La question nationale au cœur de l’économie gabonaise

  • Luc Pandjo Boumba


    Luc Pandjo Boumba est Docteur ès sciences économiques (Paris II Panthéon Assas). Il a été tour à tour, de 1990 à 2017, enseignant à l’université Omar Bongo de Libreville, directeur général dans la fonction publique gabonaise, puis dans les secteurs parapublic et privé pétrolier. Il est l’auteur notamment de « La violence du développement, pouvoir politique et rationalité économique des élites africaines » (L’harmattan, Paris).

Publié le 6 juillet 2024

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Ces dernières semaines,  le Fonds monétaire international (FMI) s’est invité dans le débat national au Gabon, indiquant une aggravation des déséquilibres budgétaires et une dette publique culminant à environ 70 % du PIB,  largement au-dessus des normes recommandées par la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac). Si l’Institution financière a relativisé le constat en adossant ce déséquilibre aux années antérieures, elle a en même temps attiré l’attention sur le caractère expansionniste de la politique budgétaire actuelle, autrement dit, l’envolée significative des dépenses publiques. L’on ne peut opportunément que replacer cette envolée de la dépense publique du pays dans un contexte de réappropriation au pas de course de son économie nationale, viatique assumé par les autorités gabonaises.

Incongruités édifiantes

Et pour cause, rarement un pays aura été confronté à un tel degré de captation de ses ressources économiques  par des intérêts étrangers. Une captation si sévère que, au cours de cette dernière décennie, elle a fait naître et a exacerbé chez les Gabonais un désir de réappropriation de leur économie. En effet, entre nominations de non nationaux à des fonctions régaliennes, inflation de main d’œuvre étrangère, naturalisations « discountées », bradage d’entreprises et de secteurs stratégiques, contrats miniers douteux voire léonins avec des sociétés étrangères, la liste des incongruités est édifiante, et les retards occasionnés dans la marche du pays en découlent. On le voit donc, la problématique ne renvoie pas à des fabulations anti-impérialistes mais à des réalités concrètes.


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Fortement traumatisée, l’opinion plaide désormais – et bruyamment – pour l’avènement d’un État national caractérisé par une citoyenneté restreinte. Ainsi, au terme du dialogue national d’avril dernier à Libreville, l’exclusivité d’accès à certaines fonctions aux « Gabonais de souche » est prônée par les uns, tandis que d’autres recommandent l’interdiction des fonctions régaliennes aux binationaux, y compris ceux dont seulement un des ascendants serait étranger. Ces recommandations sont toutefois et fort heureusement rejetées par une partie du corps social car risquant d’installer une citoyenneté de seconde zone.

Le journaliste de Jeune Afrique Georges Dougueli © Bruno Lévy / JA ; Montage : JA.

La nouvelle Constitution gabonaise désignera-t-elle l’étranger comme bouc émissaire ?

Au plan économique en revanche, le nouveau pouvoir  de transition de Libreville n’a eu aucun mal à s’inscrire dans une dynamique de patriotisme économique qui, à défaut de soulever des questions quant à sa légitimité, peut susciter des interrogations sur ses contours et son rythme. En effet, l’orientation actuelle de l’économie gabonaise n’est pas neutre, et l’imagerait-on que la doctrine économique nous le rappellerait.

L’État au cœur de l’appareil économique

De fait, la mise en place de cette économie nationale se déroule aujourd’hui selon certaines séquences. L’inventaire du patrimoine national, une opération de transparence initiée notamment dans les secteurs miniers et des hydrocarbures ; face à la méconnaissance du potentiel minier et de la foultitude d’opérateurs étrangers exerçant informellement dans le domaine de l’or, le gouvernement entreprend une vaste campagne afin de cerner le domaine minier pillé clandestinement. Le  secteur des hydrocarbures, considéré comme déséquilibré, n’est pas en reste. Le laborieux retour du pays dans le processus de l’initiative pour la transparence des industries extractives (Itie) pourtant entamé il y a trois ans ne peut que le conforter.