Les Français apparaissent comme les moins intéressés (2) par l’élection européenne. Comment expliquez-vous cela ?
Les Français sont centrés sur leurs problèmes intérieurs. Il y a des polémiques régulières, des colères, des insatisfactions, et ce n’est pas la première fois pour ce type de scrutin. La spécificité française, qui consiste à faire des élections européennes une élection nationale, s’explique, à mon sens, par un mépris partagé des formations politiques à l’égard de l’assemblée européenne, qu’ils ont souvent considérée comme une assemblée illégitime. Il faut se souvenir que le parti de Jacques Chirac avait, à une époque, proposé une liste tournante, avec des députés qui changeaient tous les ans ! Je dirais que le sentiment français s’apparente à une sorte de nationalisme mal placé, qui n’est cependant ni définitif ni rédhibitoire.
Que diriez-vous, pour le convaincre, à un électeur qui hésite à se rendre aux urnes ?
Jamais dans l’histoire de la construction européenne, les idées françaises n’ont été autant en adéquation avec les périls et les défis européens, qu’ils soient géostratégiques, économiques, culturels etc. C’est le moment ou jamais de renforcer l’influence française. Votez pour qui vous voulez, mais votez pour des députés européens qui travaillent, qui iront à Bruxelles et s’engageront avec leur vision française, qu’ils soient de droite ou de gauche. L’institution européenne devient clé pour notre vie et elle a des problèmes énormes à résoudre. Certes, on parle beaucoup d’un excès de réglementation, qui est réel, de l’immobilisme de certains de nos partenaires concernant la défense, la sécurité ou l’immigration, mais c’est justement le moment de peser plus lourd ! L’avenir de la France en dépend et nous avons de plus l’opportunité de pousser des concepts français jusqu’ici ignorés, comme celui d’une Europe puissante affichant sa préférence européenne.
Au point que La France fasse aujourd’hui figure de leader stratégique ?
Oui, tout à fait ! Depuis le général de Gaulle jusqu’au discours de la Sorbonne d’Emmanuel Macron, en passant par Giscard ou Mitterrand, il y a toujours eu cette idée d’une Europe indépendante, qui défend son modèle de société, ses intérêts, se projette dans le monde et doit donc avoir une défense. Ce principe sur les valeurs, partagé par le plus grand nombre, ne suffit pas. Ce qu’a apporté le discours d’Emmanuel Macron, c’est une prise de conscience sur le fait que les autres puissances du monde s’affranchissaient, elles, des règles. Ce discours français est désormais partagé sur tous les bancs, c’est donc le moment où jamais d’évoluer et de modifier les pratiques.
Sinon l’Europe peut mourir, comme l’a affirmé le Président ?
Ce qui m’a frappé dans le discours d’Emmanuel Macron, c’est une vraie inquiétude et un sentiment d’urgence. Nous avons les amis américains et les rivaux chinois qui s’affranchissent donc des règles et les Russes qui nous déclarent la guerre. D’où cette urgence à réagir, sinon on va vers un décrochage économique, déjà amorcé. Nous avons certes le Green Deal (Pacte vert pour l’Europe, NDLR) et des règles d’État de droit – et c’est tant mieux ! – mais cela ne suffit plus. Nous assistons à la troisième vie de l’Union Européenne. La première était celle des pères fondateurs et des traités, la seconde fut celle du marché unique et de l’euro avec Jacques Delors. Il s’agissait de sujets internes. Nous sommes désormais interpellés par le contexte stratégique international.
Les bouleversements actuels ont-ils convaincu les citoyens européens de l’urgence à s’unir ?
Tous les sondages montrent que les citoyens ont une forte attente de réponse européenne. Et quand l’Europe ne répond pas, tout le monde se tourne vers des solutions nationales. Il faut d’ailleurs noter que, même chez les partis souverainistes, la moitié est favorable à la dimension européenne. L’exemple de Giorgia Meloni en Italie est très significatif. Même chose en Pologne : plus personne ne fait campagne aujourd’hui sur une sortie de l’Europe. Il y a des souverainistes solubles dans l’Union Européenne et d’autres qui sont peu fréquentables, notamment sur la question russe. Et c’est cela qui va faire la différence au sein des extrêmes de droite et de gauche. Ceci est particulièrement vrai en France…
Dans la crise ukrainienne, j’ai été surpris par le fait que, malgré des divergences et les nuances, il y a eu à chaque fois des réponses unies en faveur des aides
La crise de la Covid et la guerre en Ukraine ont-elles été, paradoxalement, une « bonne chose » pour l’Union européenne ?
On ne peut évidemment pas dire une bonne chose, mais plutôt un révélateur du besoin européen de désormais partager et de défendre ensemble nos intérêts. Ce qui m’a le plus frappé durant la crise Covid, c’est que ce sont les gouvernements qui ont sollicité la dimension européenne. Le premier réflexe a été de fermer ses frontières avant de rapidement comprendre qu’il fallait investir ensemble pour trouver et fabriquer un vaccin. L’Europe est aujourd’hui le premier fabricant au monde et distribue des vaccins gratuitement en Afrique. Et ce sont les gouvernements qui ont demandé et obtenu un programme de relance économique européen de 800 milliards d’euros !
Dans la crise ukrainienne, j’ai été surpris par le fait que, malgré des divergences et les nuances, il y a eu, à chaque fois, des réponses unies en faveur des aides, et l’adoption de treize trains de sanctions à l’unanimité. Ces deux crises ont été des révélateurs et, peut-être, des déclencheurs d’un réflexe européen que l’on n’imaginait pas. Quant à l’évocation du financement d’une défense commune, c’est une idée désormais partagée.
Même par les Allemands ?
Il y a un vrai problème avec les Allemands. L’Allemagne n’aime pas changer et ne veut surtout pas donner raison aux Français. Mais, actuellement, tous ses choix sont remis en cause : elle misait sur la Russie pour le gaz, sur la Chine pour le commerce et comptait sur les États-Unis pour sa défense. La coalition allemande actuelle, hétéroclite, est en difficulté. Mais les idées avancent, notamment grâce au ministre de la Défense allemand, qui est un écologiste, et qui craint le retour de Trump aux affaires. Jusqu’ici, les Allemands ne voyaient pas l’Europe comme ça. N’attendons pas, nous, Français, que les Allemands soient des Français, mais essayons de faire les choses en complémentarité. Si la France prend la main en matière de défense, cela arrangera tout le monde. Mais faisons en sorte que les Allemands puissent suivre, même si c’est à distance.
1. Créée en 1991, après la chute du mur de Berlin, reconnue d’utilité publique, la Fondation Robert Schuman œuvre en faveur de la construction européenne.
2. Selon l’Eurobaromètre du mercredi 17 avril, 71 % des Luxembourgeois et 68 % de l’ensemble des Européens avaient l’intention de se rendre aux urnes et seulement 45 % des Français.
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