la réforme du système électoral, clé de voûte de la transition démocratique

Au Gabon, depuis le renversement de l’ancien régime survenu fin août 2023, plusieurs réformes sont en cours. Elles visent notamment à perfectionner le système électoral, avec un double objectif d’élaboration d’un nouveau code électoral et de mise en place d’un nouvel organe de gestion des élections. Mais les processus à l’œuvre génèrent de vifs débats dans la vie politique gabonaise.

Certains observateurs redoutent que le nouvel organe soit totalement aux ordres du Comité pour la transition et la restauration des institutions (CTRI), la junte militaire désormais au pouvoir, et que dès lors, les prochains scrutins ne soient que des parodies d’élections à l’instar de celles tenues pendant les décennies de règne de la famille Bongo. Or c’est notamment au nom de la restauration de l’« intégrité électorale » qu’avait été conduit le putsch d’août dernier…

De l’élection au putsch

Rappelons que le coup d’État est survenu dès l’annonce, le 30 août 2023, des résultats de l’élection présidentielle attribuant une large victoire à Ali Bongo (en poste depuis le décès de son père Omar Bongo en 2009). À la proclamation de la réélection du président sortant, les putschistes ont aussitôt annulé le scrutin. Pour structurer leur action, ils ont créé le CTRI qui a désigné le général Brice Clotaire Oligui Nguema président de la transition.

Peu de temps après son investiture, Oligui Nguema met en place une charte de la transition qui fixe le cadre institutionnel de l’exercice du pouvoir dans une durée minimale de deux ans, promettant qu’une présidentielle se tiendrait en août 2025.

La dynamique de restauration a permis au CTRI de rétablir la relation avec les gouvernés en instaurant un « dialogue national inclusif » à l’issue duquel certaines réformes ont été initiées. Dans son communiqué n°061, le CTRI confère au ministre de l’Intérieur l’entière responsabilité de l’organisation des élections. Certaines voix de l’opposition y voient une forme de reproduction atavique de l’ancienne gouvernance électorale. Dans quelle mesure cette réforme est-elle gage de la transparence des futurs scrutins ?

Du coup d’État à la réforme électorale

L’analyse du communiqué du CTRI révèle des éléments discutables. Expliquant la dissolution des institutions de l’ancien régime qui avaient failli, le porte-parole du CTRI affirme que « l’une de celles qui avaient le plus failli est le Centre gabonais des élections (CGE) ».

En fondant cette opinion uniquement sur la lecture des résultats du scrutin d’août 2023 par le président du CGE, il occulte toutefois certaines séquences du processus électoral et néglige l’apport des autres acteurs dans l’aboutissement de ces résultats. Ne tente-t-on pas de jeter l’opprobre sur le CGE d’antan pour crédibiliser ou magnifier le choix désormais porté sur le ministère de l’Intérieur ? On ne doit pas perdre de vue que, durant la « période des Bongo », les prérogatives du ministre de l’Intérieur semblaient l’ériger comme le garant du processus électoral. De ce fait, son ancienne gestion laisse plutôt des traces opaques qui semblent inscrire l’actuelle réforme dans une logique de « dépendance au chemin emprunté » – formule désignant le fait qu’un nouveau pouvoir doit dans une certaine mesure s’appuyer sur des trajectoires préexistantes.

La nouvelle élite gouvernante ambitionne d’organiser « les élections comme dans les grandes démocraties du monde ». Cet optimisme doit toutefois être dilué par la prise en compte de l’héritage du régime déchu dans les « manières de faire et d’agir » des Gabonais. Le slogan politique « c’est enfin notre essor vers la félicité » initié par le CTRI ne semble pas résister à la persistance des vieilles habitudes autoritaires et clientélistes. Au contraire, certains membres du « groupe gouvernant » semblent les reprendre à leur compte. C’est pourquoi il est parfois avancé que le coup d’État n’a abouti qu’au renouvellement de l’ancien régime, et que le CTRI ne serait qu’un « PDG bis » (PDG étant l’acronyme de Parti démocratique gabonais, la formation politique au pouvoir soixante ans durant jusqu’en 2023).

Cette vision des choses ne semble cependant pas prendre en compte le critère de la « qualité de la démocratie », le Gabon se trouvant actuellement dans la « zone de transit » de la dictature à la démocratie. Ce passage transitoire reste dominé par un autoritarisme qui n’est pas de nature à faciliter la transparence électorale. On peut néanmoins y voir le début d’un processus de « transition électorale ».

Le rétablissement du monopole du ministre de l’Intérieur sur l’organisation des élections

En tant que mécanisme de dévolution du pouvoir, l’élection doit s’opérer dans la régularité. Sa solennité impose un certain professionnalisme. Les différentes modifications électorales observées depuis la période du retour au multipartisme à la fin des années 1980 mettent en exergue le rôle déterminant de l’organe de gestion des élections. Or, au cours de ces dernières décennies, on a pu percevoir les limites d’un système officiellement démocratisé, mais qui ne s’était pas encore débarrassé des errances autoritaires qui confisquaient la possibilité d’un changement de pouvoir par les urnes. Cet autoritarisme électoral a sauté aux yeux lors des élections générales d’août 2023. Les déficiences du système électoral gabonais, que le régime déchu refusait de reconnaître, sont devenues évidentes pour tout le monde. L’actuelle réforme électorale est censée tirer les leçons des errances passées.

La plupart des études sur les systèmes électoraux révèlent que le choix d’un organe de gestion des élections n’est pas totalement dénué d’arrière-pensées politiques. En l’absence de rapports de force politique clairs, du fait du gel de la vie des partis décrété au lendemain du putsch, ce choix ravive des interrogations, surtout dans un contexte où le cadre institutionnel permet à l’actuel président Oligui Nguema de se porter candidat, même si son discours d’investiture annonçait qu’il ne le ferait pas.

La domestication du champ politique observée dans l’ancien régime à travers la prééminence du chef de l’État transparaît par exemple dans les propos de l’actuel président à l’égard du ministre de l’Énergie et des Ressources hydrauliques lors d’une visite à Koulamoutou : « Le ministre est là, il m’écoute. Il sait ce que nous nous sommes dit et le délai que je lui ai fixé. Dépassé ce délai, il part. »

Ce discours montre la continuité de la prépondérance du chef de l’État – une prépondérance qui, dans le précédent système, lui a toujours permis de manipuler les institutions à sa guise. Sur le plan électoral, il renseigne la difficulté de sortir de ce qu’Hélène Combes et Gabriel Vommaro ont qualifié de « rapport politique personnalisé » qui permet d’instaurer de fortes loyautés.

Vers un « idéal type » d’organe de gestion électorale

Les scandales récents liés aux concours administratifs au Gabon mettent en lumière la permanence et la persistance des pratiques clientélaires et népotistes dans le champ sociopolitique gabonais.

Transposés sur le champ électoral, ces scandales invitent non pas à s’appesantir sur le débat de la solidité des textes (qui sont parfois d’une qualité remarquable), mais à reconsidérer l’idée selon laquelle c’est la volonté des Hommes qui donne sens ou force aux institutions. Ils sont un indice important qui nous renseigne sur la fragilité de la gouvernance actuelle qui tient en majeure partie sur les anciennes habitudes. Néanmoins, cet indice ne paraît pas suffisant pour envisager une analyse sur les futures élections. On peut tout même songer à repenser une institution indépendante avec un personnel qui coordonnerait au mieux les choix des citoyens-électeurs.

Considérant la corruption et la politisation de l’administration comme des facteurs ayant conduit aux forfaitures relevées supra, le retour et/ou maintien du ministre de l’Intérieur nécessite une refonte systémique qui le détache de toute allégeance ou emprise politique et partisane. Cela implique de servir l’État dans une démarche transparente et autonome, quitte à développer un « devoir d’ingratitude » vis-à-vis du président de la République. Inscrit dans une logique d’apprentissage démocratique, le nouveau pouvoir doit se donner l’objectif d’instaurer la « discipline électorale » et de s’éloigner des thèses culturalistes et sournoises de la démocratie (l’influence du chef, nomination comme une faveur ou redevance…), surtout en matière électorale.

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