La Côte d’Ivoire face à de nouvelles inondations mortelles

Depuis le début du mois de juin, la saison des pluies a déjà provoqué la mort de trente-cinq personnes en Côte d’Ivoire, dont trois dans la ville septentrionale de Korhogo et trente-deux à Abidjan. C’est plus que le nombre total des décès dus aux inondations en 2023, officiellement estimé à trente. La moitié des victimes étaient les passagers d’un minibus qui s’est renversé dans un caniveau dans la commune de Yopougon, et dont les images ont fait le tour des réseaux sociaux. Les autres ont perdu la vie dans des glissements de terrain ou l’effondrement de leur habitation.

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Un bilan qui vient remettre en cause la politique d’assainissement lancée depuis janvier par les autorités du district d’Abidjan, dirigée par le gouverneur Ibrahima Cissé Bacongo, un baron du parti au pouvoir et proche du président Alassane Ouattara. 176 sites « à risque » ont été identifiés et une série de « déguerpissements » a eu lieu, ces évacuations forcées de population suivies de destructions d’habitations et de commerces informels, au nom de la lutte contre le désordre urbain et l’insalubrité, mais aussi de la prévention des inondations, éboulements et glissements de terrains.

« La vision du chef de l’Etat est claire, avait déclaré le porte-parole du gouvernement, Amadou Coulibaly, le 28 février. Il s’agit de préserver les vies humaines, d’éviter des morts à chaque saison des pluies. Sur les cinq dernières années, c’est plus d’une centaine de décès que nous avons enregistrés ! »

Plusieurs sites ont donc été « déguerpis » ces derniers mois, notamment dans les quartiers Gesco et Banco I de la commune de Yopougon et dans le bidonville de Boribana, dans la commune d’Attécoubé. Aucun bilan total du nombre de délogés n’a été communiqué, mais les associations travaillant sur le terrain estiment leur nombre à plusieurs milliers.

Sur des zones non constructibles

Une initiative salutaire, selon le président de l’ordre des architectes de Côte d’Ivoire, Joseph Amon, mais tardive, d’autant plus que les opérations se poursuivent même depuis le début de la saison des pluies. « Sans les “déguerpissements”, ç’aurait été une catastrophe, affirme-t-il. Avec le niveau de précipitations que nous avons connu ces dernières semaines, le nombre de victimes aurait été beaucoup plus élevé. En revanche, il aurait fallu s’y prendre bien en amont de la saison des pluies. »

Certains des sites à risque identifiés par le district d’Abidjan, souligne M. Amon, se trouvent sur des zones non constructibles, comme des flancs de ravins. « Le plan urbain d’Abidjan est conçu de telle sorte que beaucoup de zones sont utilisées comme des bassins d’orage, qui permettent de canaliser les eaux puis de les évacuer vers la lagune, rappelle-t-il. Quand la population s’installe sur ces bassins d’orage ou leurs versants, elle perturbe l’évacuation des eaux et cela peut créer des inondations. »

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Aussi était-il nécessaire de déplacer rapidement ces populations, estime l’architecte : « Il vaut mieux avoir une personne à la rue, sous un parapluie, que sous terre dans un cercueil. Mais il ne faut pas non plus la laisser vivre dehors, il faut lui trouver un toit. Le problème n’est pas que technique, il est aussi social. »

En mars, le gouvernement a promis un dispositif d’aide aux « déguerpis » de Yopougon et d’Attécoubé avec un plan de relogement et une indemnisation à hauteur de 250 000 francs CFA (quelque 380 euros) par ménage, pour un budget total évalué à près de 700 millions de francs CFA (environ 1 million d’euros), en plus d’une aide à la construction.

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Une aide jugée insuffisante et inégalement distribuée par les collectifs de « déguerpis », qui dénoncent des irrégularités, voire des actes de corruption dans la mise en œuvre du plan. La Cellule d’aménagement des quartiers précaires, un organe spécial dont la création avait été annoncée en mars par le gouvernement et qui devait être chargé de la programmation et du suivi des « déguerpissements », n’a pas encore donné de résultats.

Manque de « solutions pérennes »

Pour les principaux intéressés, la politique d’assainissement mise en avant par le district n’était qu’une excuse. « Ce ne sont pas les zones inondables qui ont été “déguerpies”, tranche Michel Irié, représentant des “déguerpis” de Banco I. Des magasins ont déjà commencé à pousser sur certaines zones “déguerpies”, comme le boulevard de la Concorde entre Adjamé et Attécoubé, signale M. Irié. Il semblerait absurde de lancer pareils chantiers s’il s’agissait de zones inondables. »

Une position partagée par Rosé Koné, la porte-parole des « déguerpis » de la cité Eden à Gesco, rasée mi-février. « En vingt-quatre ans d’existence, notre cité n’a jamais été inondée, assure-t-elle. Pas plus que le reste de Gesco. »

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Les principaux partis d’opposition se sont emparés de la polémique pour dénoncer l’inefficacité de la politique d’assainissement qui, initiée par le district d’Abidjan, a été reprise en main par le premier ministre depuis mars. « Les inondations dans la capitale ne font qu’endeuiller les familles, accusait ainsi le 17 juin un reportage de PPA CI TV, la chaîne du parti de l’ancien président Laurent Gbagbo. Pourtant, en vue de remédier à la situation, des quartiers entiers ont été rasés et des travaux interminables et budgétivores sont visibles chaque jour. En 2024, Abidjan continue d’être immergé. »

Une semaine plus tard, Générations et peuples solidaires, la formation politique de l’ancien chef du gouvernement Guillaume Soro, aujourd’hui en exil, critiquait à son tour dans un communiqué le manque de « solutions pérennes » face aux inondations, qui « angoissent les populations d’Abidjan au début de chaque saison des pluies », reprochant également au gouvernement de n’avoir « pas eu la moindre compassion ».

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Dans son adresse à la nation le 18 juin, le président Alassane Ouattara avait adressé une « pensée particulière » aux familles endeuillées et souhaité « un prompt rétablissement aux blessés ». Sans revenir sur la stratégie d’assainissement et de « déguerpissements », le chef de l’Etat avait mis en garde « sur l’impact des changements climatiques qui peuvent avoir des conséquences graves sur notre mode de vie et sur le développement de notre pays ».

Une position reprise le 26 juin par Amadou Coulibaly à l’issue d’un conseil des ministres. Le ministre de la communication a réitéré « l’engagement de la Côte d’Ivoire à renforcer la lutte contre les changements climatiques » et annoncé la mise en place d’une commission nationale chargée de « superviser toutes les initiatives en la matière afin de créer une synergie d’action et d’améliorer la gouvernance ».

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