Deux plans d’aménagement cumulant plus de 100 millions d’euros vont être lancés pour sauvegarder et restaurer des forêts dégradées du sud du pays en faisant, comme sur d’autres projets, le choix d’un usage mixte et du recours aux acteurs privés, alors que le couvert forestier disparaît à grande vitesse.
Sauvegarder et régénérer des forêts dégradées, sans obérer le développement des populations locales, c’est l’objectif en forme de gageure de plusieurs programmes récemment confirmés en Côte d’Ivoire. Situés dans l’extrême sud du pays, à l’est de San Pedro, les projets de Monogaga et d’Okromodou ont notamment été officialisés les 13 et 14 mars derniers par Laurent Tchagba, ministre des Eaux et forêts.
Le plan d’aménagement de la forêt classée de Monogaga (San-Pedro) vise à restaurer cette zone où le couvert original a été fortement affecté par les activités humaines et l’agriculture, y compris la culture du cacao ou de l’anacarde. En vue de limiter les conflits d’usage, y compris au sein des populations locales, la forêt qui s’étend sur une superficie d’environ 40 000 hectares, dégradée à plus de 80 %, sera compartimentée en différentes zones : agroforesterie, écotourisme, agroforêt permanente et temporaire et enfin zone strictement protégée. Pour cela, un plan de développement de 31 milliards de FCFA (47,2 millions d’euros) sur dix ans a été validé par les pouvoirs publics dans le cadre d’une convention avec l’ONG ivoirienne Roots Wild Foundation, à charge pour elle de mobiliser 28 milliards de FCFA sur cette période.
Les villageois installés de longue date dans cette forêt (45 000 personnes) continueront de vivre et d’exploiter leurs parcelles sur 13 000 hectares de zones dites « agro-forêts permanentes ». Ils pourront notamment demeurer dans la zone dite agro-forêt temporaire et y continuer l’exploitation de plantations de cacaoyers, sous réserve de ne pas en établir d’autres et de replanter des arbres dans ces cacaoyères, tout en s’acquittant auprès de l’État d’un loyer annuel de 30 000 FCFA (46 euros) par hectare. Le but, à terme, est de replanter 22 950 hectares dans la zone d’agro-forêt temporaire et de restaurer 62 % de cette forêt, classée depuis 1973, et officiellement transformée en agroforêt en septembre 2024, pour favoriser la commercialisation internationale du cacao.
Un projet comparable a été validé l y a dix jours par le ministre Laurent Tchagba pour la remise en état de la réserve forestière d’Okromodou, située dans le département de Sassandra (est de San Pedro). Celle-ci s’étend sur plus de 96 000 hectares, mais est, elle aussi, dégradée à 70 % par les activités agricoles et les coupes illégales de bois. Comme à Monogaga, le projet d’Okromodou repose sur un zonage des différentes activités, ce à quoi s’ajoute l’investissement dans des aménagements à visée socio-économique comme l’adduction d’eau, l’électrification, la mise en place de centres de santé et d’écoles. Le chiffrage de ce programme est de 41 milliards FCFA (62 millions d’euros) sur dix ans.
Pour ces projets, sur les aspects de gestion commerciale du bois et de sa transformation, le ministère des Eaux et forêts travaille avec les opérateurs privés Société de Transformation des Bois du Sud (STBS) et From Timber to Lumber (FTTL), deux sociétés sœurs. Ces programmes dans le sud du pays s’inscrivent dans la lignée de projets dans d’autres régions, comme le plan d’aménagement de la forêt classée du Haut-Sassandra (projet Karidja). Cette forêt de 70 000 ha, pour partie dégradée, et où les conflits d’usage sont nombreux, fait l’objet d’un plan de régénération. Celui-ci doit être financé par des crédits carbone Redd+, dans le cadre d’un contrat à confirmer de 50 ans avec deux entreprises spécialisées : le bureau d’étude environnemental ivoirien AgroMap et aDryada, une société française spécialisée dans les nature-based solutions et liée au fonds d’investissement Ardian. Une initiative du même type a été préfigurée en février 2024 dans le nord du pays (Niellepouo et Suitoro) par le ministre des Eaux et forêts et un consortium constitué de l’entreprise suisse Allcot AG et du groupe émirati Fadox. Il vise la réhabilitation de 86 000 hectares de forêt et la génération de crédits carbone dans le cadre d’un projet estimé à 160 millions de dollars.
A côté de ces projets, la Côte d’Ivoire bénéficie, par ailleurs, d’un important appui financier de la Banque mondiale dans le cadre du programme PIF-2 (Projet d’investissement forestier, phase 2). Validé en 2022, ce programme-cadre, doté de 148 millions de dollars jusqu’en 2029, se décline en de très nombreuses composantes et sous-projets environnementaux, sociaux ou économiques, pour certains en articulation avec l’initiative internationale Cacao et forêts (ICF) associant les grands industriels mondiaux du chocolat.
La Côte d’Ivoire a connu ces dernières décennies une forte chute de sa surface forestière. Selon un inventaire de 2021, le couvert était alors de 2,97 millions d’hectares (9,2% du territoire), contre 7,8 millions d’hectares en 1990. Le cadre actuel de la politique forestière ivoirienne remonte à mai 2018 (SPREF – Stratégie de préservation, de réhabilitation et d’extension des forêts). L’objectif de l’État est de porter la couverture forestière à 20 % du territoire à l’horizon 2030, soit un accroissement d’au moins 3 millions d’hectares. Un véritable défi. Selon une étude de 2021 d’ONF International, au rythme actuel de déforestation et de dégradation, la forêt passera sous la barre des 2 millions d’hectares en 2035, entraînant une disparition inéluctable de la faune emblématique du pays (éléphant de forêt, hippopotame pygmée, chimpanzé, etc…), hors parcs nationaux. Au plan strictement économique, la protection du couvert forestier revêt une importance cruciale pour la Côte d’Ivoire, premier producteur mondial de cacao, en raison de la mise en application, le 30 décembre 2025, du règlement européen, dit EUDR, contre la déforestation. Le domaine forestier ivoirien classé est géré, pour rappel, par la Sodefor (Société de développement des forêts), une société publique, en difficultés financières et qui fait actuellement l’objet d’un plan de restructuration.
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