Publié le 6 juillet 2024
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Ces dernières semaines, le Fonds monétaire international (FMI) s’est invité dans le débat national au Gabon, indiquant une aggravation des déséquilibres budgétaires et une dette publique culminant à environ 70 % du PIB, largement au-dessus des normes recommandées par la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac). Si l’Institution financière a relativisé le constat en adossant ce déséquilibre aux années antérieures, elle a en même temps attiré l’attention sur le caractère expansionniste de la politique budgétaire actuelle, autrement dit, l’envolée significative des dépenses publiques. L’on ne peut opportunément que replacer cette envolée de la dépense publique du pays dans un contexte de réappropriation au pas de course de son économie nationale, viatique assumé par les autorités gabonaises.
Incongruités édifiantes
Et pour cause, rarement un pays aura été confronté à un tel degré de captation de ses ressources économiques par des intérêts étrangers. Une captation si sévère que, au cours de cette dernière décennie, elle a fait naître et a exacerbé chez les Gabonais un désir de réappropriation de leur économie. En effet, entre nominations de non nationaux à des fonctions régaliennes, inflation de main d’œuvre étrangère, naturalisations « discountées », bradage d’entreprises et de secteurs stratégiques, contrats miniers douteux voire léonins avec des sociétés étrangères, la liste des incongruités est édifiante, et les retards occasionnés dans la marche du pays en découlent. On le voit donc, la problématique ne renvoie pas à des fabulations anti-impérialistes mais à des réalités concrètes.
Fortement traumatisée, l’opinion plaide désormais – et bruyamment – pour l’avènement d’un État national caractérisé par une citoyenneté restreinte. Ainsi, au terme du dialogue national d’avril dernier à Libreville, l’exclusivité d’accès à certaines fonctions aux « Gabonais de souche » est prônée par les uns, tandis que d’autres recommandent l’interdiction des fonctions régaliennes aux binationaux, y compris ceux dont seulement un des ascendants serait étranger. Ces recommandations sont toutefois et fort heureusement rejetées par une partie du corps social car risquant d’installer une citoyenneté de seconde zone.
Au plan économique en revanche, le nouveau pouvoir de transition de Libreville n’a eu aucun mal à s’inscrire dans une dynamique de patriotisme économique qui, à défaut de soulever des questions quant à sa légitimité, peut susciter des interrogations sur ses contours et son rythme. En effet, l’orientation actuelle de l’économie gabonaise n’est pas neutre, et l’imagerait-on que la doctrine économique nous le rappellerait.
L’État au cœur de l’appareil économique
De fait, la mise en place de cette économie nationale se déroule aujourd’hui selon certaines séquences. L’inventaire du patrimoine national, une opération de transparence initiée notamment dans les secteurs miniers et des hydrocarbures ; face à la méconnaissance du potentiel minier et de la foultitude d’opérateurs étrangers exerçant informellement dans le domaine de l’or, le gouvernement entreprend une vaste campagne afin de cerner le domaine minier pillé clandestinement. Le secteur des hydrocarbures, considéré comme déséquilibré, n’est pas en reste. Le laborieux retour du pays dans le processus de l’initiative pour la transparence des industries extractives (Itie) pourtant entamé il y a trois ans ne peut que le conforter.
La deuxième séquence consiste en la remise de l’État au cœur de l’appareil économique dans les secteurs industriels pétroliers, miniers, mais aussi des services. Un décret vient ainsi de renforcer le principe de souveraineté permanente sur les substances souveraines dans le secteur minier. La Société équatoriale des mines, société d’État créée en 2011, confirme un peu plus son statut d’opérateur minier en devenant actionnaire majoritaire de la Raffinerie gabonaise de l’or. Dans le secteur des hydrocarbures, le gouvernement inscrit le rachat par l’État et par préemption des actifs de la Junior pétrolière Assala, et la récupération des champs pétroliers d’Addax par la Compagnie nationale pétrolière (GOC) , dans cette volonté de réappropriation de l’économie nationale. Et l’adoubement par l’État de la Convention des entreprises pétrolières autochtones récemment créée, vient conforter le processus de mise en œuvre du contenu local.
Dans le secteur des transports, le pays via la société nationale Fly Gabon créée il y a trois mois, a acquis 56 % du capital d’Afrijet, (Société aérienne privée qui demeure la seule opérant au Gabon), première étape vers la renaissance d’une Compagnie nationale aérienne. Au plan maritime, le renflouement en cours de la Compagnie nationale de navigation intérieure et internationale CNNI participe de la même logique. La reprise en cours du parc hôtelier public trusté de façon trouble, voire scandaleuse par des intérêts privés, tout en continuant à être abondé en ressources publiques, est édifiante. Enfin la prise de participation de 35 % du capital de la compagnie commerciale Ceca-Gadis, leader de la distribution au Gabon achève de convaincre l’opinion de la lame de fonds qui traverse l’économie. Ces séquences heurtent nécessairement des intérêts, des positions et des rentes que certains auront beau jeu d’assimiler à des atteintes au caractère libéral de l’économie et aux restrictions à la propriété privée. Pour autant, cette montée en puissance d’une économie nationale est opportune dès lors que la dynamique s’entoure de toutes les précautions d’un État de droit.
Empêcher d’enrichir l’étranger
Le concept d’économie dite nationale tire ses racines dans les batailles idéologiques de l’économie politique opposant les contempteurs du libre-échange à ceux du protectionnisme, notamment les mercantilistes au XVIᵉ siècle. Et la diversité des écrits ramène la doctrine à la nécessité d’un État fort et respecté n’hésitant pas à intervenir financièrement et administrativement dans l’économie. Pour autant, et a fortiori à l’époque de mondialisation, une économie nationale n’est pas une économie fermée, car elle peut bien se caractériser par un taux d’ouverture économique et commerciale significatif vers l’extérieur comme c’est le cas au Gabon, avec des investisseurs étrangers qui y prospèrent. Elle n’est pas non plus une économie nationalisée, l’État n’ayant pas vocation à investir et à s’investir dans tous les domaines de l’activité, à y opérer en tant qu’industriel ou opérateur de services.
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Une économie nationale produit pour substituer les importations, capitalise les richesses créées au lieu de les laisser s’évader, fait bénéficier à ses populations de la valeur ajoutée créée en l’empêchant d’enrichir essentiellement l’étranger. De façon classique, la prévalence de l’économie nationale opère par les nationalisations ou un contrôle public et réglementaire hardi du système productif ; la stratégie économique actuelle au Gabon se situerait entre les deux et son équilibre garantirait l’efficacité de la mise en place de l’économie nationale.
L’implication de l’État dans la sphère productive doit, en effet, être équilibrée. L’échec des nationalisations a historiquement démontré les limites de l’État entrepreneur. Le vertige des attentes populaires constitue également un enjeu tant les déficits en tous genres ne pourraient être comblés que sur la durée, sauf à s’installer dans une spirale dangereuse. Les contraintes financières liées à l’endettement constituent de ce point de vue un défi majeur, le risque de la boulimie de la dépense publique n’étant jamais loin.
État national fortement revendiqué, économie nationale dont on vient de montrer qu’elle s’installe légitimement, en définitive, la prise en charge raisonnée et éclairée de la question nationale constitue l’enjeu critique pour cette phase de transition au Gabon, et au-delà pour le devenir de ce pays.
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