La nation à la rescousse, de la France au Canada

Justin Trudeau et Emmanuel Macron ont toujours été les deux faces d’une même pièce. Alors que le premier quitte la scène et que le second voit son pouvoir réduit avant de partir dans deux ans, leurs parcours politiques auront été d’une étonnante ressemblance. Élus à 18 mois d’intervalle, ils n’étaient encore que de jeunes politiciens glamour quand ils se firent les porte-parole d’une mondialisation heureuse déjà pourtant sur son déclin.

Mais le plus étonnant aura été de voir, depuis la réélection de Donald Trump, leur carrière politique se terminer par une même volte-face. Héritier du multiculturalisme de son père, Justin Trudeau n’avait-il pas défini le Canada comme le « premier État postnational » dès son élection en 2015 ? Sitôt élu, Emmanuel Macron s’empressera d’affirmer qu’il n’y a pas « une culture française » et que « l’art français », il ne l’a « jamais vu ». Pour lui, il n’y avait de nation digne de ce nom que la « start-up nation ».

Il aura pourtant suffi du retour de Donald Trump pour que tous deux en appellent soudain au patriotisme de leurs peuples respectifs. On croyait rêver en entendant tout à coup Justin Trudeau prononcer sur CNN les mots fatidiques d’« identité nationale ». Face à la mauvaise farce du 51e État américain, voilà le premier ministre d’un des pays les plus soumis du monde aux États-Unis posant en chevalier de la « souveraineté nationale ».

Emmanuel Macron n’est pas en reste. On a récemment vu ce chantre de l’Union européenne en appeler au « réarmement national » pour défendre rien de moins que la « patrie » ! Dans un élan nationaliste, le voilà qui lance cet appel : « La patrie a besoin de vous et de votre engagement. » Ainsi, le nationalisme ne serait plus cette chose abjecte qui n’aurait que du sang sur les mains.

La raison de tout cela est simple. Même si la défense de la patrie peut paraître insolite à ces générations élevées sous le règne de l’individu-roi et de la consommation de masse, on ne voit pas qui en France serait prêt à donner sa vie pour cette chose lointaine et nébuleuse qu’on appelle l’Europe. De même que nombre de Québécois hésiteraient à se mobiliser pour le Canada, qui leur est étranger à bien des égards, on ne voit pas demain des soldats français aller se battre en Ukraine. Même l’envoi de troupes pour garantir un cessez-le-feu est rejeté par 65 % des Français, selon un sondage CSA.

« Mourir pour des idées, d’accord, mais de mort lente », chantait Brassens. Pour mobiliser un peuple, il faut plus que des cocoricos. On ne donne pas sa vie pour de grands concepts abstraits, mais pour ses enfants, sa famille, son village et des gens ancrés quelque part dans une culture et une histoire communes. En d’autres mots, pour ce que l’écrivain Charles Péguy, mort à la guerre en 1914, appelait « la terre charnelle » et la « République de nos Pères ». N’est-ce pas ce dont les combattants ukrainiens font la preuve chaque jour ?

Si elle survient trop tard pour Justin Trudeau, se pourrait-il que cette nouvelle conjoncture arrive à point pour Emmanuel Macron ? Sans remettre en question la légitimité de ses appels au réarmement, notons que ceux-ci représentent une occasion en or, pour un président sans majorité et boudé par la population, de se remettre en selle. D’autant qu’Emmanuel Macron a toujours su manier le vocabulaire de la peur. « Nous sommes en guerre », avait-il déclaré à Mulhouse devant un hôpital militaire de campagne au seuil de l’épidémie de COVID-19. Un slogan répété mot pour mot à l’hiver 2023 lorsque la France craignait de manquer d’électricité. Sans oublier le « réarmement nataliste » prêché en 2024. Rappelons que le premier mandat du président s’est ouvert sur la démission du chef d’état-major des armées, Pierre de Villiers, qui refusait de diriger une armée en haillons face aux réductions budgétaires que lui imposait celui-là même qui fait aujourd’hui valser les milliards.

Admettons que les Français puissent douter d’un président incapable de mettre au pas l’Algérie et de faire libérer l’écrivain et citoyen français Boualem Sansal alors qu’il a des mots cent fois plus virulents contre la Russie. Sans être une menace directe et immédiate pour la France, celle-ci demeure néanmoins une puissance agressive plus qu’inquiétante aux confins de l’Europe. Raison de plus pour ne pas confier le réarmement de l’Europe à une structure comme l’Union européenne, qui n’a de comptes à rendre à personne puisqu’il n’y a pas de peuple européen. L’écrivain et académicien Pierre-Henri Simon, qui s’était élevé contre la torture en Algérie, voyait dans l’armée de nos démocraties la « personnification de la totalité d’un peuple ». Si, en tant qu’expression suprême de la souveraineté nationale, les armées peuvent collaborer, elles ne se partagent pas. Et le bouton nucléaire encore moins !

Le réarmement de l’Europe ne saurait donc être que l’œuvre de ses pays, au premier rang desquels on trouve la France, le Royaume-Uni, l’Allemagne et la Pologne. Selon tous les experts, il faudra une décennie pour y parvenir. C’est pourquoi on peut craindre que nos politiciens à la mémoire défaillante ne reviennent à des préoccupations plus immédiates dès que le bruit des bottes s’éloignera.

Dans un monde où les empires sont de retour, la guerre est une chose trop sérieuse pour la confier à ceux qui n’ont eu de cesse de nous faire croire qu’avec les nations et grâce à la mondialisation, elle n’était plus qu’une relique du passé.

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