû payer ses billets d’avion de sa poche », regrette-t-elle.
« Une nation de sportifs »
Du côté du Comité national olympique et sportif sénégalais, le ton monte très vite sur la question des bourses. « Tous les athlètes en bénéficient », balaie le secrétaire général Omar Sedima Diagne. Avec quel budget ? Pour quel montant individuel ? « Les chiffres n’ont aucune importance », poursuit-il, avant de reconnaître qu’« aucune bourse olympique en Afrique ne suffit à un athlète pour pouvoir s’entraîner dans de bonnes conditions. Nous en sommes conscients, mais nous devons faire avec les moyens du bord. »
Début juin, le chef de l’Etat, Bassirou Diomaye Faye, a demandé à la ministre de la jeunesse, des sports et de la culture de « prendre des dispositions appropriées pour la bonne préparation du Sénégal aux JO de Paris 2024 ». Mais d’après les athlètes contactés par Le Monde, la situation n’a pas évolué. « Nous avons toujours aussi peu de considération, résume le champion d’Afrique du 110 mètres haies Louis-François Mendy, qualifié pour les JO de Paris depuis juillet 2023. Pour faire du haut niveau, il faut des moyens et des infrastructures de qualité. Malheureusement, nous ne faisons pas partie des préoccupations politiques alors que nous sommes une nation de sportifs. »
Face aux critiques, le CNOSS assure qu’il est en train de plancher sur un projet de loi en faveur des sportifs de haut niveau. « Nous travaillons avec le gouvernement sur le Code du sport sénégalais. Dedans, il y aura un statut pour les sportifs de haut niveau avec une rémunération prévue », promet Omar Sedima Diagne.
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