Bouillante (Guadeloupe), reportage
À peine déballée, la gousse de vanille noire dévoile son odeur lactée. Un effluve délicat qui nous rappelle tous un souvenir sucré. C’est ici, sur les hauteurs de Bouillante, en pleine forêt tropicale, qu’Anne et Dominique Buton se sont installés pour cultiver de la vanille bio et locale.
Après avoir soigneusement remballé son petit fagot de gousses parfumées, Dominique nous emmène dans sa vanilleraie. À première vue, c’est une forêt comme tant d’autres dans les Caraïbes. Mais très vite, on remarque des lianes qui grimpent le long des troncs. Ici, la vanille pousse directement sur les arbres. Tous les matins, Dominique fait son tour en forêt pour voir quelles fleurs il faut féconder (à la main !), quelles gousses il faut cueillir. Chaque pied de vanille est numéroté. Et certaines ont leur petit nom, en référence à un département. Il y a la Parisienne, la Gersoise, la Vosgienne… Et surtout la Reine, située en contrebas du sous-bois, une vanille qui produit à elle seule près de 200 gousses par an.
Au pied de chaque arbre, il y a un petit tas de feuilles mortes et de bois pourri qui compose la litière des lianes de vanille. Pas d’engrais, ni de produits chimiques, la vanille se nourrit uniquement de l’humus du sol.
Jungle de biodiversité
C’est une exception dans le monde. À la différence des cultures sous ombrières, où la vanille intensive pousse sous des serres avec des tuteurs métalliques, des dalles en béton et un arrosage automatique, cette culture est bien plus respectueuse de l’environnement et des humains. Une quarantaine de producteurs sont déjà installés et autant attendent leurs premières fleurs dans les années à venir.
Pourquoi est-ce écolo, de cultiver de la vanille en forêt ? « C’est une culture qui ne demande aucune mécanisation, ça n’épuise pas les sols et la vanille est moins sensible aux maladies », détaille Cédric Coutellier, président de l’Apagwa (Association de promotion de l’agroforesterie en Guadeloupe) et producteur de vanille à Sainte-Rose. En système artificialisé, la vanille réclame beaucoup d’eau, alors qu’il n’y a qu’à « attendre que la pluie tombe » pour le système en agroforesterie.
« Et surtout, on a zéro investissement. Pas de bâtiment, pas de tuteurs, pas de serres, ça ne coûte rien, poursuit Dominique Buton. Lors des cyclones, si les ombrières tombent, les pieds de vanille sont foutus, tu peux passer un coup de tractopelle et tout virer. Alors que la forêt est plus résiliente : même si la vanille est tombée, les racines sont encore là. Tu attends quelques semaines et ça repousse tout seul ! »
Comme ils sont tous les jours dans les bois, les producteurs de vanille sont devenus de véritables forestiers. Ils retirent les lianes envahissantes qui risquent d’étouffer les arbres ou de les fragiliser lors des cyclones. Ils défrichent et coupent les arbres malades. Mieux, cette culture permet d’éviter de raser la forêt pour y planter des bananiers ou aménager des pâturages.
Au milieu des pieds de vanille planifolia — principale espèce d’orchidées utilisée pour produire la vanille — les cigales tropicales chantent à s’en faire claquer les cymbales. La vanille offre un habitat naturel à la faune sauvage. Les termites aident Dominique en dégradant la matière organique. On y croise aussi des plantes médicinales, des fougères, des oiseaux… Grâce à ce travail d’entretien, la forêt est si riche qu’elle compte une trentaine d’essences d’arbres différentes. Au moins six fois plus de diversité qu’en métropole.
Des tonnes de vanille malgache traversent le globe
« Ça, c’est une pompona, tu as vu comme la gousse est grosse ? » Au détour d’une ravine isolée, Dominique Buton a retrouvé par hasard la Vanilla pompona, une variété oubliée, sur l’île, depuis le cyclone de 1928. Aujourd’hui, il en cultive environ 200 pieds sur près de 7 000 m2.
Et ça marche. La vanille de Guadeloupe est l’une des plus réputées et plus rares du monde, avec un taux de vanilline dix fois plus élevé qu’ailleurs. Elle a même reçu la médaille d’or lors du dernier salon de l’agriculture. « Mais je ne veux pas les vendre aux pétés de thune ou aux grands pâtissiers, et encore moins à des chasseurs d’épices qui font exploser les prix, mais plutôt à des passionnés, explique Dominique.
Dans les Antilles, la demande est telle que l’on ne sert aux touristes que de la vanille intensive de Madagascar, qui concentre 80 % de la production mondiale. Plus d’une dizaine de tonnes de gousses sont importées chaque année par avion ou par cargo, selon l’Apagwa. « Qu’ils vendent de la vanille de merde produite en grosse quantité, c’est une chose. Mais le pire, c’est qu’ils mentent en disant qu’elle vient d’ici. »
À cause des vols de vanille menés par des gangs, les producteurs doivent récolter les gousses avant la maturation idéale qui révèle les arômes. Résultat : la vanille malgache est de mauvaise qualité. En 2023, une crise a éclaté, car les grosses firmes agroalimentaires ont utilisé de la vanilline de synthèse pour faire chuter la demande. Désormais, « les grosses entreprises exportatrices qui font des millions d’euros de chiffre d’affaires fixent le prix qu’elles veulent et ne sont même pas foutues de payer les producteurs correctement », poursuit Cédric Coutellier.
TotalEnergies veut coupler vanilles et panneaux solaires
En Guadeloupe, les producteurs de vanille vont lancer une AOP dans les années à venir avec un cahier des charges exigeant. La culture doit être bio, sans engrais et en agroforesterie. « Celui qui veut faire de la vanille avec un business plan doit passer son chemin. Il faut être passionné, sinon ça ne marche pas, lance Dominique Buton. Ici, on produit 5 kilos par an, mais on ne veut pas faire beaucoup plus. » Une production suffisante pour faire vivre le couple car leur production est vendue plus chère que la vanille industrielle : 25 euros la gousse, contre 5 euros pour les industrielles en moyenne.
Pour lancer la filière, il faut encore que de nouveaux producteurs s’installent. Or, il est difficile de trouver des forêts pour cultiver, qui sont bien souvent la propriété des békés, ces descendants d’esclavagistes. Ces derniers sont réticents à louer leurs terres pour une production qui n’est pas rentable avant plusieurs années, le temps de l’éclosion des premières fleurs. Cette culture demande également beaucoup de travail et une présence quotidienne. Contre ce blocage foncier, l’ONF (Office national des forêts) loue une quarantaine d’hectares de concessions de forêts aux producteurs de vanille.
« Il faut être passionné »
Dans cette île des Caraïbes, on résiste à la culture sous ombrières et aucun producteur n’a franchi le pas de la production intensive. Mais des multinationales de l’énergie comme TotalEnergies ou Engie s’invitent sur l’île et proposent depuis plusieurs mois à des producteurs de cultiver leurs vanilles sous des panneaux photovoltaïques. « Ça leur permet de gagner des crédits carbone, c’est du greenwashing », balaie Cédric Coutellier.
Pour l’instant, personne n’a accepté, mais à La Réunion, le modèle est déjà en place. Là-bas, un gigantesque domaine agricole — ses gérants n’ont pas répondu à nos questions — exploite pas moins de 32 000 plants de vanille bio sous 5 hectares de serres solaires. « On ne va tout de même pas planter de la vanille sous des panneaux solaires. On a déjà la forêt tropicale [pour faire de l’ombre], ça n’a pas de sens ! »
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