La France et l’Allemagne sont-elles autant dépendantes de l’IA ?

Après avoir raté le coche lors de la révolution internet, puis celle des réseaux sociaux, l’Europe espère bien monter dans le train de l’intelligence artificielle. Dans ce cadre, la France et l’Allemagne, les deux locomotives de l’Europe continentale, ont placé leurs espoirs dans quelques startups prometteuses.

L’Hexagone nourrit ainsi de sacrées ambitions avec Mistral AI, tandis que la tech allemande peut compter sur Aleph Alpha comme fer de lance. Mais à l’arrivée, les écosystèmes des deux cotés du Rhin sont-ils sur la même longueur d’onde ?

35 % des investissements concentrés dans l’IA en France

Sur le papier, c’est la France qui fait la course en tête dans l’IA face à l’Allemagne. En effet, l’IA représente 35 % des montants levés dans la tech française en 2024, avec 2,5 milliards d’euros investis dans les jeunes pousses du secteur, en hausse de 35 % par rapport à 2023, observe l’étude annuelle sur l’évolution des investissements dans la tech en France et en Allemagne en 2024 réalisée par le fonds franco-allemand Iris. Dans le même temps, les startups engagées dans l’IA en Allemagne ont capté 1,9 milliard d’euros, en progression de 21 % sur un an, soit 25 % des investissements totaux dans la tech d’outre-Rhin.

«L’IA a été un formidable moteur d’investissement en France en 2024, mais l’enjeu pour 2025 sera de démontrer sa valeur économique réelle. L’IA n’est pas un secteur, c’est une technologie et en tant que telle, les startups qui se basent sur elle vont devoir prouver leur rentabilité, tandis que la prochaine vague d’innovation viendra des plateformes SaaS qui rendront l’IA exploitable à grande échelle», analyse Julien-David Nitlech, Managing Partner d’Iris.

922 millions d’euros levés en France par deux startups de l’IA

Néanmoins, l’investisseur estime qu’il faut nuancer la domination de l’Hexagone au niveau des investissements dans l’IA. «Si on regarde de plus près les montants levés, il n’y a que deux sociétés qui portent la moitié du marché de l’IA : Mistral AI avec 468 millions d’euros levés et Poolside avec 454 millions captés», souligne Julien-David Nitlech auprès de Maddyness. Ces deux sociétés concentrent en effet 922 millions d’euros

L’étude d’Iris illustre davantage ce constat : si 8 des 30 plus grosses levées (27 %) sont directement liées à l’IA, seulement 38 % de ces opérations concernent des sociétés dont l’IA est le cœur de métier. Dans les autres levées de fonds du secteur, l’IA apparaît plutôt comme une brique technologique au sein d’un produit existant, comme a pu le voir avec Alan (173 millions d’euros levés) et Pigment (131 millions d’euros). «La France est en position de force sur les modèles avancés et les solutions logicielles intelligentes, mais reste limitée en matière d’impact direct sur l’industrie et l’économie réelle», résume Iris.

Si l’on regarde du côté de l’Allemagne, il convient de souligner que 60 % des levées dans l’IA concernent des entreprises pour qui l’IA est un outil et non l’offre principale. C’est notamment le cas dans des secteurs stratégiques comme la cybersécurité, la santé et le transport. Par exemple, Helsing (450 millions d’euros levés) utilise l’IA dans la défense, tandis que ITM Radiopharma (188 millions) et Catalym (136 millions) appliquent l’IA à la recherche médicale. «Cette approche reflète une volonté d’intégration plus large de l’intelligence artificielle au sein des grandes industries allemandes, permettant une adoption rapide et généralisée de la technologie sur des marchés déjà établis», observe Iris.

La France à la peine sur l’early-stage et le late-stage

Si les différences se font au niveau de l’intégration dans l’économie réelle pour l’intelligence artificielle, elles sont plus prononcées dans les dynamiques d’investissement dans la tech de manière générale des deux côtés du Rhin. En effet, l’écosystème early-stage allemand a bien mieux résisté que la tech française l’an passé, avec 1 476 tours de table enregistrés (+26 % par rapport à 2023), contre seulement 780 en France (-39 %). «Cette différence s’explique en partie par une meilleure transparence sur les financements intermédiaires en Allemagne, qui permet une visibilité accrue sur l’activité réelle du marché, ainsi que par une implication plus forte des grands groupes et ETI qui financent directement 6 % des plus grosses levées en Allemagne», analyse Iris.

Le constant n’est gère meilleur sur le late-stage pour l’Hexagone, avec un nombre levées post-série A qui a chuté de 44 % en 2024, selon l’étude du fonds franco-allemand. Et sans surprise, ce sont les investisseurs, et dans une moindre mesure asiatique, qui se frottent les mains sur ce segment, puisque les fonds européens n’ont pas les poches assez profondes pour aller plus loin dans la chaîne de financement. Néanmoins, l’Allemagne s’en tire un peu mieux, avec des investisseurs, notamment les fonds de private equity et les corporates, qui assurent une meilleure transition vers le late-stage. «L’Allemagne capitalise sur une structure d’investissement plus diversifiée», résume Julien-David Nitlech.

Un marché du M&A en ébullition

Dans ce contexte, rendu plus incertain avec les vents contraires de l’économie mondiale et l’instabilité politique en France et en Allemagne (les deux pays ont changé de chef du gouvernement ces derniers mois), les faillites se multiplient. «Il y a beaucoup de défaillances, 2024 a été une année historique en France et en Allemagne», note Julien-David Nitlech. Conséquence directe de ce record de défaillances, le marché des fusions-acquisitions bat son plein. En France, les sorties les plus importantes en 2024 sont à mettre au crédit de Neoen (5,5 milliards d’euros, racheté par Brookfield) et Kyriba (3 milliards de dollars, acquis par Bridgepoint et General Atlantic).

A la lumière de ces enseignements, l’année 2025 devrait s’inscrire dans image de la précédente. Mais Julien-David Nitlech identifie quelques tendances majeures pour l’année en cours : «Ça va être une année très intéressante pour le growth, notamment avec l’IA et croissance des usages. On va aussi continuer à voir du M&A, avec un essorage des boîtes qui ne sont pas en forme qui va se poursuivre. Quant à l’IA, il sera intéressant de voir si on assiste à un début de la fin de la hype. Mais ce sera certainement progressif.» Dans ce contexte, les prochains mois ne seront pas de tout repos pour les fonds de private equity et les corporates. Et pour cause, ces acteurs joueront un rôle déterminant dans la stimulation du marché des exits des deux côtés du Rhin.

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