Cela devait être une première mondiale. La France devait révéler au premier semestre 2024 le nom de l’industriel sélectionné pour construire le premier parc éolien flottant commercial au monde, d’une puissance de 250 mégawatts, situé à 20 kilomètres au large des côtes de Belle-Île-en-Mer, après un an de retard sur l’organisation de l’appel d’offres numéro 5 (AO5). Tout laissait croire que le nom de l’heureux élu serait révélé le jeudi 2 mai, lors d’un discours gouvernemental consacré à l’accélération de l’éolien en mer. C’était sans compter sur un couac inattendu et inédit dans l’appel d’offres : le candidat désigné comme lauréat pressenti s’est finalement désisté. Et ce, très probablement en raison du caractère intenable du prix sur lequel ce même candidat s’était initialement engagé.
« A l’issue de l’instruction, une première société lauréate avait été désignée comme lauréat pressenti de la procédure, mais cette dernière a, par la suite, décidé de ne pas remettre la garantie bancaire nécessaire à la confirmation de son statut de lauréat », explique une source ministérielle. « Conformément aux dispositions du cahier des charges et du code de l’énergie, cette société s’est vue retirer son statut de lauréat pressenti et une seconde entreprise a été désignée lauréate. Sa nomination interviendra au dépôt de garantie bancaire », poursuit cette même source.
Des garanties bancaires colossales
Dans le détail, l’entreprise lauréate est tenue de déposer, dans un délai de 15 jours, une première garantie bancaire de 50 millions d’euros auprès des services de l’Etat. Puis quelques semaines plus tard, une deuxième garantie de 30 millions d’euros doit être déposée auprès du gestionnaire du réseau de transport d’électricité RTE. Au total, jusqu’à la décision finale d’investissement, qui intervient souvent quatre années après la désignation officielle de l’entreprise lauréate, celle-ci doit engager quelque 250 millions d’euros, dont 200 millions d’euros correspondant à des garanties bancaires « Et si la décision finale d’investissements n’est finalement pas prise, cette somme est perdue », explique Emmanuel Rollin, directeur général d’Iberdrola France, candidat à cet appel d’offres.
Or, selon toute vraisemblance, le premier lauréat pressenti redoutait de ne pas prendre cette fameuse décision finale d’investissements compte tenu du prix du mégawattheure sur lequel il s’était initialement engagé. Ce prix n’a pas officiellement été révélé, mais celui-ci était situé très en deçà des 140 euros du mégawattheure, le prix plafond fixé dans le cadre de l’AO5. En effet, le candidat en deuxième position et repêché par le gouvernement, a proposé un prix en dessous de la barre des 100 euros, a fait savoir le ministre de l’Economie Bruno Le Maire, le 2 mai dernier.
Un prix très agressif, bien inférieur à l’appel d’offres britannique
« Même 140 euros du mégawattheure nous paraissait un prix très agressif pour l’éolien flottant, qui n’est pas une technologie mature », confie Emmanuel Rollin. Pour rappel, ce tarif avait été défini à une période où la crise de l’éolien offshore, liée à l’inflation, à la flambée du prix des matières premières et à la hausse des taux d’intérêt, n’avait pas encore eu lieu. A l’époque, beaucoup d’études très optimistes envisageaient une convergence des tarifs entre l’éolien posé et l’éolien flottant.
A titre de comparaison, « le groupe de travail Catapult estime que le prix du mégawattheure du nouvel appel d’offres que lancera le Royaume-Uni, après que le précédent n’est donné lieu à aucune candidature en raison de son prix plafond trop faible, devrait se situer dans une fourchette comprise entre 120 et 200 livres, en livres 2024 », rapporte ce même développeur, soit entre 140 et 233 euros.
Comment expliquer une telle différence de prix de part et d’autre de la Manche ? Pour de nombreux observateurs les prix très agressifs déposés dans le cadre des appels d’offres français tiennent directement à la conception de leur cahier des charges, où le critère prix est prépondérant, et les critères hors-prix non-différenciants. « 70% de la note repose sur le tarif auquel l’électricité sera vendue par le lauréat pendant vingt ans. Et les 30 points restants, relatifs à des critères non-prix, sont attribués quasiment automatiquement car ce sont des critères relativement faciles à atteindre », expose Emmanuel Rollin. Ces critères sont liés au budget consacré aux études environnementales, à la mise en place d’un système de financement participatif, au chiffre d’affaires attribué à des PME ou encore à l’intégration de personnes éloignées de l’emploi. « Comme 30% des points sont automatiquement attribués, la bataille ne se joue que sur les tarifs, ce qui pousse le lauréat à proposer un prix très bas », explique-t-il.
Un risque pour la filière
Selon lui, cette approche présente deux risques : « Il est possible que ce projet avec ce tarif soit infaisable et soit donc abandonné [et ce malgré le fait que le tarif soit indexé sur des indices de l’Insee prenant notamment en compte l’inflation et le prix des matières premières. L’évolution des taux d’intérêt peut aussi être intégrée après désignation du lauréat, ndlr], comme cela a pu arriver au Royaume-Uni et aux Etats-Unis. Ensuite, le lauréat va être tenté d’acheter au moins cher les équipements, et donc, très certainement, de se tourner vers l’Asie. Or, aujourd’hui, les industriels installés en Europe n’affichent pas une santé financière florissante. Si pour leur marché domestique, sont préférés des industriels asiatiques, cela pose un vrai problème », estime-t-il.
Ce n’est pas la première fois que les prix très bas des appels d’offres français dans l’éolien en mer suscitent des inquiétudes. En mars 2023, EDF avait décroché le développement de son cinquième parc d’éoliennes posées en mer au prix de 44,9 euros le mégawattheure. Ce qui avait largement fait grincer des dents ses compétiteurs. « C’est un tarif que l’on ne voit dans aucun autre pays au monde », pointe un très bon connaisseur du secteur.
Le nouveau lauréat révélé en mai
Pour remédier à ce type de situation, de nombreux acteurs de la filière appellent à l’intégration le plus rapidement possible de nouveaux critères hors prix plus contraignants portant sur le contenu local. Comme le préconise la charte européenne sur l’éolien, cela pourrait être des critères liés à l’empreinte carbone ou encore à la cybersécurité et à la résilience. En attendant, le gouvernement devrait révéler le nom du candidat repêché de l’AO 5 d’ici la fin du mois de mai. En parallèle, une procédure de sanction à l’encontre du premier lauréat, qui s’est désisté, doit être lancée.
L’éolien flottant, une technologie stratégique pour la France
La technologie de l’éolien flottant, encore très émergente et bien plus coûteuse que l’éolien posé, est stratégique pour la France, dont la profondeur des fonds marins s’accentue très rapidement rendant inadaptées les éoliennes marines classiques. Ainsi, la part de l’éolien flottant en France devrait représenter environ 6 GW, soit un tiers des capacités d’éoliennes en mer installées à l’horizon 2035.
Au-delà de la vive compétition internationale sur la pièce maîtresse que constitue le flotteur, gagner la course de l’éolien flottant suppose de disposer des infrastructures portuaires adéquates, pour accueillir ces géants à pales. Et pour cause, chaque unité peut peser jusqu’à plusieurs milliers de tonnes. Or, les ports français ne sont pas encore adaptés et des investissements colossaux seront nécessaires.
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