la France condamnée pour violation du droit à la vie

27 février 2025 à 16h06

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Il a fallu atteindre le dernier échelon du droit pour enfin obtenir justice. Ce 27 janvier, la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) a condamné la France pour violation du « droit à la vie » à la suite de la mort de Rémi Fraisse. Le jeune homme avait été tué par une grenade lancée par un gendarme mobile lors d’une manifestation contre un projet de barrage à Sivens, dans le Tarn, dans la nuit du 25 au 26 octobre 2014. Suspendu, le projet en lui-même a été jugé illégal en 2016.

Pour autant, jamais le gendarme auteur du lancer, comme sa hiérarchie, n’ont été mis en examen pour la mort du militant écologiste et l’enquête judiciaire s’est soldée par un non-lieu définitif. Quant à la justice administrative, elle a reconnu en 2023 que l’État était « civilement responsable » des dégâts causés par ses opérations de maintien de l’ordre, tout en précisant qu’il n’y avait pas eu de « faute » commise à Sivens. La CEDH vient ainsi mettre un terme à cette absence constante de condamnation de fond. Dans son arrêt, elle relève à la fois « des défaillances de la chaîne de commandement » et de l’organisation des opérations.

Les armes utilisées sont également mises en cause. La grenade fatale à Rémi Fraisse « était problématique en raison de l’absence d’un cadre d’emploi précis et protecteur ». Même si celle-ci a été interdite en 2017, les forces de police disposent toujours d’autres grenades similaires. S’ajoute à cela qu’aucune autorité civile n’était présente sur place au moment des faits et « ne pouvait, à distance, complètement percevoir l’ampleur des affrontements et la situation rencontrée par les forces de l’ordre ». Dans ces conditions, le risque d’atteinte au droit à la vie des manifestants était présent, ce qui viole l’article 2 de la convention européenne des droits d’homme.

« C’est une confirmation de ce qui était pressenti depuis le début »

Cette condamnation, assortie d’un total de 50 700 euros d’indemnités versées aux membres de la famille de Rémi Fraisse, clôture plus de dix ans de bataille judiciaire. Pour Claire Dujardin, avocate de la mère et de la sœur de Rémi, cette décision est « une victoire et une confirmation de ce qui été pressenti depuis le début : le maintien de l’ordre à Sivens n’apportait pas les garanties suffisantes pour éviter que Rémi ne soit tué ».


Un mémorial de fleurs a été planté dans la zone humide du Testet, à Sivens, à la mémoire de Rémi Fraisse, le 26 octobre 2024.
© Antoine Berlioz / Hans Lucas / Reporterre

Dans un court communiqué, le père de Rémi, Jean-Pierre Fraisse, estime quant à lui que « cette condamnation établit de manière définitive que Rémi » âgé de 21 ans « a été tué par la France en raison d’ordres […] manifestement disproportionnés ». Pour lui, « la France ne sort pas grandie de cette affaire. Elle le serait si elle mettait tout en œuvre pour que de tels faits ne se reproduisent pas ».

Au cabinet d’avocat Spinosi, qui accompagnait le père devant la CEDH, on observe que « c’est la première fois que la Cour condamne la France sur le maintien de l’ordre en manifestation ». La France avait déjà été condamnée en 2023 pour l’usage de techniques policières comme les nasses, mais cette fois « l’arrêt dit en sous-texte que l’encadrement était lacunaire et ces armes, dites intermédiaires, s’avéraient en fait particulièrement dangereuses, élément longtemps nié par les autorités ».

Le maintien de l’ordre à la française remis en cause

Dans sa décision, la Cour a en revanche mis hors de cause l’enquête et la procédure elle-même, qui ne sont pour elle entachées « d’aucun manquement à l’indépendance et à l’impartialité ». Mais pour parvenir à cette conclusion, elle s’appuie notamment sur le travail du Défenseur des droits, seule instance à avoir auditionné le préfet et son directeur de cabinet aux responsabilités à l’époque. Un paradoxe quand on constate que le travail fourni par cette institution est rarement considéré par les tribunaux et l’État.

En 2017, 2021 et encore en 2023, elle n’a cessé d’alerter sur les dérives du maintien de l’ordre, sans que cela n’empêche la persistance de graves violences à l’encontre des manifestants à Sainte-Soline en 2023 ou l’an dernier sur le tracé de l’autoroute Castres-Toulouse. Deux projets qui ont en commun, comme Sivens, d’avoir dû subi pendant des mois la violence d’État pour faire avancer des chantiers, avant que ceux-ci ne soit inévitablement déclarés illégaux par la justice.

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