Deux pas en avant, un pas en arrière… Quand on parle de voitures autonomes, il est difficile de savoir sur quel pied danser. L’arlésienne du secteur automobile éveille tous les fantasmes avec, en figure de proue, les constructeurs et les Gafam.
Dès les années 2010, ces différents acteurs sont allés de leur prototype, partant du principe que le véhicule autonome allait devenir un nouvel eldorado, avec une technologie qui semblait propice à l’émergence de la conduite sans chauffeur. Une dizaine d’années plus tard, les véhicules totalement autonomes ne courent pas les rues, mais les entreprises continuent d’y croire.
Lentement, mais sûrement, les constructeurs avancent sur la technologie de la conduite automatisée. La Society of Automotive Engineers (SAE) a élaboré un classement en six niveaux pour mesurer le degré d’automatisation. Celui‑ci va du niveau 0, sans aucune automatisation, au niveau 5, qui représente ni plus ni moins que l’autonomie totale. Ce dernier niveau, personne n’est parvenu à l’atteindre pour le moment.
En revanche, l’autonomie de niveau 2, qui permet une assistance avancée sans remplacer le conducteur, est la plus répandue.
L’autonomie de niveau 3 dans les starting-blocks
Mais le niveau 3, lorsque le véhicule se conduit seul dans certaines conditions – sur les autoroutes ou encore les embouteillages –, émerge peu à peu. Pour le moment, il est l’apanage des modèles haut de gamme. Au Japon, Honda, pionnier dans le domaine, commercialise la Legend depuis 2021. Dotée de la technologie Sensing Elite, l’autonomie reste réservée aux conditions spécifiques d’embouteillages.
De l’autre côté du globe, quelques mois plus tard, Mercedes‑Benz obtient l’homologation de son système Drive Pilot commercialisé dans les Classe S et EQS, réservé à certaines portions d’autoroute outre‑Rhin et dans deux États américains en 2023. BMW a aussi inclus le niveau 3 dans la Série 7 avec la technologie Personal CoPilot pour des portions d’autoroute en Allemagne en 2024.
Mais la technologie pourrait voir le jour dans des véhicules plus accessibles économiquement. En février 2025, BYD a ainsi annoncé le déploiement de son système d’autonomie de niveau 3 sur 21 de ses modèles, y compris les plus abordables, à l’image de la Seagull, commercialisée à partir de 69 800 yuans (9 270 euros). Si le constructeur chinois concrétise ses ambitions, les lignes pourraient bien bouger. « D’ici à quelques années, l’automatisation d’un véhicule deviendra un outil indispensable comme les ceintures de sécurité ou les airbags« , anticipe Wang Chuanfu, fondateur de BYD.
La différence majeure entre les Américains et les Européens, c’est qu’ils n’abandonnent pas les start‑up qui se retrouvent en difficulté. En temps de crise, il y a toujours des investissementsBruno Mendes Da Silva, fondateur de Heex
Les constructeurs chinois n’hésitent pas à intégrer l’intelligence artificielle à leurs véhicules. Pour cela, des marques comme Geely, Leapmotor, Great Wall Motor et BYD ont noué des partenariats avec DeepSeek, le nouvel acteur national sur le marché de l’IA qui a fait grand bruit pour ses performances pour un investissement inférieur à ceux de géants américains. BYD a d’ailleurs vu son action bondir de 4,5 % après les annonces sur l’automatisation.
Du côté des constructeurs français, le groupe Stellantis a dévoilé son prototype de conduite autonome baptisé STLA AutoDrive 1.0. Un système qui permet une autonomie de niveau 3, jusqu’à 60 km/h y compris en pleine nuit ou lors de conditions météo réduisant la visibilité.
Une technologie destinée principalement aux zones à trafic dense et aux embouteillages. Le groupe anticipe l’avenir avec une architecture évolutive du système via le cloud, pouvant faire grimper l’autonomie à des vitesses jusqu’à 95 km/h sur tout type de routes – lorsque la réglementation l’autorisera.

Les véhicules autonomes Waymo réalisent près de 150 000 trajets par semaine.
Les États-Unis, pionniers du robot-taxi
Le fantasme de science‑fiction d’un véhicule qui se conduit tout seul semble lointain. Pourtant, il suffit de traverser l’Atlantique pour voir des voitures sans chauffeur arpenter les rues de grandes villes. S’il y a bien un pays en avance dans le monde, ce sont les États‑Unis. Même en intégrant ce sujet dans son plan d’action pour l’automobile, l’Europe est loin d’avancer de concert sur le sujet.
Pour cette technologie, le pays de l’Oncle Sam peut compter sur ses géants de la tech et des entrepreneurs pour impulser une dynamique. L’ambition n’étant pas la commercialisation d’un modèle, mais plutôt de proposer un service spécifique, afin de rentabiliser des investissements colossaux. Ainsi, le modèle économique des robots‑taxis a vu le jour. Des véhicules d’une autonomie de niveau 4 qui sont capables de rouler dans des zones spécifiques sans l’intervention d’un conducteur.
À l’initiative, Waymo, filiale d’Alphabet (Google), opère une flotte de près de 700 taxis autonomes depuis 2020, dans quatre grandes villes américaines, en Arizona, au Texas et en Californie.
« À la différence d’acteurs européens, les entreprises américaines spécialisées dans le véhicule autonome ont trouvé un moyen de déployer commercialement leur offre. Les investissements de Waymo, qui s’est lancé sur le sujet en 2009, portent désormais leurs fruits. Aujourd’hui, la filiale de Google permet de réaliser près de 150 000 trajets par semaine et a pris 20 % de part de marché à un acteur historique comme Uber« , souligne Bruno Mendes Da Silva, fondateur de Heex, start‑up créée en 2019, spécialisée dans le traitement des données de véhicules autonomes.
Un service voué à s’étendre à d’autres villes et États. Les spécialistes de la conduite automatisée peuvent bénéficier d’une législation particulièrement favorable au déploiement du véhicule autonome, comme au Nevada, premier État à légiférer sur la question de la conduite automatisée (dès 2011), en Arizona, en Californie, au Texas ou encore en Floride.

Stellantis a présenté son système STLA AutoDrive 1.0 pour une autonomie de ses futurs véhicules de niveau 3.
Un marché américain pas toujours rose
Pour rendre possible cette conduite autonome, les géants de la tech délèguent la partie « voiture » aux acteurs historiques du secteur, les constructeurs. Ainsi, Waymo s’est rapproché de plusieurs constructeurs comme Renault, Nissan, Jaguar ou encore, depuis octobre 2024, de Hyundai, pour intégrer la conduite autonome à des Ioniq 5.
Un marché du robot‑taxi qui devient de plus en plus concurrentiel avec des acteurs comme Zoox (racheté par Amazon en 2020), Tesla, Uber ou encore Lyft. Mais dans ce bouillon de projets, certains s’en sortent moins bien.
Une concurrence accrue qui a eu la peau de Cruise, start‑up fondée en 2013 par Kyle Vogt et Dan Kan et rachetée par General Motors trois ans plus tard. Les planètes semblaient pourtant alignées pour se présenter comme un concurrent sérieux face à Waymo.
Avec son véhicule Cruise Origin, la filiale de GM commence à proposer en 2022 un service de robots‑taxis à San Francisco, ouvert au public. Un service qui s’interrompt brutalement en octobre 2023, à la suite d’un accident grave, entraînant le décès d’un piéton et impliquant l’un de ses véhicules.
Un autre géant abandonne son projet de véhicules automatisés : Apple. En 2024, l’entreprise décide de renoncer à son projet Titan, selon des sources anonymes au média Bloomberg, souhaitant privilégier l’essor de l’IA.

Zoox, le taxi robotisé prometteur a été présenté au CES 2025. ©Zoox
La Chine, un challenger sérieux
« Nous pouvons comparer le véhicule autonome avec l’envol du premier homme sur la Lune : il faut des investissements massifs« , fait le parallèle Bruno Mendes Da Silva. Comme pour la course à l’espace, ce sont les grandes puissances économiques qui sont réellement en concurrence. Selon France Stratégie, la Chine aurait investi depuis 2012 « une centaine de milliards d’euros » dans la recherche et le développement du véhicule autonome.
Depuis 2018, l’Empire du Milieu légifère sur le développement de cette technologie et des mégalopoles, comme Pékin, Wuhan, Shenzhen et Shanghai, facilitent l’accès à leurs routes aux acteurs locaux de la conduite automatisée.
En volume de robots‑taxis en exploitation commerciale, la Chine semble faire la course en tête avec près de 2 000 véhicules en circulation. En septembre 2023, près de 15 000 km de routes étaient ouvertes aux véhicules autonomes, précise France Stratégie.
Cinq acteurs nationaux, soutenus par le gouvernement, se partagent la part du gâteau : Baidu, AutoX, Pony.ai, WeRide et Didi Chuxing. À Wuhan, près de 500 robots‑taxis circulaient en 2024, dont une grande partie opérée par la filiale du géant Baidu, Apollo.
« En Chine, tous les constructeurs tentent d’implémenter la conduite autonome et le pays est devenu en peu de temps très performant dans le domaine, soutient Bruno Mendes Da Silva. Il y a beaucoup de Chinois qui ont fait leurs études dans de prestigieuses écoles, au MIT, à Stanford, qui ont par la suite rejoint des start‑up travaillant sur les véhicules autonomes à partir de 2015 et qui sont rentrés en Chine. Aujourd’hui, ils ont clairement les meilleurs ingénieurs.«

La start‑up Navya a traversé des difficultés financières.
L’Europe à la traîne
Sur le Vieux Continent, les robots‑taxis ont du mal à prendre leur envol. L’implantation d’un tel service s’avère complexe dans l’Union européenne, en raison de l’organisation même de l’institution. Cette dernière s’est dotée d’un cadre réglementaire bien plus strict en matière de circulation en véhicules autonomes.
Il existe ainsi, au sein de l’UE, le règlement d’exécution 2022/1 426 voté par la Commission le 5 août 2022, qui vise justement à encadrer les Adas et l’automatisation des véhicules. Ce texte définit les conditions de réception de ce type de modèles via la mise en œuvre d’un système d’homologation, censé garantir l’aspect sécurité et cybersécurité. Plus de précautions impliquent un ralentissement de l’émergence potentielle de véhicules entièrement autonomes. Mais la réglementation n’est pas le seul frein.
En matière d’urbanisme, les villes européennes ont une organisation plus chaotique que les métropoles américaines, quadrillées par des voies larges. Ce qui ne facilite pas la tâche d’un véhicule qui doit anticiper les moindres gestes des piétons et la circulation.
Mais il faut aussi ajouter un facteur social. Les Américains ont une culture de la voiture individuelle, là où les Européens sont davantage enclins à prendre les transports en commun. En France, c’est cette voie‑là qui a été explorée par certains entrepreneurs… Avec peu de succès.
La start‑up toulousaine EasyMile est parvenue à mettre à la route quelques navettes sans chauffeur depuis 2022. En dépit d’une levée de fonds de 55 millions d’euros en 2021, auprès du fonds américain Searchlight Capital Partners, l’entreprise a été placée en redressement judiciaire en fin d’année 2024 pour des difficultés à financer son service et pour trouver de nouveaux investisseurs.
Dans le même domaine, Navya, start‑up lyonnaise, pionnière sur le véhicule autonome, a traversé moult turbulences ces dernières années. À la suite d’un redressement judiciaire en 2023, la start‑up tombe sous la direction des groupes français Gaussin et japonais Macnica, avant de finir à 100 % dans l’escarcelle japonaise après le retrait de l’acteur tricolore.
La difficulté de ces entreprises françaises illustre bien l’incertitude des Européens sur cette technologie. « Il y a un manque d’ambition sur le déploiement commercial. La différence majeure entre les Américains et les Européens, c’est qu’ils n’abandonnent pas les start‑up qui se retrouvent en difficulté. En temps de crise, il y a toujours des investissements, pointe du doigt Bruno Mendes Da Silva. Les écosystèmes du véhicule autonome sont aujourd’hui au plus bas en Europe. En effet, il y a bien des projets de navettes autonomes en Pologne ou en Lituanie, mais ce sont des start‑up qui n’ont pas les moyens de déployer en masse leur solution.«
Selon le dirigeant de Heex, qui songe à expatrier son entreprise aux États‑Unis, l’Europe, et plus particulièrement la France, ne soutient pas assez les initiatives et les projets nationaux. Il s’avérerait que la priorité de l’Hexagone est avant tout axée sur le véhicule électrique.
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