la France fait-elle le bon choix en relançant le nucléaire ?

► La France conserve son indépendance énergétique

Valérie Faudon, déléguée générale de la Société française d’énergie nucléaire (Sfen)

La question se pose de moins en moins, et la nécessité de relancer le nucléaire s’inscrit aujourd’hui à l’échelle européenne, après que de nombreux pays ont décidé de construire de nouveaux réacteurs. Selon l’Alliance pour le nucléaire, créée à l’initiative de la France et qui rassemble une quinzaine de nos voisins, il faudra porter la capacité du parc de 105 GW aujourd’hui (dont 61 GW en France) à 150 GW en 2050.

Cela passe à la fois par la prolongation de la durée de vie des installations existantes et par la construction de réacteurs. Pour la France, nous estimons que 30 à 40 GW de « nouveau nucléaire » seront nécessaires, c’est-à-dire au moins 14 EPR2 ainsi que des petits modèles, que l’on appelle SMR, qui serviront notamment pour produire de la chaleur pour des sites industriels ou de l’hydrogène vert.

Avec l’hydroélectricité, le nucléaire est, en effet, la seule énergie bas carbone et pilotable. Il consomme également assez peu d’espace, un facteur qui va prendre de plus en plus d’importance. Il répond, à la fois, à un impératif climatique et de sécurité d’approvisionnement. Car nous savons que le développement à grande échelle des énergies renouvelables va faire peser de plus en plus d’incertitudes sur les réseaux électriques et l’équilibre du système européen. D’autant que certains pays ont une stratégie électrique encore assez floue, comme l’Espagne, la Suisse ou l’Allemagne, qui va relancer un programme de centrales à gaz.

Nous observons d’ailleurs déjà des variabilités très fortes sur les réseaux. Pour l’instant, elles sont gérables au quotidien, mais il y a beaucoup d’interrogations sur le long terme. Que se passera-t-il, par exemple, si nous avons des semaines sans vent ? Avec les renouvelables, il y a aussi beaucoup de différences de production entre l’été et l’hiver.

En maintenant un socle important de nucléaire dans son mix électrique, la France conserve son indépendance énergétique et se donne les moyens de continuer à exporter du courant, à un prix très compétitif. Pour y parvenir, cela suppose de remettre à niveau la filière industrielle, qui a perdu l’habitude de construire. C’est ce qui explique les difficultés du chantier de l’EPR à Flamanville.

Mais aujourd’hui la donne a changé, et un consensus national est en train de se dessiner sur le sujet, car nous savons que nous n’atteindrons pas la neutralité carbone sans nucléaire. Même au sein de la Commission européenne, le discours n’est plus le même qu’il y a quelques années. À cela s’ajoute désormais une autre dimension, avec les préoccupations grandissantes autour de la réindustrialisation et de la souveraineté, qui donnent encore plus de place à la relance du nucléaire.

► Le choix le plus évident, ce seraient les énergies renouvelables

Damien Renault, administrateur du réseau Sortir du nucléaire

C’est un choix aberrant. Le choix le plus évident, ce seraient les énergies renouvelables. La majorité des pays vont sortir des énergies fossiles pour aller vers le renouvelable sans avoir recours au nucléaire. Mais la France reste dans le nucléaire. Pourtant, les scénarios de l’Ademe sortis en 2022 pour le mix électrique de 2050 sont clairs.

Deux d’entre eux ont le même niveau de consommation d’électricité. Mais pour la production, le premier contient six nouveaux EPR2, l’autre 24 GW d’éolien en mer flottant supplémentaires. Et tous deux aboutissent au même prix de l’électricité. On voit donc que l’alternative se pose entre ces six EPR2 – qui arriveraient de toute façon trop tard pour s’attaquer au réchauffement climatique – et les champs d’éoliennes offshore.

En plus, le coût de ces deux scénarios est proche : 1 318 milliards d’euros pour celui avec des éoliennes offshore et 1 309 pour celui avec six EPR2. Avec la hausse de 30 % du prix des EPR2 annoncée par EDF en début d’année, soit 15,7 milliards d’euros, on rattrape la différence. Le scénario à base d’éoliennes apparaît donc plus économique, en plus d’être désirable.

Je ne vois donc pas comment on pourrait préférer les centrales. Un réacteur en fonctionnement génère des déchets nucléaires, des effluents radioactifs et chimiques, qu’on retrouve ensuite dans l’air ou dans l’eau. Sans oublier les risques d’accidents. À l’EPR de Flamanville, des pièces avec des défauts vont être installées. Par exemple, la cuve a eu des problèmes au moment de la forge en 2006 : l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) en avait conscience dès le départ, mais, en 2018, elle a fait une dérogation au principe d’exclusion de rupture.

Aujourd’hui, il y a une majorité de pronucléaire à l’Assemblée : Renaissance, Les Républicains, le Rassemblement national. Mais Emmanuel Macron va être obligé d’investir dans le renouvelable, car le « pacte vert » européen impose 44 % d’énergies renouvelables dans le mix énergétique de la France d’ici à 2030. En réalité, mine de rien, le lobby pronucléaire perd du terrain : quand le gouvernement indique vouloir construire six à quatorze EPR2, on reste en deçà de la puissance du parc nucléaire actuel. La contribution des EPR2 à la production électrique est donc en fait évitable.

De plus, le passage aux transports électriques va dans le sens des renouvelables : le nucléaire ainsi que les moteurs thermiques des voitures sont relativement inefficaces énergétiquement, car en produisant de l’électricité ils dégagent beaucoup de chaleur. Ce n’est pas le cas des éoliennes et des panneaux photovoltaïques. Ni des voitures électriques. Et ça, c’est une bonne nouvelle.

Crédit: Lien source

Les commentaires sont fermés.