Politique

Territoire de Beni, Province du Nord Kivu, RD Congo : les Forces coalisées FARDC-MONUSCO engagées dans l’opération dénommée « Usalama » (Sécurité). Source : FLICKR. DR.
Depuis janvier 2025, l’Est de la République Démocratique du Congo (RDC) fait face à un nouvel embrasement de la guerre qui déchire sporadiquement le pays depuis les années 1990. Les régions congolaises du Nord et Sud-Kivu sont aujourd’hui largement occupées par le groupe armé M23 soutenu par le Rwanda. En plus de détenir des intérêts miniers majeurs en RDC, la Chine entretient des rapports économiques et sécuritaires étroits à la fois avec la RDC et le Rwanda. Bien que la déstabilisation de la région ait tout pour lui déplaire, Pékin maintient une position conciliante, révélatrice de sa stratégie sur le continent.
L’avancée du M23 dans les vastes territoires au Nord et Sud-Kivu riches en minerais s’est faite au prix de violences inouïes, entraînant le déplacement de 800 000 personnes depuis janvier. Aux massacres de civils s’ajoutent un usage systématique des viols de masse comme armes de guerre. Bien que Kigali nie officiellement toute implication, de nombreux rapports du groupe d’experts de l’ONU font état de la présence directe de 3 000 à 4 000 soldats rwandais aux côtés des rebelles, ainsi que du profit tiré par le Rwanda du pillage des ressources minières congolaises.
Pourtant, les réactions sur la scène internationale restent limitées. L’Union Européenne a annoncé sanctionner des généraux rwandais et des cadres du M23—une mesure largement symbolique—tandis que les États-Unis et l’Union africaine expriment leur préoccupation, sans toutefois envisager de remettre en cause les contrats miniers et militaires avec le Rwanda.
Le regard se tourne vers la Chine, qui est la puissance étrangère dominante dans la région. Depuis 2018, elle affirme être une actrice de paix et de stabilité en Afrique subsaharienne, voulant en faire un terrain prioritaire de son initiative de sécurité mondiale. Plus récemment, en février 2024 Pékin annonçait sa volonté de collaborer avec la RDC à la sécurité dans la région des Grands Lacs, où les affrontements se déroulent actuellement. Bien que Pékin se soit aligné avec la communauté internationale en condamnant l’occupation des territoires congolais ainsi que le soutien du Rwanda au M23, son attitude révèle la complexité de sa politique en matière de sécurité dans la région.
La RDC premier fournisseur de cuivre de la Chine
Les intérêts miniers de la Chine en RDC sont essentiels au bon développement de l’industrie chinoise. Durant la présidence de Joseph Kabila (2001-2019), des compagnies chinoises comme Sicomines (Sino-congolaise des mines), et Zijin Mining Group, ont acquis un monopole sur les concessions minières de cobalt, d’uranium et de cuivre, des matériaux essentiels au développement de l’industrie électronique et en technologies vertes de la Chine. En 2024, le pays d’Afrique centrale devient le premier fournisseur de cuivre de la Chine qui en importe 1,48 million de tonnes métriques, marquant une augmentation de 71% par rapport à l’année précédente.
Ces larges concessions minières possédées par la Chine sont principalement localisées dans la région du Haut-Katanga et de Lualaba dans le Sud du Congo. Contrairement à ces régions, dans les territoires du Nord et le Sud Kivu aujourd’hui aux mains des rebelles du M23, « les mineurs chinois dirigent de petites opérations souvent illégales, qui ne sont pas stratégiques pour Pékin », explique Talia Glazer, analyste associée chez J.S Held LLC.
Les intérêts miniers de la Chine dans le pays ne sont donc pas directement mis en danger par les récentes avancées rebelles, mais cela pourrait changer selon Christian-Geraud Neema Byamungu, éditeur Afrique du China Global South Project : « Pékin espère que les avancées rebelles n’atteindront pas le Katanga, si c’était le cas on verrait sûrement une différente posture de la Chine, qui sera mise dans une situation très délicate ». Une telle avancée des rebelles n’est pas exclue : des observateurs ont relevé l’émergence de tensions à Lubumbashi dans le sud du pays et le M23 a même menacé de prendre la capitale Kinshasa.
Un accord stratégique militaire infructueux avec la RDC
Une collaboration en matière de sécurité a été monnayée par la Chine, afin de sécuriser ses intérêts miniers dans la région. En septembre 2024, la Chine signe un accord stratégique militaire avec la RDC visant à améliorer la formation des troupes des Forces armées de la RDC (FARDC) et à soutenir la modernisation de son arsenal. Les forces congolaises possèdent aujourd’hui 3 drones de combat CH-4, dont 2 furent fournis par Pékin en février 2024 à l’occasion d’une recrudescence des violences autour de la ville de Goma.
Pourtant, même avec cette assistance chinoise, les troupes de la FARDC plient depuis janvier devant les avancées rebelles. Pour Paul Nantunlya, analyste du Africa Center for Strategic Studies et spécialiste des coopérations sécuritaires sino-africaines, l’assistance de la Chine à la RDC n’a pas porté ses fruits pour la même raison que les autres assistances étrangères : « Sans réforme politique de fond qui résolve les problèmes de corruption, aucune assistance étrangère ne pourra faire de l’armée congolaise une force efficace. »
Si la Chine exhorte aujourd’hui le Rwanda à respecter l’intégrité du territoire congolais, Pékin n’a néanmoins aucune intention de heurter ses relations amicales avec le petit pays d’Afrique centrale qui a rejoint la Belt and Road Initiative en 2018. La stabilité et la centralisation de l’État rwandais ont de quoi plaire à la Chine, qui y voit une base apte à faire fructifier ses investissements.
En matière de défense, à l’inverse de la FARDC, le Rwanda a fait bon usage de l’aide chinoise, estime Paul Nantunlya qui affirme que « l’assistance de la Chine a été cruciale dans la modernisation et la professionnalisation de l’armée Rwandaise ». En 2019 puis en 2023, des instructeurs de la Garde d’honneur de l’Armée populaire de Chine sont venus au Rwanda pour former des escadrons de la Rwanda Defense Force à l’occasion de défilés.
En matière de sécurité, la réputation de l’armée rwandaise comme étant moderne et disciplinée lui a valu de devenir un acteur clef de la sécurité sur le continent, elle est notamment déployée depuis 2021 au Mozambique pour faire face à la montée de groupes djihadistes. De ce fait, l’armée rwandaise a bénéficié de formations dispensées par la Chine ainsi que par les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Union Européenne.
Pékin espère ne pas avoir à prendre parti
Bien que la Chine ait supplanté la Russie comme première exportatrice d’armes en Afrique subsaharienne, il serait faux d’estimer que Pékin cherche à tirer un profit de ces ventes d’armes liées à l’escalade de ces conflits selon Neema Byamungu. Les achats d’armes dans la région restent limités, et ne compensent en rien les risques encourus par les investissements chinois dans le pays. De plus, si des observateurs ont relevé la présence d’armes chinoises aux mains de soldats du M23, l’explication est claire selon Nantunlya : les soldats congolais fuient et laissent leurs armes derrière eux, qui sont systématiquement récupérées par les soldats rebelles et par les troupes rwandaises.
Tout laisse imaginer que Pékin espère une réconciliation diplomatique qui la dispense de toute prise de parti, en ligne avec son approche globale du continent. A l’occasion du Sommet de Beijing du Forum sur la coopération sino-africaine de septembre 2024, Xi Jinping affirme l’opposition de la Chine à toute forme « d’ingérence extérieure dans les affaires intérieures des pays africains », favorisant le principe « solution africaine aux problèmes africains ». Christian-Geraud Neema Byamungu rappelle que Pékin s’abstiendra de toute prise de parti qui lui vaudra de perdre des alliés diplomatiques : « La Chine essayera toujours de maintenir des relations amicales avec toutes les parties, quoi qu’il arrive. Aux Nations Unies, la RDC et le Rwanda représentent chacun une voix, et c’est cela que la Chine garde en vue. »
Sur la scène mondiale, Pékin s’en tient au respect formel du droit international. Alors que le pays présidait le Conseil de Sécurité le mois dernier, l’ambassadeur chinois auprès des Nations Unies Fu Cong, a fermement condamné l’occupation des territoires congolais et a appelé au retrait des troupes et à une résolution pacifique du conflit. Pourtant le rapport du Conseil de Sécurité révèle que la mention d’une exigence de vérification et de transparence quant aux minéraux en provenance de l’Est de la RDC a été supprimée à la demande de la Chine.
La continuité de ses partenariats avec Pékin permet à Kigali de limiter les risques d’une isolation diplomatique. Alors que le 24 février, l’Union Européenne annonçait la suspension de ses consultations en matière de défense avec le Rwanda, quatre jours plus tard, le Ministère de la Défense rwandaise annonçait avoir reçu l’ambassadeur chinois H.E Wang Xuekun, pour une discussion portant sur leurs « intérêts partagés » et « l’approfondissement de leur coopération en matière de défense ».
Il pourrait peut-être s’agir là d’une nouvelle tentative de médiation discrète de la Chine, jouant sur ses bonnes relations avec les deux voisins. Paul Nantulya évoque de semblables efforts de Pékin essayant de faciliter le dialogue entre Kigali et Kinshasa en 2007, en 2009 et en 2012. L’analyste indique qu’il ne serait pas surpris si la rencontre du 15 mars entre l’ambassadeur sortant Wang Xuekun, son homologue angolais et le président rwandais Paul Kagame, avait été l’occasion d’un effort discret de soutien au processus Luanda (qui consiste en une négociation directe entre Kinshasa et Kigali sous la médiation du gouvernement angolais).
La Chine a beaucoup à perdre d’un embrasement régional du conflit, de l’affaiblissement de l’État congolais et d’un avancement des troupes rebelles dans les régions où se trouvent les mines chinoises. Ses intérêts économiques et sa réputation en tant qu’acteur mondial de sécurité et de stabilité pourraient se retrouver sur la sellette. Pour autant Pékin semble jusqu’ici donner la priorité à son objectif diplomatique : préserver autant que possible une bonne entente avec toutes les parties.
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