la Guinée face à la malédiction des ressources naturelles

Par-delà les montagnes de Simandou, au sud-est de la Guinée, se joue peut-être le pari le plus ambitieux de l’histoire économique du pays. Pour la première fois, un projet minier ne se limite pas à l’extraction des ressources, mais ambitionne de structurer l’avenir de tout un pays. Et partant, de démentir la fameuse « théorie de la malédiction des ressources naturelles » qui incline à penser que les mines, loin d’être un atout, sont davantage un leurre.  Si le pari n’est pas impossible, il est cependant assujetti à des impératifs et des exigences que la Guinée va devoir satisfaire.

La Guinée n’est pas un pays pauvre. Elle est riche…d’un potentiel que lui confère en particulier, son sous-sol : bauxite, or, diamant, fer… Et pourtant, depuis son indépendance, il y a de cela bientôt 67 ans, elle demeure à la périphérie du développement. La raison ? Ce paradoxe bien connu des économistes, appelé la « malédiction des ressources », selon lequel les pays riches en matières premières connaissent souvent une croissance faible, une gouvernance instable, des tensions politiques et peu de diversification économique.

Avec Simandou, l’un des plus vastes gisements de fer au monde, la Guinée se trouve aujourd’hui à un tournant. Mais pour Abdoulaye Guirassy, économiste, politologue, et membre de l’Académie des Sciences de Guinée, il faut rester lucide. « Il est important de faire la différence entre le projet Simandou et le programme Simandou 2040. Le projet en soi — mines, chemin de fer, port, aciérie — n’est qu’un levier. Le vrai enjeu, c’est ce que le pays en fera à travers la planification économique », estime-t-il. Lui a même tendance à se méfier des richesses potentielles de la Guinée : « Les ressources naturelles peuvent être un piège. Il ne faut pas les voir comme une panacée. Le Japon, sans ressources naturelles, est devenu une puissance grâce à son capital humain. C’est là que réside la vraie richesse. »

Certes, les chiffres impressionnent. Le projet Simandou représente plus de 20 milliards de dollars d’investissement direct, un montant jamais atteint dans l’histoire économique du pays. De Beyla, au pied des massifs du Simandou, à Morebayah, au bord de l’Océan atlantique, des voiries ferrées longues de 650 km, sont en construction. A en croire le Fonds monétaire international (FMI), l’exploitation du Simandou pourrait augmenter le PIB guinéen de 26%. Alpha Abdoulaye Diallo, président de la commission économie et développement durable du CNT, y voit une occasion unique d’impulser une nouvelle dynamique économique structurelle. « Partout où cet argent passera, il y aura un impact. Le secteur privé va se renforcer via le contenu local. Les banques seront plus solvables, l’État collectera plus d’impôts et les budgets de santé, d’éducation ou d’infrastructures pourront augmenter. » Mais lui aussi fait des suggestions : « Nous devons modéliser cette rente. Pourquoi pas un tramway à Conakry ? Un fonds pour les générations futures ? Une agro-industrie moderne sur tout le corridor ? Mais cela nécessite une vision à long terme et une gouvernance irréprochable. »

Le ministre Directeur de cabinet de la présidence de la République, par ailleurs, président du comité stratégique du projet Simandou, Djiba Diakité, insiste quant à lui sur le caractère inédit de la gouvernance autour du projet. Selon lui, la rupture est réelle. Le projet n’est plus une simple juxtaposition de contrats entre l’État et des multinationales. « Avant, Simandou c’étaient deux projets séparés, deux lignes de chemin de fer, deux ports, deux visions. Aujourd’hui, tout est intégré dans une seule entreprise publique-privée : la Compagnie du Trans-guinéen », confiait-il récemment dans un entretien avec Forbes Afrique. Il assurait en outre : « Nous avons mis en place un guichet unique, un one-stop shop, et surtout un plan clair de contenu local. Le président du conseil d’administration est guinéen, le directeur général adjoint aussi. Le co-développement est devenu une réalité. » Djiba Diakité explique que ce modèle a permis de rassurer les investisseurs et de diviser les coûts par deux ou trois pour certains partenaires industriels. « C’est une première en Guinée. Nous avons contractuellement fixé des jalons pour éviter tout retard. L’objectif est que toutes les infrastructures soient opérationnelles fin 2025 », indique-t-il.

Pour que cette révolution économique profite à tous, encore faut-il garantir la transparence, l’équité, et le respect des normes sociales et environnementales. Amadou Bah, membre du comité de pilotage de l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives (ITIE), activiste dans l’ONG Action Mines Guinée et représentant de la société civile, en appelle à une gouvernance exigeante et rigoureuse. « Ce n’est pas que les revenus fiscaux qui comptent. C’est aussi la préservation de notre capital naturel. Il faut une application stricte des normes environnementales, une indemnisation juste des populations impactées, et une redistribution équitable des revenus », souligne-t-il. Il insiste en particulier sur la nécessité de renforcer les structures de contrôle comme l’Agence guinéenne d’évaluations environnementales (AGEE) ou les services techniques du ministère des Mines. « Il faut une loi sur la compensation et la réinstallation. Il faut assainir les finances publiques, lutter contre la corruption, et s’assurer que les investissements servent l’intérêt général », recommande-t-il également.

Au-delà de l’économie, à travers Simandou 2040, un programme arrimé au projet Simandou, les autorités promettent une démarche de valorisation globale du pays. Simandou 2040, un programme que le ministre-parole du gouvernement, Ousmane Gaoual Diallo, présente ainsi comme une vitrine internationale : « Ce programme vise à repositionner la Guinée sur l’échiquier international. Valoriser notre culture, nos paysages, nos projets de développement. Attirer des investisseurs. Faire de la Guinée, une terre de confiance. »

Mais pour que ce rêve ne demeure pas un simple slogan politique, il faudra embarquer le peuple dans cette aventure. Car comme le rappelle Thierno Hamidou Bah, citoyen de Conakry, la défiance reste forte « On ne peut pas se contenter de discours. Il faut que le citoyen comprenne ce qui se fait. Ce programme, tel qu’il est vendu, cache encore beaucoup de choses. On a vu d’autres pays riches en ressources naturelles stagner. Le Congo, le Nigeria… Est-ce que la Guinée fera mieux ? Est-ce que Simandou sera un départ ou un mirage » ?

Simandou 2040, au-delà de l’acier et des rails, pose donc une question fondamentale : la Guinée saura-t-elle cette fois transformer une richesse souterraine en richesse réelle et concrète, au profit de ses citoyens ? Le potentiel est là. L’architecture institutionnelle commence à se mettre en place. Les garde-fous sont identifiés. La vigilance citoyenne est en éveil. Mais tout dépendra des choix politiques à venir : ceux qui privilégieront l’intérêt collectif plutôt que les intérêts personnels. Ceux qui miseront sur le long terme plutôt que sur les profits immédiats. Et surtout, ceux qui donneront enfin à la Guinée les moyens d’écrire son propre récit économique.

Thierno Amadou Diallo


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