La désintégration de la Cedeao pourrait faire flamber les prix alimentaires et aggraver la famine en Afrique de l’Ouest

La Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) a perdu trois de ses membres fondateurs le 29 janvier 2025. Le Burkina Faso, le Mali et le Niger représentaient 16 % de la population du bloc de 424 millions et 7 % de son économie.

Certains observateurs ont qualifié leur départ, annoncé pour la première fois il y a un an, de « Sahelexit ». La décision de quitter la Cedeao a été prise par les chefs militaires des trois pays et est maintenant maintenant entrée en vigueur. Les trois pays ont créé l’Alliance des États du Sahel (AES), un pacte de défense et de sécurité mutuelles officialisé par la Charte de Liptako Gourma en 2023.

La décision de quitter la Cedeao fait suite aux coups d’État militaires contre des dirigeants démocratiquement élus au Mali en 2021, au Burkina Faso en 2022 et au Niger en 2023. Le Protocole de la Cedeao sur la démocratie et la gouvernance interdit les changements anticonstitutionnels de gouvernement. L’organisme régional a donc imposé des sanctions économiques, financières et des restrictions de voyage à chaque pays après chaque putsh.

Les denrées alimentaires ont été exemptées des sanctions. Mais l’allongement de la durée de transports et d’autres contraintes logistiques qui en ont résulté ont contribué à une forte inflation des prix des denrées alimentaires dans la région. Au Niger, par exemple, le prix moyen du riz sur le marché a augmenté de 38 % entre juillet 2023, date à laquelle les sanctions ont été imposées pour la première fois, et février 2024, date à laquelle elles ont été levées.

Les autres pays de la Cedeao ont également été durement touchés. Les recettes du Bénin au port de Cotonou, principal point de transit des marchandises à destination du Niger, ont chuté de façon spectaculaire. Les sanctions contre le Mali ont gravement affecté les revenus du port de Dakar, au Sénégal voisin.

Toutes les sanctions ont été levées en février 2024. Le mal était déjà fait. Les trois États avaient commencé à préparer leur départ de l’organisme régional.

La Cedeao a accordé à ces trois États une période de transition jusqu’en juillet 2025 au cas où ils feraient marche arrière et voudraient revenir. Mais les dirigeants de l’Alliance des États du Sahel ont déclaré que leur décision était irréversible.

Le retrait de ces trois pays de la plus grande union politique et économique d’Afrique risque de perturber la circulation des biens et services et des personnes. *En tant spécialiste de l’économie politique qui se concentre sur la politique agricole et nutritionnelle dans une grande partie de l’Afrique, je crains que ces développements n’aient de graves conséquences sur la sécurité alimentaire dans une région où près de 17 millions d’enfants de moins de cinq ans souffrent déjà de malnutrition aiguë.

Déjà, le coût d’un régime alimentaire nutritif quotidien dans les trois pays de l’alliance du Sahel est 110 % plus élevé que le salaire minimum journalier en Afrique de l’Ouest. Ces pays font également partie des zones les plus touchées par la faim dans le monde. Début 2025, 7,5 millions de personnes étaient classées en situation de crise, d’urgence ou de famine.

Le retrait mettra également en péril la coopération régionale en matière de conflit. Les attaques des insurgés se déplacent plus au sud du Sahel.

Cela réduira l’accès à une alimentation sûre et abordable et dissuadera les investissements dans l’agro-industrie.

Un coup dur pour le commerce

Les implications de la sortie sont particulièrement perceptibles dans les relations commerciales. Bien que les trois pays restent membres de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) francophone, ils quittent l’union douanière de la Cedeao, qui comprend les pays anglophones de la région. Une union douanière supprime les droits de douane entre ses États membres et établit un tarif extérieur commun sur les États non membres. Les membres bénéficient d’une plus grande liberté en matière d’échanges commerciaux tout en protégeant leurs industries nationales de la concurrence extérieure. Depuis 2015, les droits de douane sur les importations de marchandises intra-Cedeao ont été supprimés. Un tarif extérieur commun est appliqué aux importations en provenance de pays non membres de la Cedeao.

La sortie de la Cedeao signifie que les trois pays devront adhérer aux taux de droits de douane extérieurs communs pour leurs importations dans les pays membres de la Cedeao. Ils reviendront également aux taux de la nation la plus favorisée de l’Organisation mondiale du commerce sur les importations en provenance des pays de la Cedeao, qui sont plus élevés que ceux de la Cedeao pour certains produits.

En d’autres termes, pour certaines marchandises, y compris les produits agricoles, les importations seront plus chères pour tous les pays. Les trois États seront encore plus affectés par le prélèvement communautaire, la taxe de 0,5 % que la Cedeao impose sur les marchandises provenant d’États non membres de la Cedeao pour financer le budget de l’organisation.

Ces trois pays sont enclavés. Quitter la Cedeao signifie qu’ils perdent l’accès à des ports comme Tema au Ghana et Lagos au Nigeria. Cela aura des conséquences sur certaines de leurs principales exportations. Par exemple, près de 60 % des exportations de légumes du Burkina Faso et 90 % de ses exportations d’animaux vivants sont destinées au Ghana et à la Côte d’Ivoire.

Le Ghana, avec la Côte d’Ivoire et le Bénin, est un marché d’exportation clé pour les oignons du Niger. Le Niger importe également une grande partie de ses produits alimentaires du Nigeria, l’un de ses principaux partenaires commerciaux dans la région.

Les droits de douane et les prélèvements pourraient donc augmenter le coût des denrées alimentaires pour les consommateurs de l’Alliance des États du Sahel et des autres pays de la Cedeao.

Le retrait des trois pays affectera également la production alimentaire en raison d’un accès réduit à l’électricité ainsi qu’à la farine de blé et aux huiles comestibles. Le trio risque d’être exclu du Système d’échange d’énergie électrique ouest-africain de la Cedeao, qui vise à accroître l’accès des membres au marché régional de l’électricité. Le Burkina Faso et le Niger importent la majeure partie de leur électricité de Côte d’Ivoire et du Nigeria.

Enfin, les moyens de subsistance des migrants sahéliens vivant dans les pays de la Cedeao restent incertains. En raison du protocole de la Cedeao sur la liberté de circulation, plus de 1,3 million de Burkinabés et un demi-million de Maliens vivent en Côte d’Ivoire. Beaucoup d’entre eux dirigent de petites entreprises du secteur informel pour subvenir aux besoins de leur famille restée au pays.

Probables scénarios

La Cedeao fête son 50e anniversaire en 2025. À quoi pourrait ressembler l’avenir ?

Les dirigeants de la junte proposent différentes façons de faire évoluer les relations entre l’Alliance des États du Sahel et la Cedeao. Par exemple, ils ont affirmé qu’ils maintiendraient l’exemption de visa pour les voyages des pays de la Cedeao vers les leurs. Mais les 12 États membres restants de la Cedeao devraient approuver cette proposition. L’alliance a également lancé son propre passeport, mais on ne sait pas exactement comment les États de la Cedeao traiteront les citoyens qui l’utiliseront.

Un autre scénario possible est qu’ils négocient des accords bilatéraux avec leurs principaux partenaires commerciaux de la Cedeao et avec d’autres pays qui offrent un accès à la mer, tels que la Mauritanie et le Maroc. Ce scénario va évidemment à l’encontre des efforts visant à renforcer l’intégration commerciale régionale.

Enfin, les problèmes entourant le « Sahelexit » reflètent des tensions plus globales. Il s’agit notamment de savoir si les objectifs politiques doivent être intégrés dans les accords commerciaux – un débat également au cœur du renouvellement éventuel de la loi américaine sur la croissance et les possibilités économiques en Afrique (AGOA) cette année – et si les préoccupations relatives à la souveraineté nationale vont compromettre la coopération régionale face aux menaces transfrontalières liées au climat, aux conflits et à la santé, qui pèsent sur la sécurité alimentaire.

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