Le Burkina Faso sur les traces du Japon : Oser inventer l’avenir

« Au grand banquet de la puissance, les places ne sont pas éternelles, l’étiquette est tout sauf immuable ! Sortir du sous-développement mieux vaut par le haut que par le bas, et le haut c’est le Sommet du Mont Fuji Yama ! » C’est ce qui ressort de l’ode au Japon de Bolya Baenga dans son essai « L’Afrique en Kimono, Repenser le modèle de développement » datant de 1991 ; une analyse d’une excellence sans pareille. D’une vérité saisissante, et encore d’actualité, la réflexion du penseur reste un plaidoyer de référence dont je ne pouvais pas m’en passer dans cette intention d’interpellation à l’intensification de la coopération nippo-burkinabè et à l’inspiration du modèle japonais de développement.

L’auteur a démontré que le Japon est « un allié naturel des pays en voie de développement », en revendiquant que le DEVELOPPEMENT est d’ailleurs une invention japonaise.

De la non immuabilité de la place des puissances à la mutabilité vers la puissance et le développement économique, pouvons-nous imaginer le scénario d’un Burkina Faso, de sa place de 185e mondiale sur 193 pays selon le rapport de l’indice du développement humain du PNUD 2023-2024, à la place d’une puissance économique mondiale ? Nous pouvons en rêver, car le Japon l’a fait ! Dira Bolya Baenga.

Le géant nippon est en effet l’actuelle 4e puissance économique mondiale et brille à l’échelle internationale dans bien de domaines stratégiques. Il est connu de tous que de par le dynamisme de son secteur industriel, le Japon s’impose comme l’un des premiers exportateurs de la planète.

Produits de grande qualité, high-tech, marque mondiale …le pays se distingue entre autres dans le domaine de l’automobile avec Toyota, Nissan et Honda ; dans le secteur de l’électronique avec Sony, Fujitsu ; mais aussi dans la robotique, l’audiovisuel, les biotechnologies… Son modèle de développement a influencé les pays voisins comme Taïwan, la Corée du sud, Singapour, Hong Kong, la Thaïlande, et reste aujourd’hui encore une référence de success story.

La force du pays du soleil levant et son potentiel de coopération a justifié que même les puissances telles l’Union européenne, la France… s’y intéressent en intensifiant et élargissant continuellement leur partenariat avec ce dernier. Le Japon a été élevé en effet au rang de partenaire d’exception par la France depuis 2013, et au rang de partenaire stratégique par l’Union européenne en 2019. De très nombreux accords Union européenne-Japon, France-Japon ont vu le jour dans le domaine du commerce, de la science, la technologie, la sécurité et la défense…

Toute chose qui m’a conduite à chercher à en savoir plus sur ce qu’il en était du partenariat Japon-Burkina Faso. Le constat semble clair, la coopération entre les deux pays est restée modeste et l’heure est donc à son élargissement et à sa redynamisation.

Mon propos justifiera la nécessité et l’opportunité de l’intensification de ce partenariat. Il s’intéressera par ailleurs au modèle japonais de développement, avant de présenter l’exemple de résilience qu’est la puissance japonaise pouvant inspirer le développement du Burkina Faso.

Vers une coopération stratégique : l’heure du scrutin du partenariat nippo-burkinabè

La comparaison de la coopération entre le Burkina Faso et le Japon, à celle du Japon avec d’autres États ou organisations internationales a sans doute ses limites. Une coopération entre la France, l’Union européenne, des puissances économiques, et le Japon implique des parties qui n’ont probablement pas les mêmes besoins, difficultés, intérêts qu’un État comme le Burkina Faso.

Dans la même logique pourtant, on peut admettre que si de telles puissances coopèrent avec le Japon, ce ne serait pas des États en voie de développement comme le Burkina Faso, qui n’en ferait pas de même pour un partenariat gagnant-gagnant. Cet appel pouvant être formulé également à l’endroit du Japon, car le Burkina Faso dispose d’un potentiel de coopération que n’ont pas forcément les grandes puissances.

Autrement, pour en venir à la coopération nippo-burkinabè, c’est en 1990, qu’essentiellement, avec la Conférence Internationale de Tokyo sur le Développement de l’Afrique (TICAD), les relations entre les deux pays se sont renforcées avec la réouverture de l’ambassade du Burkina Faso au Japon en 1994.

Le Japon intervient au Burkina Faso à travers trois (03) modalités, dont la coopération technique, celle financière non remboursable et les prêts de l’aide publique au développement dans les domaines de l’éducation de base, de l’agriculture et de l’intégration régionale.

En saluant les autorités burkinabè et japonaises engagées par le passé et encore aujourd’hui dans la coopération entre les deux pays par des actions concrètes, j’invite le Burkina Faso et le Japon au renforcement de leur partenariat.

Dans les domaines très importants de l’innovation, de la technologie, de l’industrie, et des programmes de développement, par exemple, une coopération renforcée serait salutaire pour le Burkina Faso dans son élan actuel d’industrialisation et de rehaussement économique.

Au-delà des aides et certaines actions du Japon en faveur du pays, une institution régulière de dialogue thématique dans des domaines stratégiques, permettrait sans doute au Burkina Faso, de mieux connaître le modèle japonais et de s’en inspirer.

Prendre de l’ascension dans les pas du puissant japonais et oser l’avenir, consisterait pour le Burkina Faso, comme le préconisait Bolya Baenga, à intégrer dans ses politiques, certains aspects du modèle japonais de développement :

La culture japonaise de l’innovation

L’introduction d’innovation, voilà toute l’histoire du Japon moderne. La force japonaise n’est autre que l’inventivité. Tout partirait d’une soif et volonté de maîtrise de la technologie, en important les connaissances dans plusieurs domaines et en s’inspirant du meilleur du domaine. Ne pas se suffire à soi-même, apprendre toujours des autres, avec une réadaptation en y ajoutant une plus-value, tel est le résumé de cette quête permanente de l’innovation japonaise.

Innover au Burkina Faso, transformer les matières premières, lancer des chantiers ambitieux dans les domaines inexplorés, investir dans des infrastructures rentables, moderniser les secteurs clés de l’économie, défier les contraintes du temps et de l’espace, mais surtout en ayant la technologie avec soi.

Cela s’inscrit en droite ligne avec l’esprit du père de la révolution Thomas Sankara qui affirmait que : “Nous irons chercher la technologie où qu’elle se trouve et revenir construire le Burkina Faso.”

La culture nippone de l’intelligence

Le Japon aurait trouvé une cohérence entre les projets éducatifs et ceux économiques. Le pays a compris que l’efficacité du système éducatif, et le modèle d’éducation sont les leviers des transformations économiques, sociales, culturelles et mentales. Son système d’enseignement est une « mobilisation originale des intelligences vers la Conquête de l’Intelligence ».

Bolya Baenga appelait à une réforme du système d’enseignement africain et de sa pédagogie par rapport aux besoins réels et à la stratégie de développement économique des pays africains. Pour ce qui est du Burkina Faso un énorme travail est à faire sur ce point entre le développement de filière d’étude répondant aux besoins du développement économique, la réforme des programmes scolaires et académiques, la promotion des langues internationales stratégiques, l’amélioration des conditions d’études…

La culture de la perfection à la japonaise

Le pays de la plus grande ville au monde est dans l’amélioration continue de tous les paramètres de sa compétitivité. Il investit dans la ressource humaine, la formation, l’Homme pour l’Homme, le savoir pour le savoir. Aucun effort n’est ménagé dans la maîtrise technologique, le traitement sans précédent de l’information, la gestion de sa monnaie, une vraie connaissance de l’état du monde.

Le Burkina Faso a besoin d’investir dans la ressource humaine, il est temps d’accorder à l’intellectuel burkinabè toute sa place et l’exploiter au mieux avec les grandes idées qui font les grandes nations. Le Japon a investi dans la recherche, quelle part d’investissement est accordée à la recherche au Burkina Faso ?

Combien de Burkinabè ont la possibilité de faire de la recherche, quelle politique pour une recherche orientée, utile, soutenue ? Comme le disait le Dr Moïse Convolbo, avec qui nous faisons tous ce constat réel : “ Les pays africains perdent leurs ressources naturelles en les surexploitant et ne profitent pas au mieux de leurs ressources humaines en les sous exploitant”

Un partenaire inspirant : une coopération vers les portes de la puissance économique

Chaque État connaît à un moment de son histoire le chemin à suivre ou à arrêter de suivre dans sa politique de développement et prend conscience qu’il n’y a pas de solution miracle venant d’ailleurs. Heureusement, l’histoire et le présent nous montrent des exemples de résilience inspirants.

L’un d’eux étant celui du Japon, ce pays ruiné par la seconde guerre mondiale, qui aujourd’hui est un puissant leader courtisé par les grands, et un important pourvoyeur d’aide aux pays en voie de développement.

Bolya Baenga dira dans son œuvre sus-citée, que la porte de sortie de l’impasse du sous-développement a été rabotée par le Japon qui a “réussi des prouesses économiques, et s’est hissé, avec une célérité inouïe, à la tête des pays riches”. Ce pays a connu toutes les misères possibles et a été aussi pauvre à l’instar de plusieurs États africains aujourd’hui. Je n’idéalise pas le Japon bien entendu.

Le géant nippon, connaît toujours des difficultés lui ayant coûté sa 2e et 3e place de puissance économique mondiale : vieillissement de sa population, manque de main d’œuvre, fluctuation de sa monnaie… Cependant il fait preuve de résilience et je dirais même qu’un pays comme le Burkina Faso a plus de facilité que le Japon pour devenir une grande puissance.

Contrairement au Burkina Faso, le partenaire nippon connaît un manque d’espace plat, constituant une vraie contrainte majeure en plus de l’étroitesse des plaines côtières obligeant les hommes à vivre de manière très rapprochée. Le pays manque de terre cultivable avec une faiblesse des ressources du sous-sol. Il connaît donc une forte dépendance agricole, minière et énergétique.

Au manque de matières premières s’ajoute la situation du pays au carrefour de quatre plaques tectoniques, devant faire face aux volcans, aux tremblements de terres, aux tsunamis, moussons et typhons d’été provoquant de sévères inondations. Va-t-on comprendre que ce soit ce même pays qui aide le Burkina Faso par des programmes d’aide alimentaire ?

A croire que c’est l’épreuve qui conduit au succès. J’estime pour ma part que dans les domaines précédemment cités, dans lesquels le Japon n’a pas d’avantage ou des facilités qu’a le Burkina Faso, une coopération gagnante peut réellement naître.

En guise de conclusion, je salue ici la récente création à Chiba d’un Consulat honoraire du Burkina Faso, et la visite du directeur de la première division Afrique du département des affaires africaines du Japon à Ouagadougou. Je me réjouis des discussions lors de l’audience du 27 février 2025 entre l’ambassadeur du Japon au Burkina Faso, SEM Jun Nagashima et le ministre des affaires étrangères, de la coopération régionale, et des burkinabè de l’extérieur, SEM Karamoko Jean Marie Traoré.

La dynamique est lancée, vivement qu’elle soit très forte et encore plus active que jamais. Mes propos ne sont que ceux d’une chercheure dont l’objectif n’a pas été d’occulter les actions posées, mais d’inviter à une coopération plus étroite dont les autorités mesurent, je n’en doute pas les enjeux et les priorités.

Je termine mon propos avec des mots justes et bienveillants d’un grand journaliste bien connu des burkinabè, monsieur Ismaël Ouédraogo : « La folie des grandeurs doit habiter les dirigeants de tous les pays… Apprendre des autres est une marque de grandeur car personne n’a le monopole de la connaissance. Découvrir le monde nous aide à comprendre comment les autres se sont réalisés… »

Un proverbe de chez nous dit d’ailleurs que “ La science s’apprend de l’autre”

Dédicace à Anicet Liliou (qui m’a convaincue de parler du Japon au Burkina Faso.)

Edwige Wendinso Zoungrana

Doctorante contractuelle en droit des relations externes de l’Union européenne à l’Université de Tours (France)

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