– J’ai un parcours qui a toujours consciemment, ou pas, pris en compte l’humain. J’ai longtemps officié dans la communication avant de revenir à ce qui me semble faire sens : l’écoute et la transmission. L’écoute avec l’écriture -même si cela peut paraître paradoxal- qu’elle soit créative dans les maisons de retraite afin de mettre en mot les parcours, les émotions, les attentes, les rires et les craintes de nos anciens, ou à travers des éditos, des textes ou des chroniques littéraires pour la presse. La transmission en accompagnant en français ou en littérature des élèves ou des adultes allophones. Quant à mes racines, elles sont désormais bien ancrées dans cette île après un retour en Corse devenu vital, il y a maintenant plus de dix ans. C’est inexplicable et cette seule explication me convient !
-Comment êtes-vous venue à l’écriture ?
-Je crois que c’est l’écriture qui est venue à moi. L’écriture m’a façonnée dès que j’ai été en âge d’utiliser ce pouvoir, car c’en est tout comme celui de la lecture. C’est ce que j’essaie de transmettre dans mes textes, mais aussi à celles et ceux que j’accompagne dans la découverte ou dans l’utilisation des mots pour ne pas parler, mais (se) dire ce qu’on écoute. Ça peut paraître utopique à l’heure actuelle, mais ça ne devrait pas l’être. Pour moi, écrire, avant ou après avoir lu, est un besoin que je dois combler quotidiennement. J’ai toujours un ou deux carnets dans mon sac en plus de mon « mémo » sur mon téléphone portable pour prendre des notes ou poser une idée, une émotion, un fait !
-Des écrivains de références ?
– Impossible de répondre à votre question. Toutes les autrices et tous les auteurs sont pour moi des références parce que toutes et tous donnent à lire, à voir ou à entendre. Après, il y a ce socle littéraire que j’ai fabriqué couche après couche au fil de mes lectures imposées et choisies, suivant mon humeur ou mes attentes. Dans « Juste une île », en les mettant en exergue de chaque chapitre, j’ai à ma manière, rendu hommage à celles et ceux qui m’ont accompagnée, m’ont parlée durant ce travail d’écriture. Colette, Charlotte Delbo, Marguerite Duras, Julia Kristeva, Marie Moscovici, Lou Andréas-Salomé, Simone Weil, Louis Aragon, Roland Barthes, Joe Bousquet, Christian Bobin, Cicéron, Paulo Coelho, Albert Camus, René Char, Freud, Romain Gary, Joseph Joffo, Frantz Kafka, Jean de La Bruyère, Alphonse de Lamartine, François Mauriac, Montesquieu, Pierre Michon, Haruki Murakami, Nietzsche, Jean d’Ormesson, Marcel Proust, Pascal Quignard, Philippe Sollers, Paul Valéry ont été mes références durant ce temps d’écriture intense et parfois compliqué.
-Vos publications ?
-Quelques avant-propos dans des ouvrages, des textes courts dans des revues littéraires, beaucoup d’articles d’humeur et chroniques littéraires et bien sûr la coécriture de « 21 femmes qui font la Corse » qui est, pour ma plus grande joie, toujours proposé dans les librairies et dans les médiathèques pour éclairer les femmes qui font aujourd’hui en Corse. Rendre visible ce qui n’est pourtant pas invisible, les femmes, lesdites « minorités », celles et ceux qui sont au bord du monde est certainement l’axe principal de tout ce que je peux écrire. « Juste une île » s’inscrit dans cette quête personnelle.
-Le thème de ce livre ? Et pourquoi ?
-Je dirais que c’est une promesse de rencontres. Rencontre improbable entre deux femmes que tout semble séparer. Rencontre avec soi-même, pour la narratrice en quête de sens après avoir été cabossée par la société. Rencontre avec l’histoire grâce à Tildette, qui en évoquant sa vie et ses souvenirs en Corse, veut remercier cette île de l’avoir protégée, elle jeune femme juive et sa famille durant la Shoah sur le Continent. Dire à qui veut l’écouter que les Corses lui ont permis de vivre alors que sur le continent nombreux sont ceux qui n’ont pas pu survivre. Ce roman est inspiré de l’histoire réelle de Tildette aujourd’hui centenaire. C’est un roman basé sur une histoire vraie, celle de Tildette, aujourd’hui centenaire donc qui veut faire entendre en ces temps troublés qu’une jeune femme a fait de cette île, de décembre 1942 à avril 1945, la terre d’asile de sa famille et sa terre de cœur à tout jamais ! Une rencontre synonyme de reconnaissance pour la narratrice après un burn-out, autour d’une vie protégée -et non cachée- en Corse, dans l’appartement de Danielle Casanova, pour Tildette et sa famille de 1942 à 1945, après avoir fui Paris et Marseille. C’est l’histoire d’une rencontre entre deux femmes qui ne se connaissent pas, qui n’ont apparemment rien en commun. Pourtant, c’est une île, la Corse, qui va les unir, et transformer un simple rendez-vous en une amitié profonde et sincère.
-Un roman qui vous a certainement amenée à effectuer des recherches ?
-Oui car je ne suis pas historienne. J’ai bien sûr été confrontée à un travail de recherche parce que la vérité de Tildette, je devais aussi la confronter à la réalité de l’histoire. Dans le roman, la narratrice évoque le travail personnel fait par Boris Cyrulnik sur ses propres faux souvenirs. Si le roman a pu me dédouaner de tout vérifier, je ne devais pas trahir la parole et les faits. Ce choix d’un roman m’a permis de dire ce qui est impossible dans la réalité, ce qui n’a pas de mots et de ne pas mettre en péril cette impossibilité. C’est ma manière de respecter celles et ceux qui ne sont pas revenus des camps, celles et ceux qui ont vécu cette réalité, de les rendre visibles et de ne pas les oublier dans des temps de plus en plus troublants et troublés.
-Le choix du titre ?
-Sa lecture est double et je laisse à chaque lectrice et à chaque lecteur, le choix de son sens. Ce titre, je ne l’ai pas choisi pour déclencher une polémique, mais juste pour parler de mémoire, de transmission et d’humanité, juste pour rendre hommage, juste pour respecter une promesse et donner à espérer.
-Des projets ?
-Pour l’instant, j’essaie de prendre un peu de recul et je me nourris des premiers retours de lecture de « Juste une île ». Beaucoup de témoignages sont émouvants et nourrissent d’autres projets d’écriture. Pour l’instant, je réfléchis à « une mise en image » de ce roman pour mettre autrement en lumière le mouvement singulier et le souffle collectif de cette Corse refuge et protectrice où l’antisémitisme n’avait pas sa place, et dont je ne sais pas s’il pourrait être reproduit à l’avenir ! J’ai mis sept ans à écrire ce roman, je ne sais pas combien de temps va durer mon prochain silence d’écriture au beau milieu du vacarme du monde.
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