L’appel au boycottage de Loblaw suscite peu d’espoir chez les agriculteurs du N.-B.

Malgré les efforts de certains militants d’inciter la population à favoriser les épiceries locales et indépendantes, ceux qui représentent les fermiers du Nouveau-Brunswick indiquent que l’industrie agricole a déjà été trop affaiblie pour pouvoir être avantagée par le boycottage pancanadien des chaînes et produits appartenant aux Compagnies Loblaw.

L’appel au boycottage est notamment promu par le groupe Reddit r/loblawsisoutofcontrol. En réaction à l’augmentation de coût qu’a connu le panier d’épicerie au cours des derniers mois, il invite la population à éviter les divers commerces de la famille Loblaw (Atlantic Superstore, Independent, Shoppers, No Frills, Wholesale Club) et de privilégier des alternatives locales ou indépendantes pour la durée du mois.

«Ça aura un impact limité pour les agriculteurs, mais ça pourrait avoir un plus grand impact sur la société, estime Aaron Shantz, qui siège au conseil d’administration de l’Union nationale des fermiers du Nouveau-Brunswick. Ça donne la chance aux grossistes indépendants d’avoir enfin un avantage.»

«Peut-être que les prix seraient mieux ou que moins de profits iraient aux grandes corporations, mais on n’a pas la capacité d’être autosuffisants. On serait quand même obligé d’acheter à l’international.»

La consolidation des différentes chaînes d’épiceries observable depuis les années 1980 a mené à une augmentation d’achat de produits provenant de l’extérieur de la province et du pays, selon lui.

La baisse de demande de produits locaux aurait provoqué une diminution d’activité agricole dans la province, minant ainsi son potentiel d’autosuffisance alimentaire.

Les géants américains 

Pour le directeur du Agri-Food Analytics Lab de l’Université Dalhousie, Sylvain Charlebois, le boycottage rate la cible et arrive trop tard, alors que les prix des aliments se stabilisent.

«Le groupe qui mène le boycottage ne comprend pas les enjeux du tout. Il ne s’affaire qu’à parler de prix trop élevés, sans comprendre les facteurs, la dynamique de la chaîne d’approvisionnement et l’histoire. On voit vraiment qu’il est mal informé.»

Bien que Loblaw soit le plus grand joueur canadien en ce qui concerne les épiciers, M. Charlebois affirme qu’il l’est devenu après l’arrivée de compagnies étrangères encore plus imposantes, qui a miné la concurrence. Les différentes enseignes se sont alors liguées afin de ne pas se faire écraser.

«Loblaw est devenu un joueur important en raison de l’invasion américaine menée par Walmart et Costco. Alors, pourquoi ne pas boycotter les chaînes américaines qui sont ici au Canada et qui ont vraiment été les instigatrices de la consolidation qu’on a connue depuis les trente dernières années?»

Il ajoute que Sobeys & Empire ne sont pas explicitement ciblés par le boycottage, bien que leurs produits aient tendance à être plus dispendieux.

Un territoire sous-exploité

Selon le site du ministère de l’Agriculture, Aquaculture et Pêches (MAAP), 5% du territoire néo-brunswickois est considéré comme étant agricole, alors que 2% est réellement consacré aux cultures.

«Le territoire a un bien plus grand potentiel», peut-on y lire.

D’autre part, seuls 7% des légumes, excluant les pommes de terre, et 32% des fruits consommés au Nouveau-Brunswick avaient aussi été cultivés dans la province en 2018.

Ces chiffres proviennent de la Stratégie sur les aliments et les boissons locaux 2021-2025, dont l’un des objectifs est d’améliorer l’autosuffisance alimentaire néo-brunswickoise.

Les données du MAAP démontrent cependant que les catégories des céréales et oléagineux (64%) ainsi que du bœuf et du veau (45%) s’en sortent mieux sur le plan de l’autosuffisance, alors que les pommes de terre, les bleuets sauvages, les fruits de mer, le sirop d’érable et les canneberges surpassent largement la demande provinciale.

Malgré cela, le président de l’Alliance agricole du N.-B., Joël Lamarche, déplore que l’industrie alimentaire en soit rendue à dépendre des autres provinces pour le traitement de ses propres produits.

«Ça va prendre une diversité de production au Nouveau-Brunswick et une capacité de transformation qu’on n’a plus. Les usines sont toutes parties ailleurs. Pour l’élevage bovin, il n’y a plus d’abattoirs. Je pense qu’il en reste un sur l’Île-du-Prince-Édouard. Sinon, il faut aller en Ontario. Donc, les bœufs qui sont produits ici vont se faire abattre là-bas, pour revenir ici. Ça n’a pas de sens!»

Lui aussi est sceptique quant à l’apport du boycottage à l’agriculture locale.

«Je ne pense pas que ça puisse avoir un gros effet. Il n’y a tellement pas de joueurs dans le milieu des grossistes que ce qui nuit à l’un va aider l’autre», laisse-t-il tomber en ajoutant qu’il soupçonne Loblaw et Sobeys de fixer les prix entre eux de toute manière.

Les deux compagnies sont d’ailleurs nommées dans une enquête du Bureau de la concurrence du Canada sur la fixation de prix du pain. En 2017, Loblaw avait annoncé sa participation à une telle entente, alors que Sobeys, Metro, Wal-Mart, Giant Tiger et les Aliments Maple Leafs sont toujours l’objet de l’enquête.

Fredericton privilégierait les multinationales  

Le président de l’Alliance agricole du N.-B. estime aussi que le gouvernement ne veut pas investir pour que le Nouveau-Brunswick devienne plus autosuffisant, et ce, malgré les objectifs affichés du MAAP.

Du côté de l’Union nationale des fermiers, M. Shantz partage son scepticisme.

«Il faut qu’il y ait un contrôle des quantités de nourriture qui viennent de l’international, mais ce n’est pas quelque chose qui pourra se faire du jour au lendemain», note-t-il en indiquant que l’industrie locale devra prendre le temps de se rebâtir.

À son avis, les grandes surfaces sont avantagées au Nouveau-Brunswick,et la province serait parmi celles qui protègent le moins leurs secteurs agricoles.

D’autre part, M. Shantz estime que «Loblaw a très peu d’intérêt envers les produits locaux du Nouveau-Brunswick.»

«Il faudrait que ça coûte plus cher pour qu’une multinationale puisse se débarrasser de producteurs locaux qui, eux, devraient être avantagés. Ils devraient avoir plus de place[…] Il faut investir dans l’infrastructure et l’industrie agricole locale pour qu’elle soit plus résiliente», plaide-t-il.

Selon lui, cette dernière a un grand potentiel qui pourrait être mis en valeur grâce à des efforts du gouvernement. Il souligne également la qualité nutritive supérieure d’aliments locaux dont la récolte est plus récente.

Il ajoute qu’actuellement, les produits des fermiers de la province, incluant les aliments issus de production biologique, se vendent à prix compétitifs, mais que les petits producteurs ne font pas le poids face aux grands fournisseurs internationaux et leurs ententes avec les chaînes d’épiceries.

Le son de cloche est cependant différent du côté du président de l’Alliance agricole pour ce qui est des coûts. Il soutient qu’il est difficile de rivaliser avec des industries comme celle de la Californie, qui jouissent de conditions météorologiques plus avantageuses.

Bien qu’Aaron Shantz souhaite voir le milieu fermier redynamisé, il estime que son rêve nécessitera une force significative de mobilisation pour se réaliser.

«Ça va prendre un mouvement. Ça va prendre beaucoup, beaucoup d’efforts.»

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