Il était bientôt 22 heures lorsque les forces de sécurité ont encerclé, mercredi 26 mars, la résidence de Riek Machar, le premier vice-président du Soudan du Sud. Un mandat d’arrêt lui a été remis tandis que ses gardes du corps ont été emmenés. Placer ainsi le numéro deux du gouvernement en résidence surveillée ébrèche encore davantage l’accord revitalisé sur la résolution du conflit au Soudan du Sud (désigné sous l’acronyme R-ARCSS) signé en 2018 avec son rival, le président Salva Kiir.
Dès le lendemain matin, Oyet Nathaniel Pierino, le chef adjoint du parti de Riek Machar, le Mouvement populaire de libération du Soudan en opposition (SPLM-IO), a publié un communiqué prévenant qu’« avec l’arrestation et la détention de Son Excellence le docteur Riek Machar Teny, le R-ARCSS de 2018 a été abrogé ». « Nous sommes avant tout pour le dialogue, précise au Point Afrique le porte-parole du SPLM-IO, Puok Both Baluang. Mais si cela échoue, nous réviserons nos options. »
« Le président refuse tout dialogue »
Envoyé de la dernière chance à Juba, ce vendredi, après les échecs des médiations de l’Autorité intergouvernementale pour le développement (Igad), des diplomates occidentaux ou encore des chefs religieux, l’ancien Premier ministre kényan Raila Odinga n’est pas parvenu à convaincre Salva Kiir de faire demi-tour.
« Le président refuse tout dialogue pour le moment. Il souhaite se laisser la possibilité de violer l’accord de paix au point qu’en cas de nouvelles négociations, le SPLM-IO sera incapable de réclamer autant de poids qu’en 2018 », observe Patrick Godi, représentant des jeunes au sein de la Commission mixte de suivi et d’évaluation reconstituée chargée de veiller à la mise en œuvre du R-ARCSS. Le traité ayant mis un terme à cinq années de guerre civile après quelque 400 000 morts n’a en effet jamais pleinement satisfait Salva Kiir.
« Avec ses proches, ils ont eu l’impression de s’être fait imposer cet accord. Ils se sont donc appliqués à le démanteler graduellement pour élaborer un nouveau système politique. Dans le même temps, ils se sont attelés à détricoter le SPLM-IO sur les plans militaire et politique », détaille Remember Miamingi, un analyste sud-soudanais spécialiste des questions de paix et de sécurité. Ayak Chol, membre de l’initiative Tumaini qui tente d’inclure d’autres groupes armés au R-ARCSS, regrette d’être restée sans réponse quand elle et d’autres membres de la société civile sud-soudanaise ont interrogé le gouvernement sur l’exclusion de Riek Machar de toute délégation sur les affaires de haut niveau. « Le premier vice-président était confiné à Juba mais on avait l’impression qu’il se satisfaisait de son siège doré », explique la chercheuse.
Une escalade sur fond de désarmement
Le statu quo a toutefois dérapé mi-février. Si les armes pullulent dans la plus jeune nation du monde, c’est avant tout parce que les citoyens ne se sentent pas en sécurité. « Le gouvernement a échoué à les protéger, alors de nombreuses forces locales prennent le relais. C’est le cas de l’Armée blanche, dans le comté de Nasir », poursuit Ayak Chol. Ce groupe armé est composé de jeunes Nuers, le peuple de Riek Machar. Les tensions se sont accrues lorsque les Forces de défense du peuple sud-soudanais ont annoncé le désarmement de l’Armée blanche, dans le cadre du volet sécuritaire de l’accord de paix.
« La population locale a rétorqué que les forces nationales s’en prennent systématiquement aux Nuers après les avoir désarmés. Puis, elle a exigé que le désarmement soit opéré par la Force unifiée nécessaire du Soudan du Sud constituée d’anciens combattants issus de divers groupes armés », ajoute Ayak Chol. Face au refus des troupes de Salva Kiir, la situation a dégénéré.
Le 4 mars, le général Majur Dak a été tué, à la suite de l’évacuation manquée des soldats des Forces de défense du peuple sud-soudanais conduite par l’ONU. En représailles, plusieurs dirigeants du SPLM-IO ont été arrêtés. Parmi eux, le ministre du Pétrole, Puot Kang Chol, et le général Gabriel Doup Lam, à la tête de l’aile militaire du SPLM-IO qui n’a pas encore été intégrée à l’armée, n’ont pas été libérés.
Un pays au bord de la guerre civile
Les bombardements aériens menés par les troupes régulières sur le comté de Nasir, situé à proximité des frontières éthiopienne et soudanaise, n’ont pas épargné les civils. Dès le 24 mars, Nicholas Haysom, le représentant spécial du secrétaire général de l’ONU au Soudan du Sud, a prévenu que la plus jeune nation du monde se trouvait « au bord d’une rechute dans la guerre civile ». Les combats à Nasir ont déjà déplacé 63 000 personnes.
À Juba aussi, l’exode des membres du SPLM-IO s’organise. Il en est de même au sein des quelque 53 000 soldats qui ont rejoint la Force unifiée nécessaire du Soudan du Sud. « Ceux qui sont issus du SPLM-IO essaient de partir pour rejoindre leur formation militaire d’origine. Cela va forcément augmenter l’insécurité autour de Juba et élargir le conflit à travers le pays car ces militaires ne vont pas rester les bras croisés dans la brousse », avertit Patrick Godi, de la Commission mixte de suivi et d’évaluation reconstituée.
Des heurts ont déjà éclaté en début de semaine à proximité de la capitale. Et l’arrestation de Riek Machar ne devrait rien arranger. « La communauté Nuer n’accepte pas de voir son chef soumis à des intimidations et à des humiliations. Mais au lieu d’en vouloir au gouvernement, elle accuse le peuple dinka, auquel appartient Salva Kiir. Cela accroît les divisions ethniques », décrypte un responsable politique qui préfère rester anonyme.
La société civile se mobilise pour la paix
Le contexte régional pourrait favoriser l’escalade. « En 2018, la guerre a pris fin lorsque le Soudan et l’Éthiopie ont fermé leurs frontières pour empêcher le ravitaillement militaire. Or aujourd’hui, le flot d’armes est important et le risque d’une guerre par proximité entre les puissances régionales, tels le Soudan, l’Éthiopie et l’Ouganda, est réel », alerte Remember Miamingi. L’analyste décèle néanmoins une lueur d’espoir dans l’émergence du mouvement Reclaim qui rassemble des activistes, des politiques, des chefs religieux et des universitaires sud-soudanais opposés au conflit.
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« En l’absence de pression régionale et de la part de la communauté internationale qui est occupée avec d’autres crises, cette plateforme entend reprendre le destin de la nation entre ses mains. C’est un signal positif pour faire pression sur les responsables politiques de manière pacifique », salue Remember Miamingi. D’autres activistes promeuvent individuellement la paix pour tenter de raisonner leurs dirigeants.
À LIRE AUSSI Docu télé – France 24 : Soudan du Sud, un si long chemin vers la paixC’est le cas du musicien Meen Mabior, du collectif Ana Taaban (« Je suis fatigué » en arabe, comprendre : « fatigué de la guerre »). « J’ai lancé un appel sur les réseaux sociaux pour exhorter les leaders à régler leurs différends par des moyens pacifiques plutôt que de pousser à la guerre. Car en fin de compte, les victimes des conflits sont toujours les plus vulnérables », insiste cet habitant de Juba. Sa décision est prise. Comme en 2013, il ne partira pas, même si les combats secouent de nouveau la capitale : « En tant que personnalité publique, c’est un devoir de rester pour donner de l’espoir à ceux qui n’ont pas les moyens de fuir. »
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