Le Burkina Faso adopte une loi qui criminalise l’homosexualité : voici comment on pourrait résumer l’annonce faite au sortir du Conseil des ministres, hier [10.07.24], à Ouagadougou. Mais en réalité, il ne s’agit encore que d’un projet. Ce texte est en réalité beaucoup plus vaste et se propose de revoir le Code de la famille, et les lois qui régissent le mariage, notamment,
Réformes des lois sur le mariage
Le projet de loi doit encore passer devant l’ Assemblée législative de transition. Mais il prévoit en effet de modifier le Code des personnes et de la famille, qui remonte à 1989.
Le porte-parole du gouvernement, Jean Emmanuel Ouédraogo, a annoncé les principales mesures sur la télévision nationale, à commencer par la « reconnaissance des mariages coutumiers et religieux » :
« Il y a des conditions auxquelles ces mariages vont être transcrits sur le registre d’état civil et dorénavant auront les mêmes effets et les mêmes conséquences que les mariages civils, actuellement célébrés au niveau de l’état civil. »
De possibles « dérapages »
Ce que ça change pour les Burkinabè est difficile à savoir. D’abord parce que peu de gens ont vu le projet de loi dans son intégralité. Et ensuite parce que les modalités d’application n’ont pas été précisées.
Mais certains Burkinabè craignent de possibles « dérapages ». Par exemple, par quelle procédure seront déclarés, et donc reconnus officiellement, certains mariages religieux qui peuvent être célébrés sans la signature des époux, voire en l’absence de la mariée.
Quid des jugements supplétifs qui n’existent pour l’instant que pour les mariages civils ? se demande aussi un politologue que nous avons interrogé.
Ce sont des jugements qui tiennent lieu d’acte de naissance quand l’un des époux n’a pas de document qui prouve sa date et son lieu de naissance.
Paul Kiemde, ancien enseignant à l’Université Ouaga II, est d’avis que « ce sont ces questions techniques qui peuvent cacher des questions plus politiques : qu’est-ce qu’on consacre, qu’est-ce qu’on confère comme droits et qu’est-ce qu’on enlève comme droits ? »
Autres nouveautés prévues :
– la majorité civile abaissée de 20 à 18 ans (qui était déjà l’âge de la majorité politique),
– l’âge minimum requis pour un mariage fixé à 18 ans – sauf autorisation expresse d’un juge pour des unions dès 16 ans,
– la réforme du mode de transmission du nom de famille,
– l’introduction de nouvelles causes de déchéance de la nationalité burkinabè.
Plusieurs de ces propositions recoupent d’ailleurs des réformes qui avaient déjà été proposées en septembre 2022. Paul Kiemde se dit que « peut-être bien que ce n’était pas utile.[…] Personnellement, précise-t-il, je tenais le Code burkinabè de la famille comme un code très avancé. Ça veut dire qu’il y aura des reculs sur un certain nombre de points. »
Interdiction de l’homosexualité
Une proposition retient l’attention dans les médias : la pénalisation de l’homosexualité et « les pratiques assimilées » qui seront désormais interdites et punies par la loi.
Et c’est peut-être le sens d’une partie de ces réformes proposées : faire parler.
Notre correspondante, Alida Tapsoba, a demandé de réagir à des habitants de Ouagadougou. D’abord sur l’interdiction de l’homosexualité :
Un passant déclare : « Comme je suis Mossi, c’est un tabou, on n’en parle même pas chez nous. »
Une femme s’inscrit en faux : « Concernant le projet de loi sur les homosexuels, c’est vrai que dans certaines cultures africaines, la culture interdit que deux hommes ou deux femmes soient ensemble. Sinon, moi, je pense qu’ils sont libres de faire ce qu’ils veulent. Concernant le projet de loi sur le mariage de la jeune fille dès 16 ans, je pense que 16 ans c’est trop tôt. Elle n’a pas fini d’aller à l’école. C’est comme un mariage forcé. Elle-même n’a pas fini de s’éduquer, alors ne parlons même pas d’éduquer un enfant. Ça sera une charge pour elle. C’est mieux de le laisser à 18 ans. »
« Chez nous, reprend le passant, le mariage, c’est à partir de 20 ans. Moi je me dis qu’une fille qui a 16 ans n’est pas encore mature. »
Une autre femme déclare quant à elle qu’« à 16 ans, la personne n’est pas consciente. A 19 ou 20 ans, tu sais ce que tu veux. Et puis même, c’est mieux pour les filles, pour lutter contre beaucoup de choses. »
Pour justifier de ces mesures, le gouvernement invoque « la prise en compte des us et coutumes » burkinabè.
Des réformes au nom, donc, d’un retour à des traditions burkinabè qui s’inscrivent dans le nouveau narratif national des autorités militaires, qui appellent une nouvelle fois, par patriotisme, à se libérer d’un joug politique, économique mais aussi moral qui serait imposé par les Occidentaux.
Crédit: Lien source
Les commentaires sont fermés.