À l’occasion du Salon du livre africain 2025 qui met à l’honneur cette année la littérature camerounaise, « Chemins d’écriture » donne la parole à Max Lobe, originaire du Cameroun. Ce romancier trentenaire, issu de la nouvelle génération littéraire de ce pays, fait entendre dans son nouveau roman, une voix poétique, ponctuée d’intranquilité et de quête identitaire inassouvie.
À bientôt 40 ans, le Camerounais Max Lobe est sans doute le plus Genevois des écrivains africains. Débarqué au pays de Guillaume Tell et de Ramuz il y a plus de deux décennies, il vit aujourd’hui à Genève. Il a fait des études d’histoire et d’administration publique, avant de s’engager dans l’écriture.
Les enjeux de la littérature
Auteur aujourd’hui de sept romans, l’écrivain aime raconter que sa vocation littéraire est née en découvrant les ouvrages de sa compatriote Calixthe Beyala dont il a lu et relu le beau et grand récit féministe Les honneurs perdus il ne sait plus combien de fois. Pour lui, le déclic est venu en 2009 lorsqu’il a remporté le prestigieux prix de la Sorge pour une de ses premières nouvelles qu’il avait envoyée au jury du prix sans trop y croire. Le texte fut même lu en public. « Là, j’ai réalisé que mes mots pouvaient toucher des gens », se souvient le romancier.
Depuis, il n’a plus cessé d’écrire, gagnant en maturité de livre en livre et en prise de conscience sur les enjeux de la littérature. Sept romans plus tard, chaque fois qu’il prend la parole pour dire pourquoi il écrit, il est envahi par un flot d’émotions qui étranglent sa voix.
« Vous me demandez pourquoi j’écris ? J’écris parce qu’il y a une flamme au-dedans de moi. Rien ne peut l’éteindre, sauf peut-être la mort. Je tremble un peu en vous répondant, mais je sais que c’est parce que je suis animé de ce feu sacré que je peux convoquer des voix, faire vivre sur la page blanche des hommes et femmes d’hier et d’aujourd’hui, construire des œuvres qui me survivront peut-être. J’ai le sentiment de créer du néant de mon imagination quelque chose qui va s’inscrire dans un cadre plus grand que nous. C’est ce qui me pousse à écrire. »
Ce « cadre plus grand que nous » auquel l’écrivain aspire a pour nom l’Histoire avec un grand « H », que Lobe mêle avec brio, avec la petite histoire singulière de nos vies, de nos malheurs, de nos quêtes. Toutes ces thématiques sont au cœur de La danse des pères, un nouveau roman particulièrement poignant sous la plume de ce Camerounais genevois, nourrie à l’encre noire de l’exil.
« Le Lion guerrier »
Le récit s’ouvre sur la silhouette d’un jeune homme accoudé à la fenêtre de son appartement genevois, scrutant le ciel nocturne. Il tend l’oreille vers les voix de son passé. « J’essaye de me connecter au wifi de ma mémoire qui me projette loin, lorsque soudain me parviennent les couleurs, les senteurs, les voix de mon enfance, là-bas à Beedi, surtout celle de mon père, Kundè Di Gwet Njé, le Lion guerrier… », raconte le narrateur. La danse des pères est un roman à la fois politique et personnel, voire autofictionnel, mais raconté à travers la voix d’un certain Benjamin, originaire du Cameroun et aussi Genevois tout comme l’auteur.
Danseur classique de profession, Benjamin retrace sa généalogie familiale, littéraire et politique à travers les admirations et les rejets qui l’ont forgé. Il se souvient surtout de son père, des pas de funky-makossa que celui-ci esquissait parfois, lors des réunions de famille où il leur contait l’histoire de la résistance camerounaise contre ce qu’il appelle non sans mépris « la chose blanche ». Pendant ces soirées, il était beaucoup question de l’opposant Ruben um Nyobe, massacré avec ses hommes par le colonisateur et ses complices. Les nouveaux régimes issus de la décolonisation ne trouvaient pas non plus grâce aux yeux du père qui ne pardonnait pas aux Ahidjo et autres Paul Biya d’être devenus les marionnettes de Paris.
Dans l’esprit du narrateur, le souvenir de ce père, disparu il y a 15 ans, reste aussi étroitement associé à son rejet brutal de son fils à cause de son homosexualité affichée. « Celui-là n’est pas mon fils », répétait-il. La résistance contre l’impérialisme occidental était leur seul terrain d’entente. « Mon écriture est toujours politique, mais pour parler de politique de manière apaisée, j’ai convoqué la danse, les ancêtres, leurs esprits, par des esprits de naissance et des récits de renaissance », confie l’auteur.
En attendant le grand soleil tropical
Ce n’est d’ailleurs pas accidentel si le dernier chapitre du roman s’intitule simplement 2025. C’est bien sûr en référence à l’élection présidentielle d’octobre 2025. « La grande liberté est la véritable thématique de ce roman, explique l’auteur. C’est le rêve de tout Camerounais de voir le grand soleil tropical se lever sur leur pays avec le possible retrait du président nonagénaire en place depuis quatre décennies et l’entrée en scène d’une nouvelle classe politique plus jeune, davantage en phase avec leurs aspirations. »
Roman politique, roman d’éducation, La Danse des pères est aussi un roman d’apprentissage littéraire évoqué à travers les pages consacrées à Mongo Beti, maître-à-penser, mais aussi à James Baldwin, Frantz Fanon et autres Angela Davis. Sans oublier les classiques de la littérature française récupérés par la mère à la fermeture de la bibliothèque de quartier. Qualifiés de « salade de scandales » par le père farouchement anticolonial et francophobe, les Candide et Les Contes de Grimm, pour ne citer que ceux-là, ne sont sans doute pas étrangers à l’écriture enjouée et ironique de Max Lobé, le plus Camerounais des écrivains genevois.
►La danse des pères, par Max Lobe. Éditions Zoé, 176 pages, 17 euros.
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