La BNF a trente ans ! Le lundi 31 mars 2025, l’architecte Dominique Perrault, l’auteur de la bibliothèque nationale de France, accompagnée de son associée Gaëlle Lauriot Prévost, s’est donc déplacé pour présenter à la presse… son dernier ouvrage : un livre dédié à la maille tissée ! Chroniques y était.
Si c’était une femme, elle serait dans la fleur de sa jeunesse. En tant que bâtiment, son espérance de vie a fondu comme neige, avec ou sans soleil, et malgré les injonctions louables du faire avec le déjà là. Trente ans, un seuil tout juste encore respectable ; cinquante ans : le risque est grand !
Voyez un peu l’« Architecture contemporaine remarquable » :
Tour 3M à Cergy-Pontoise, Paul Despondt 1976-2021
Tour Jean Zay à Antony, Eugène Beaudoin 1955-2010
Tour Insee à Malakoff, Honegger et Lana 1974-2023
Tour Arago à La Défense, Jean de Mailly 1961-2018
Tour Esso à La Défense, Gréber père-fils 1963-1993
Immeuble Chemetov à Courcouronnes 1984-2015
Institut de l’environnement, Joly et Prouvé 1969-1994.
Liste non exhaustive.
Le label, chacun l’a compris, est un petit bonus sans aucune valeur à l’intention des guides touristiques. Il est loin le temps des pyramides.
Pourtant ce bâtiment tours-livres, que l’on aime ou non, dans sa radicalité monumentale, minimale et symbolique, a déjà tout de la légende. Dominique Perrault s’est donc déplacé pour l’heureux anniversaire, accompagné de Gaëlle Lauriot Prévost, un prétexte toujours bienvenu pour revenir sur les étapes fortes de la conception. Pas un mot bien sûr – nul ne lui en voudra – sur les échecs cuisants : les vitres photosensibles n’ont jamais vraiment fonctionné, trop de lumière, trop de chaleur ; grandeurs et misères des technologies de pointe. Ni les ascenseurs livres, avérés peu efficaces – initialement prévus en hauteur ( à cause de la crue centennale) – les livres sont à présent stockés dans des « magasins enterrés » puis acheminés par tapis roulant… Le savoir est enfoui, à l’abri.
Dominique Perrault a donc retracé l’histoire de la conception, la topologie du quartier, la présence incontournable du chemin de fer, entraînant la nécessaire présence de la dalle – comme dans tous les autres projets, à cela près que Perrault est le seul à avoir conçu un projet partiellement enterré. Les tours s’élèvent à environ 79 mètres au-dessus de la dalle mais s’enfoncent à une vingtaine de mètres au-dessous. : « Dédiabolisons le sol artificiel », dit-il. « La dalle est une esplanade piétonne hospitalière qui prolonge les rues, un sol aimable qui va accueillir un jardin ».
Un jardin qui est une forêt urbaine, un défi climatique : « nous n’avons pas assez de terre, on construit la forêt au cœur de la bibliothèque, 176 pins plantés, avec des outils à la Léonard de Vinci, des grues de levage – imaginez le poids des aiguilles de pin et le poids de la motte. On plante comme on construit ».
Hélas… Forêt inaccessible au public. La conclusion est sans appel : « Les humains rentrent, la forêt meurt ».
Il faut l’accepter, mais la nature joue son rôle mythique de cloître et permet de se positionner dans l’espace – niveau de la ville, salles du premier étage, sous les pieds des arbres, grandes salles…
La grande affaire du jour en somme, celle qui rend l’architecte vraiment heureux, c’est cette maille qu’il appelle « tissu métallique ». Des tapis en inox ultrarésistants capable de convoyer des matériaux lourds de construction, détournés en tissus décoratifs, « la maille est d’acier, d’aluminium, de bronze, de cuivre. Elle est façade, toiture, rideau, parure, tapisserie ou mobilier. À la fois souple et robuste, opaque et transparente. Diablement ambivalente, elle est prête à tout pour accompagner le geste de l’architecte ». Elle laisse passer 50 % de la lumière en préservant l’intimité. Elle habille les pignons des quatre tours, l’intérieur comme l’extérieur, joue entre le massif et le tissage. Elle est partout, de la Bibliothèque nationale de France au Court Suzanne Lenglen à Roland-Garros et à la gare Villejuif-Gustave Roussy.
« Il faut le lisser proprement, finement, vous créez votre propre tissu, pour des raisons esthétiques et techniques… vous le pensez léger, il fait cinq tonnes ».
À la BNF, du poids des ans ?
Tina Bloch
« Maille métallique, l’histoire d’un tissage » par Gaelle Lauriot Prévost et Dominique Perrault (ouvrage de 2 304 pages en deux volumes sous coffret édité Gallimard. 350€. Parution le 5 juin 2025).

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