Au Ghana, l’émergence d’une nouvelle vague d’artistes, issus entre autres des régions isolées de Tamale et Bolgatanga fait bouillir la scène musicale du nord du pays. Ultra-énergique, flanquée d’un flow nordiste typique et armée d’une esthétique incendiaire, cette wave – profondément ancrée entre hip-hop et culture traditionnelle –, secoue les réseaux sociaux, et façonne une histoire inédite : celle d’un abordage résolument urbain de la musique du nord, qui dynamise une jeunesse en quête d’identité. PAM vous emmène dans le nouveau hiplife de Tamale.
Tamale, dans la région nord du Ghana, est un lieu ancré dans les traditions locales, en particulier celle de la culture Dagomba, et de l’art oral des griots. Les instruments les plus utilisés sont le tambour lunga et le luth kologo. Le répertoire, très traditionnel, évoque lui la spiritualité et la vie communautaire. Cette culture musicale, unique à Tamale, s’exprime par des célébrations collectives et de nombreux festivals patrimoniaux.
Dès 2000, un genre qui s’étend sur tout le territoire
L’industrie musicale de Tamale se développe à la fin des années 1980, alors que la région s’électrifie. Les technologies d’enregistrement vont alors s’y déployer. Les premiers artistes, formés au sein de groupes locaux, s’inspirent alors des sonorités du sud du Ghana pour créer leurs propres styles. Les influences du hip-hop, du reggae et du hiplife – son ghanéen qui combine highlife et hip-hop –, achèvent de redessiner les contours de la scène locale. Ce crossover incendiaire séduit alors les oreilles de la jeunesse de Tamale, qui va lui infuser son énergie ainsi que ses dialectes régionaux.
À l’aube des années 2000, des artistes comme Sheriff Ghale et King Ayisoba, tous deux originaires de Bolgatanga, à près de 200 km au nord de Tamale, voient leur musique se propager dans tout le pays. Leurs compositions vont alors servir d’étendard aux causes sociales de leur communauté. D’autres figures émergent également à ce moment, de Fancy Gadam à Sherifa Gunu, au duo de pop urbaine KKC. Leur talent unique de conteurs et d’orateurs, couplés aux beats électroniques modernes inscrivent durablement la musique du nord Ghana dans le panorama national.
Au tournant des années 10, la scène de Tamale connaît un regain de tension avec la voix d’un Maccasio, qui va intégrer du dancehall au genre. Un apport réussi, concurrencé en 2017 par le banger de Fancy Gadam « Total Cheat » en featuring avec Sarkodie, qui va faire vibrer tout le pays. Ce hit conclut d’ailleurs une décennie de concurrence entre Maccasio et Fancy Gadam, pour la première place sur le podium musical ghanéen.
Pour les habitants de Tamale, c’est lors de la pandémie de Covid que le changement a été le plus significatif. Durant la période de confinement, la nouvelle génération va alors s’enfermer dans ses home studios pour concocter la nouvelle vague de sonorités en provenance du nord.
G Herbo, Future et Metro Boomin comme référentiel
Deux des précurseurs de cette vague, les sémillants RICH KIDD et Fad Lan se sont mis à table pour PAM : « ma mère et mon père adoraient écouter de la musique, j’ai grandi entouré de cassettes… Bob Marley, Michael Jackson, Lagbaja ou Youssou N’Dour. J’ai d’emblée été accroc à la musique », se souvient Fad Lan, avant de rappeler qu’à son adolescence, tout le monde s’est mis à faire du hiplife. « Avant, c’était le highlife ou la musique traditionnelle. Et puis, il y a eu cette nouvelle vague d’artistes inspirés par le style de vie américain. Certains avaient des dreadlocks, comme Big Malik et Big Adams, S.K.Y. The Tamale boy… Ils formaient une communauté soudée, et collaboraient tous ensemble. C’était simplement du rap, et c’est eux qui ont fait que les jeunes de Tamale se sont alors passionnés pour le genre à l’époque. »
Aujourd’hui, le proto-hiplife des membres de cet avant-garde, avec ses paroles crues, sans concession et ses rythmiques puissantes, captive le public et remplit les stades de la région. Au cœur de leur musique, une langue : le dagbani. Impossible de la confondre avec une autre, en particulier grâce à cet accent du nord typique que l’on n’entend dans aucune autre musique au Ghana. Ensemble, ils fusionnent de nombreux genres, mais les deux influences majeures du genre demeurent : la trap et la drill. Lorsqu’on lui demande ce qui l’a poussé à s’engager dans cette voie, RICCH KID répond sans hésiter : « la rue et mon expérience au sein de ma communauté. Il y a beaucoup de gens vifs et malins ici, et beaucoup de créativité. Mais il n’y a pas vraiment de soutien. Il a fallu que je prenne ça très au sérieux et que je reste cohérent dans mon travail, pour que le public me remarque. » Côté influences, le jeune artiste cite pêle-mêle « G Herbo, Houdini, et surtout Future et Metro Boomin. Ils m’ont inspiré tout au long de mon parcours. »
Pour Fad Lan la scène musicale de Tamale reste « ce qui se fait de mieux actuellement. Tout le monde s’éclate, tout le monde peut adopter le style qu’il veut. Avant, on n’avait pas le choix, il fallait rester très traditionnel ou chanter exclusivement dans son dialecte local pour que les gens te suivent. Les choses ont changé. Auparavant, quand je voulais écouter de la trap, j’allais simplement écouter Lil Baby ou Gunna parce que ce sont mes artistes préférés. Aujourd’hui, j’ai aussi mes artistes de trap favoris, mais à Tamale !»
Le progrès n’a pas eu lieu sans une certaine résistance, en particulier de la part de l’ancienne génération qui, selon RICCH KID, n’a pas saisi la puissance de cette nouvelle scène et ce qu’elle signifierait. « Ils n’ont pas vu la valeur de ce que nous faisions. C’est à l’image de leur lecture du mouvement en général, ils n’ont pas vraiment su prévoir que la scène deviendrait si dynamique. Et qu’elle allait épingler le nord sur la carte du pays. Ce n’était même pas de la jalousie, mais plutôt une forme de disruption. Personne n’avait encore vraiment fait ce que nous faisons aujourd’hui, ça a été trop vite ! »
« Au départ, nous n’étions pas les chouchous de l’industrie »
Aujourd’hui, la scène musicale de Tamale expérimente sans renier ses racines, intégrant sans complexe hip-hop, afrobeat et EDM à des éléments traditionnels. C’est le cas de succès comme le très poisseux « Firdaus » de RICCH KID, qui parle ouvertement de sa personnalité, et dans laquelle la plupart des membres de sa communauté n’ont aucun mal à se reconnaître. Il parle de trahison tout en faisant preuve d’un amour inconditionnel. Son style a beau sonner plutôt étranger, avec une évidente influence trap, son langage et ce mélange unique de sonorités sont facilement reconnaissables. Le récent « Misa Misa » de Fad Lan n’est qu’un exemple parmi d’autres de la diversité de cette talentueuse scène : la chanson incarne la culture nordiste d’une manière si juste, que les imams, les leaders d’opinion, les jeunes et les moins jeunes s’y sont tous retrouvés. Le succès lui, a été immédiat.
D’autres artistes comme Soorebia ont également réussi à inclure le kologo traditionnel au hip-hop contemporain. Sans oublier DaniSadiq, musicien à l’attitude résolument dagbani, mais au style et au flow très drill, largement influencé par l’étranger. Talent unique, on le reconnaît immédiatement à son énergie et à la façon dont il s’identifie en tant qu’homme dagomba. C’en est désormais fini du monopole de Maccassio et de Fancy Gadam, qui aura trusté une bonne partie de la dernière décennie. Tout le monde peut désormais avoir sa part du gâteau.
Un développement de scène et de carrière porté par le web : « Internet m’a beaucoup aidé » explique RICCH KID. « Car au départ, nous n’étions pas les chouchous de l’industrie, ni des médias. C’est la puissance des réseaux qui nous a fait connaître. »
Selon Fad Lan, dans le nord, c’est juste après le Covid que les streams ont explosé et diffusé le genre « avant cela, beaucoup d’artistes, même en 2019, partageaient leur musique uniquement via WhatsApp et les téléchargements », sans véritable possibilité de suivi des chiffres et de monétisation. « J’ai été le premier dans le nord à atteindre 1 million de streams sur Audiomack »poursuit le rapper. « D’ailleurs, ce chiffre est désormais devenu une référence pour tous ceux qui lancent un track en téléchargement sur les plateformes de streaming. »

« L’évolution de notre son brisera les frontières »
Évoquant l’avenir proche, RICCH KID met en avant ses trois albums déjà sortis, Time Don’t Lie, How I’m Built et Can’t Be Saved, comme le début d’une nouvelle ère : « quand on a organisé des concerts dans des stades, c’était parce que mes fans le demandaient, alors mon équipe et moi avons fait en sorte que ça fonctionne au mieux. Mais on est en train d’apprendre de nos erreurs et de construire une équipe plus à même de pouvoir atteindre un plus grand marché, en faisant appel à des promoteurs professionnels » explique l’artiste. « On est également à la recherche d’un partenariat qui pourrait financer la majeure partie de nos activités. Ce sont le travail acharné et la constance dans la pratique de mon métier m’ont permis d’arriver jusqu’ici. Je sais que ma musique ira encore plus loin, tant que je me tiens à cette éthique. On a apporté notre musique jusqu’ici, et même si je ne suis pas celui qui la fera entendre au monde entier, je pense que nous avons ouvert la voie à d’autres. La musique africaine a besoin de bien plus de superstars internationales, avec des styles différents. »
« Le monde entier va vouloir se connecter pour collaborer avec les gens du nord Ghana » s’enthousiasme Fad Lan. « Ce que je vois aujourd’hui, ce sont de jeunes artistes qui expérimentent dans tous les sens et essaient de trouver leur propre son. Les sonorités du nord sont intrinsèquement douces parce que notre tonalité de voix est aiguë. J’ai l’impression que, comme ce fut le cas pour l’afrobeat, l’évolution de notre son brisera les frontières. Je nous donne cinq ans ! »
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