Journalisme et objectivité en campagne : quand l’éthique flanche en direct | Gabonreview.com

 

L’interview d’Alain-Claude Bilie-By-Nze,  dans le cadre de l’émission « 1 candidat, 1 projet », était-elle une master class comme l’ont récemment soutenu ses soutiens parmi lesquels la journaliste d’origine gabonaise Joëlle Edédéghé Ndong ? Dans la tribune libre ci-après, Dr Emmanuel Thierry Koumba, enseignant à l’UOB et à EM-Gabon Université, relève quant à lui « les failles d’un système médiatique encore vulnérable aux stratégies de communication des candidats ». L’universitaire estime que « le Gabon a besoin d’un journalisme fort, indépendant et responsable » au service du public. Il fait quelques propositions.

Alain-Claude Bilie-By-Nze et les journalistes après l’émission. © D.R.

 

Emmanuel Thierry Koumba. © D.R.

Introduction

Au Gabon, comme dans de nombreuses démocraties en construction, le rôle des médias et des journalistes en période électorale est crucial. Mais lorsque les journalistes eux-mêmes s’écartent des principes fondamentaux d’objectivité et de vérification, c’est tout l’équilibre du débat démocratique qui vacille. Le récent cas de Joëlle Edédéghé Ndong, journaliste gabonaise exerçant pour le compte de chaînes étrangères à partir de son agence de communication (Allsud Média), illustre parfaitement les dérives possibles d’un journalisme en quête de sensationnalisme au détriment de la rigueur professionnelle.

Une scène révélatrice : le poids d’un mot en direct

Lors d’un débat politique retransmis à la télévision, le candidat Alain-Claude Bilie-By-Nzé, mis en cause dans une affaire de chèque en blanc, a exhibé un document censé le disculper. Sans demander à consulter le document, sans vérification ni contre-expertise, la journaliste Joëlle Edédéghé Ndong, à la suite d’Amstrong Agaya et les autres journalistes-animateurs non vigilants et scotchés sur le plateau, s’est fendue d’une déclaration enthousiaste, qualifiant l’intervention du candidat de «master class».

Ce commentaire, bien que formulé en toute spontanéité, a eu un impact significatif. Il a renforcé l’image d’un candidat maîtrisant la scène, réhabilité publiquement en quelques minutes, et a, dans l’opinion, semblé confirmer une version des faits qui n’avait pourtant pas été étayée par des preuves tangibles. Alors qu’on sait que quelqu’un qui a émis un chèque en blanc peut aussi brandir un document trafiqué. En journalisme, ce type de réaction impulsive, sans distanciation critique, peut être fatal à la crédibilité du média, et à plus forte raison à celle du journaliste.

Journalisme et campagne électorale : un équilibre fragile

En période électorale, les journalistes ne sont pas de simples relais de communication. Ils jouent un rôle de médiateurs, d’arbitres et de gardiens de la vérité. Leur mission est d’interroger les faits, de recouper les sources, et de permettre aux citoyens de comprendre les enjeux réels du scrutin.

Mais au Gabon, comme dans plusieurs pays africains, l’espace médiatique reste souvent soumis à des tensions multiples : pression des partis politiques, proximité entre certains journalistes et figures politiques, précarité professionnelle, ou encore quête d’audience à tout prix. Ces facteurs fragilisent l’éthique journalistique et rendent les dérapages plus fréquents.

Entre naïveté professionnelle et complicité tacite

Dans le cas de Joëlle Edédéghé Ndong, une passionnée du journalisme dont la vocation remonte à sa tendre enfance, qui est présentée comme une modératrice des débats de haut vol et figure influente des médias, deux lectures sont possibles. La première est celle de la naïveté professionnelle : face à la mise en scène d’un candidat, la journaliste, trop déformée par l’entreprise de production de documents commerciaux, aurait été impressionnée, cédant à l’émotion sans recul. La seconde, plus grave, évoque une forme de complicité tacite ou assumée avec un acteur politique, ce qui relèverait alors d’un manquement déontologique majeur. C’est toute la problématique de la cohabitation entre journalisme, marketing et communication en Afrique et à destination des Africains.

Quelle que soit l’interprétation retenue, cet épisode révèle un besoin urgent de clarification du rôle des journalistes lors des campagnes électorales. Peut-on s’exprimer librement lorsqu’on est journaliste en période de campagne ? Oui, mais cette liberté s’exerce dans un cadre de rigueur, de prudence et d’indépendance intellectuelle.

Un enjeu démocratique : restaurer la confiance dans les médias

«L’erreur d’un journaliste ne discrédite pas toute une profession. Mais elle rappelle combien la parole médiatique peut être lourde de conséquences en période sensible», disait André Jean Tudesq, un spécialiste français d’Histoire des médias, notamment, des médias africains. One devrait pas oublier que ça soit des outils traditionnels ou des expériences issues du numérique, la confiance du public dans les médias repose avant tout sur l’impression de neutralité et de fiabilité.

Puisqu’il y a des élections législatives et locales qui pointent à l’horizon, et pour éviter que de tels cas ne se reproduisent, plusieurs pistes peuvent être envisagées :

• Renforcement des formations déontologiques pour les journalistes, notamment en période électorale. À cet effet, la Haute Autorité de la Communication (HAC), et ses partenaires de l’Union Européenne, du PNUD, de l’UNESCO et de l’UNOCA, qui sont à l’œuvre autour de l’élection présidentielle actuelle, doivent aller au-delà de la formation des dirigeant d’entreprises de presse pour former les femmes et les hommes qui sont chargés de faire le terrain, de rencontrer le public et de le servir ;

• Mise en place de codes de conduite clairs et partagés dans les rédactions, même si l’on comprend bien aujourd’hui qu’un grand nombre de titres qui animent le paysage médiatique gabonais, ne dispose pas de salle de rédaction ou d’équipes rédactionnelles étoffées ;

• Création d’une cellule de vérification des faits interne aux chaînes, dédiée aux émissions politiques en direct. Le fack-checking est la nouveauté et l’exigence aujourd’hui pour des rédactions ou des journalistes freelances qui se respectent ;

• Encouragement à l’autorégulation via des instances professionnelles indépendantes, en comprenant le fait qu’aujourd’hui, certains responsables d’organes de ce genre se retrouvent dans les états-majors des candidats à cette élection présidentielle.

Conclusion : le journalisme gabonais à la croisée des chemins

L’affaire Joëlle Edédéghé Ndong n’est pas anodine. Elle révèle les failles d’un système médiatique encore vulnérable aux stratégies de communication des candidats. Dans une société où les médias sont appelés à jouer un rôle structurant dans la consolidation démocratique, l’exigence d’objectivité et de professionnalisme doit redevenir une priorité.

À la veille de grands rendez-vous électoraux, le Gabon a besoin d’un journalisme fort, indépendant et responsable. Car au-delà des studios et des écrans, ce sont les citoyens qui, dans l’isoloir, doivent pouvoir faire des choix éclairés – loin des manipulations, et proches de la vérité.

Docteur Emmanuel Thierry Koumba, Enseignant à l’Université Omar Bongo et à EM-Gabon Université

 

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