Il aura fallu près de quinze ans, une ténacité rare et un rien de chance pour parvenir à l’inauguration, vendredi 12 juillet, de ces murs bleu roi : ceux d’une salle de 50 m2 au premier étage du Musée national du Cameroun, où les visiteurs peuvent découvrir des statuettes en terre cuite, des jarres, des outils de fer forgé… Au total, 40 pièces archéologiques, vieilles pour certaines de dix siècles, encore jamais exposées dans le pays. De précieux témoignages du mode de vie et des pratiques funéraires du peuple des Sao, venu des pourtours du lac Tchad, et des Fali, leurs lointains descendants, agriculteurs montagnards des confins septentrionaux du territoire.
Mis au jour au Cameroun il y a plus de quarante ans, les vestiges ont rejoint Yaoundé fin juin depuis… Angoulême, où ils reposaient dans les réserves du musée de la ville. Un drôle de crochet par la Charente qui donne une force symbolique à leur retour, à l’heure où la promesse d’une loi-cadre permettant les restitutions d’objets aux anciennes colonies paraît compromise.
Un ethnologue natif d’Angoulême devenu camerounais de cœur
Ce détour s’explique par les attaches du découvreur des vestiges : l’ethnologue et archéologue au CNRS Jean-Gabriel Gauthier, décédé en 2008, Angoumoisin de naissance devenu un Fali de cœur. Étudiant la préhistoire à Bordeaux, il a 27 ans quand, en 1956, il débarque à Douala grâce à une bourse puis rejoint Garoua, la grande ville du Nord. « À son arrivée, l’administration coloniale lui dit : “Les Fali ont été peu étudiés, voici un goumier, un cuisinier et des provisions, allez-y, on viendra vous chercher dans une semaine“ », relate son épouse, Chantal Gauthier, ethnologue elle aussi.
Mais ses acolytes fileront avec les provisions et les autorités oublieront leur visiteur à Ngoutchoumi, le village fali où il s’est établi. « Les habitants ont alors commencé à lui déposer de quoi manger devant sa tente, poursuit Chantal Gauthier. Ils ne parlaient pas la même langue mais, peu à peu, se sont apprivoisés. » Même retraité, Jean-Gabriel Gauthier fera un séjour par an à Ngoutchoumi. Portant le masque lors des cérémonies rituelles, il deviendra un membre à part entière de la communauté tout en menant ses fouilles, en coopération avec l’université de Yaoundé.
Au gré de ses travaux, il rapportera des objets dans son laboratoire du CNRS, à Bordeaux. « Les dessiner, établir la composition chimique de la terre, tout cela ne pouvait se faire sur place », explique Chantal Gauthier. À sa mort, le chercheur laisse environ 400 pièces archéologiques. « Ces objets, indispensables à la connaissance des populations, ne m’appartenaient pas », dit son épouse, qui décide d’en faire don au Musée d’Angoulême. Sa hotte compte aussi de nombreuses pièces ethnographiques – colliers, vaisselle… – offertes par les Fali à leur ami.
Un cadeau d’une grande valeur scientifique
Nous sommes alors en 2011. Émilie Salaberry, à l’époque chargée des collections extra-européennes au Musée d’Angoulême, qu’elle dirige aujourd’hui, mesure la valeur scientifique du cadeau. « Cet ensemble atteste d’une grande homogénéité et couvre plusieurs siècles,ce qui est rare pour l’Afrique subsaharienne », souligne-t-elle. Seulement, le don ne peut rejoindre les collections. Aucun texte ne permet d’incorporer à l’inventaire des pièces appartenant à un tiers. Deux pistes s’offrent alors la conservatrice : soit recevoir l’aval du Cameroun pour les incorporer à ses collections, soit les lui remettre – option qui a sa préférence.
Un combat commence pour elle, qui ne prendra fin que le 12 juillet dernier. Émilie Salaberry écrit d’abord au ministère de la culture du Cameroun, à l’ambassade de France et au consulat, joignant une liste et des photos des objets. « Des lettres restées sans réponse », se souvient-elle. Nouvelle tentative un an plus tard. Cette fois-ci, la direction du patrimoine culturel lui propose une « mission d’expertise » à Yaoundé, qui aura bien lieu, mais sans effet.
« Inciter le public à s’intéresser à l’archéologie »
Jusqu’en novembre 2017 quand, à Ouagadougou, au Burkina Faso, Emmanuel Macron s’engage à ce que « d’ici à cinq ans, les conditions soient réunies pour des restitutions temporaires ou définitives » du patrimoine africain. Inouïe, sa promesse suscite un élan dans les musées européens et conforte les aspirations au sud de la Méditerranée… « Cela a donné une nouvelle dimension à mon dossier », se souvient Émilie Salaberry, même si les pièces archéologiques découvertes par Jean-Gabriel Gauthier, transférées en toute transparence après l’indépendance, ne peuvent faire l’objet d’une restitution.
Alors, le calendrier s’emballe. En octobre 2021, la conservatrice rencontre le conseiller de coopération culturelle à l’ambassade de France au Cameroun, Yann Lorvo, lors du sommet Afrique-France de Montpellier. « L’accompagner dans sa démarche a été une évidence, rapporte le diplomate. Le retour de ces pièces archéologiques permettait d’activer une jolie coopération culturelle. » D’autant que, au Cameroun, un comité interministériel pour les restitutions naît. « D’autres pays avaient accueilli des restitutions, le Bénin par exemple, explique Ivan Etta Ojang, directeur adjoint du Musée national. Aussi, la pression des sociétés civiles a joué. »
Au même moment, le Musée national, longtemps négligé, fait l’objet d’une rénovation, financée par la coopération française. Du dialogue entre le Musée d’Angoulême et Yaoundé émerge une double idée : la création d’une salle d’archéologie, ainsi qu’une exposition temporaire sur le nord du Cameroun. « Ce projet va inciter le public à s’intéresser à l’archéologie, une science négligée au Cameroun, où elle ne compte pas plus de dix diplômés », espère Olivier Hamana Soumaï, qui réalise une thèse sur l’archéologie en pays Fali.
Seule une partie des pièces archéologiques trouvées par Jean-Gabriel Gauthier a rejoint Yaoundé. Mais en vertu d’une convention en cours de rédaction, les pièces restant à Angoulême y relèvent désormais d’un « dépôt » du Cameroun. « Les Camerounais ont les cartes en main », se réjouit Émilie Salaberry. « Une manière, selon le diplomate Yann Lorvo, de montrer qu’à côté des restitutions, d’autres systèmes peuvent se mettre en place. »
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Le difficile accouchement de la loi-cadre
La mise en œuvre de la promesse d’Emmanuel Macron à Ouagadougou, en novembre 2017, de faire en sorte que « d’ici à cinq ans les conditions soient réunies pour des restitutions temporaires ou définitives » impliquait de faire sortir des œuvres des collections publiques, dotées par le code du patrimoine d’un caractère « inaliénable », et donc d’adopter une loi-cadre.
Le texte, préparé par le cabinet de l’ancienne ministre de la culture Rima Abdul Malak, devait être présenté au Parlement à l’automne dernier. Mais un retard, ajouté au remaniement ministériel de janvier, a rallongé les délais. Aucun projet n’a été partagé jusqu’à présent.
Les objets restitués jusqu’alors l’ont été grâce à des lois spécifiques, comme ces 26 pièces du « trésor d’Abomey », pillé en 1892 par les troupes coloniales lors de la mise à sac du palais royal du Dahomey, l’ancien nom du Bénin.
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