Dans les couloirs de Moscou, où se tiennent depuis le 3 avril les consultations entre l’Alliance des États du Sahel (Niger, Mali, Burkina Faso) et la Russie, le ton est sans équivoque sur la question du FCFA.
Le ministre nigérien des Affaires étrangères, Bakary Yaou Sangaré, vient de mettre fin aux spéculations concernant l’avenir du FCFA dans les trois pays formant l’AES.
« C’est clair qu’on ne va pas rester dans cette affaire de CFA. La France même le sait », a-t-il affirmé lors d’un entretien accordé au média russe RT.
Cette déclaration marque un tournant dans la quête de souveraineté monétaire entreprise par le Niger, le Mali et le Burkina Faso.
« Le premier instrument de la souveraineté, c’est la monnaie. Vous ne pouvez pas être souverain si c’est quelqu’un qui frappe votre monnaie », a souligné le chef de la diplomatie nigérienne, balayant d’un revers de main les doutes sur la capacité de ces États à créer leur propre devise.
L’expérience des sanctions économiques imposées au Niger semble avoir cristallisé cette détermination.
M. Sangaré pointe particulièrement du doigt l’attitude de la Banque Centrale des États de l’Afrique de l’Ouest : « Ce que la BCEAO nous a fait, c’est proprement injuste. Mon argent que je vous ai donné pour garder, vous ne pouvez pas me le refuser. Et c’est ce qui s’est passé ».
Durant huit mois, le Niger s’est vu privé de l’accès à ses propres avoirs, une situation que le ministre qualifie sans détour d’« embargo » orchestré sous influence française.
Si aucun calendrier précis n’a été évoqué pour cette transition monétaire, les contours d’une stratégie se dessinent. La Russie, premier pays à avoir reconnu l’AES après sa création, pourrait jouer un rôle déterminant dans ce processus.
« Nous avons besoin de soutien des pays comme la Russie, qui occupera une place importante dans la mise en circulation de notre monnaie », a confirmé le ministre.
Cette ambition monétaire s’accompagne logiquement d’une sortie programmée de l’Union économique et monétaire ouest-africaine.
« Avec l’UEMOA, on n’en parle pas pour le moment, mais on va le faire », a précisé M. Sangaré, établissant un parallèle avec le retrait de la CEDEAO effectif depuis janvier dernier.
Pour lui, l’équation est simple : « La seule façon de nous empêcher de sortir de la CEDEAO et de l’UEMOA, c’est de nous faire sortir de l’AES ». Une hypothèse qu’il écarte catégoriquement.
Cette visite à Moscou marque la première rencontre institutionnalisée entre l’AES et la Fédération de Russie, dans un contexte de profonde reconfiguration géopolitique en Afrique de l’Ouest.
Au-delà de la coopération sécuritaire, considérée comme la « colonne vertébrale » de la Confédération, c’est désormais un partenariat économique et monétaire qui semble se dessiner.
Malgré cette rupture assumée avec les institutions régionales traditionnelles, le diplomate nigérien a confirmé que l’AES restait ouverte au dialogue, répondant à l’invitation de la CEDEAO pour des négociations, tout en maintenant une position ferme : « Nous partons dans un esprit très conciliant. Nous ne voulons pas de problème ».
Quant à l’expansion potentielle de cette alliance sahélienne, M. Sangaré précise que de nouveaux membres pourraient rejoindre l’AES sous conditions, notamment celle de ne pas être « sous influence des Occidentaux » – une formule qui résume l’essence même du projet porté par ces trois États déterminés à réinventer leur souveraineté, monnaie incluse.
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