- Par Favour Nunoo et Thomas Naadi
- BBC News, Accra
L’homophobie n’est pas rare au Ghana, où les relations sexuelles entre homosexuels sont déjà interdites par la loi et passibles d’une peine de trois ans d’emprisonnement, mais la communauté LGBTQ+ se sent désormais terrorisée.
Un projet de loi adopté par les députés la semaine dernière prévoit une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à trois ans pour une simple identification comme LGBTQ+, et cinq ans pour la promotion de leurs activités.
« Un parent m’a dit que si ce projet de loi était adopté, dès qu’il en aurait l’occasion, il m’empoisonnerait parce que je suis une abomination pour la famille », explique à la BBC M. Mensah, dont le nom a été modifié pour protéger son identité.
Vêtu d’une tenue entièrement noire, le jeune homme à la fin de l’adolescence semble visiblement terrifié : « J’ai très peur qu’on puisse me dénoncer, même dans mon quartier. Ça va être très dur de vivre ici. »
Il vit depuis quelque temps avec des amis à Accra, la capitale du Ghana, depuis qu’il s’est brouillé avec sa famille.
On ne sait pas exactement quelle est l’importance de la communauté LGBTQ+ au Ghana, pays religieux et traditionnellement conservateur, mais les membres de cette communauté ont tendance à s’entraider lorsque l’un d’entre eux est confronté à la vie d’un paria.
Mensah raconte que lorsque sa mère a découvert, il y a plusieurs années, qu’il avait de l’attirance pour les garçons, elle a commencé à l’emmener dans des églises pour qu’il y prie, dans l’espoir qu’il change.
« Aucun ami, à l’exception de ceux de l’église, n’était autorisé à me voir. Je devais étudier la Bible vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept, prier et m’asseoir à l’arrière chaque fois que nous allions à une réunion. »
Il raconte qu’il était pratiquement rejeté à la maison – la famille élargie ne lui parlait pas et il trouvait les regards insupportables.
« Ils pensaient que j’aurais une influence sur mes cousins et les plus petits. »
En 2020, alors que les prières et les études bibliques n’avaient aucun effet, Mensah a été excommunié de son église en raison de son homosexualité.
Sa famille était furieuse – et l’a essentiellement dénoncé à son cercle plus large pour tenter de lui faire honte.
« Ma famille a dit à beaucoup de mes amis que je suis tel que je suis. J’ai perdu de bonnes opportunités de poursuivre mes études », dit-il.
« C’est très inconfortable et très triste – ce sont des gens avec qui j’ai grandi, et maintenant ils ne voient pas le bien en moi, mais ils me considèrent comme une abomination. »
Mensah a fini par être chassé de la maison familiale et peine à trouver un emploi.
Aujourd’hui, ce jeune homme à la voix douce dit qu’il passe la plupart de son temps à l’intérieur pour éviter de heurter la sensibilité des gens. Il veut être moins visible, moins vu, moins entendu.
L’expérience de Mensah n’est pas rare.
Dans l’une des langues locales, l’akan, les personnes LGBT sont communément appelées « kojo besia », littéralement « homme-femme ». Elles ont toujours cohabité avec les communautés ghanéennes, même s’il leur est arrivé de subir la violence de leurs voisins.
Les violences envers les personnes LGBT sont devenues plus fréquentes ces dernières années.
Kwame, qui a également demandé que son nom soit changé pour sa sécurité, est horrifié par l’adoption du projet de loi antigay. Il estime qu’il légitimera les attaques homophobes, dont il a lui-même fait l’expérience.
« Je suis connu pour mon homosexualité là où je vis, alors quiconque s’approche de moi a l’impression que cette personne est également homosexuelle », explique-t-il à la BBC à propos d’une agression dont il a été victime il y a une dizaine d’années.
Un ami lui avait rendu visite et, alors qu’il sortait pour lui dire au revoir, des habitants se sont ligués contre lui.
« Ils se sont approchés de nous, nous ont dit que nous étions gays et ont commencé à nous attaquer. Il n’y avait pas qu’une seule personne, et ils ont pris nos téléphones », raconte-t-il.
Kwame a déposé une plainte auprès de la police. La plainte étant restée sans suite durant des semaines, il a dû se rendre à l’évidence qu’il n’obtiendrait pas justice.
Désormais, sa simple existence – si le projet de loi est signé par le président – sera contraire à la loi.
Âgé d’une vingtaine d’années, Kwame étudie le stylisme, mais il a également été victime de discrimination sur son lieu de travail lorsque quelqu’un a parlé de sa sexualité à son patron.
Son patron lui a demandé de changer de comportement, puis l’a licencié lorsqu’il a refusé. « J’ai perdu mon emploi parce que j’étais gay. »
Kwame et Mensah espèrent que le projet de loi, qui a été soutenu par les deux principaux partis politiques du Ghana, sera stoppé par un recours en justice.
Un recours a été déposé devant la Cour suprême, et le président Nana Akufo-Addo a déclaré qu’il attendrait l’issue de ce recours avant de prendre des mesures à l’égard du projet de loi.
Il s’est efforcé d’assurer à la communauté diplomatique que le Ghana s’engageait à respecter les droits de l’homme.
Le ministère des Finances du pays s’inquiète des répercussions possibles. Il affirme que le Ghana pourrait perdre 3,8 milliards de dollars (environ 1 798 milliards 278 millions de francs CFA) de financement de la Banque mondiale au cours des cinq à six prochaines années.
Le Ghana souffre d’une crise économique majeure et a dû être renfloué l’année dernière par le Fonds monétaire international.
Les États-Unis, le Royaume-Uni et les organisations de défense des droits de l’homme ont condamné le projet de loi, les États-Unis indiquant notamment qu’il aurait un effet dissuasif sur les investissements étrangers au Ghana.
Ce pays d’Afrique de l’Ouest fait partie de l’accord commercial entre l’Afrique et les États-Unis, l’African Growth and Opportunity Act. L’Ouganda a été exclu de l’accord par les États-Unis après l’adoption, l’année dernière, d’une loi controversée contre l’homosexualité.
Kwame et Mensah envisagent de quitter le Ghana, car la situation a été tellement envenimée par les politiciens que le pays leur semble plus dangereux.
« Là où je vis, il y a beaucoup de monde, donc quand on parle de votre problème, tout le monde est au courant, j’ai vraiment peur. Je vais devoir partir et m’installer ailleurs », dit-il.
Mensah est du même avis : « J’ai envie de quitter le pays pour m’installer dans n’importe quel autre pays où je pourrai vivre en toute sécurité. Je dois compter mes pas pour m’assurer que je n’offense personne. Je dois vivre comme un réfugié dans mon propre pays. »
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