« Nous sommes autosuffisants en chocolat. Nous produisons assez de noix de cajou. Pourtant, nous continuons d’importer l’essentiel de notre alimentation ! » dénonce, non sans ironie, Kobenan Kouassi Adjoumani, ministre ivoirien de l’Agriculture et du Développement rural. Présent au Salon international de l’agriculture de Paris, il souligne une aberration économique : un pays leader mondial du cacao, du café et de l’anacarde qui nourrit le reste du monde, mais reste dépendant des importations pour sa propre consommation.
« Nous devons continuer à produire pour les autres, car leur appétit pour le chocolat, le café et la noix de cajou est insatiable. Mais il est temps de penser aussi à nous-mêmes », martèle le ministre. Un déclic renforcé par les chocs successifs de la pandémie de Covid-19 et de la guerre en Ukraine, qui ont révélé l’urgence de la souveraineté alimentaire.
Leader mondial du cacao, numéro un africain de l’anacarde et du caoutchouc, deuxième producteur d’huile de palme du continent… L’agriculture ivoirienne est un mastodonte qui pèse lourd : 16 % du PIB en 2023, deux tiers de la population active et 60 % des recettes d’exportation. Pourtant, ce fleuron économique repose sur un paradoxe criant : le pays exporte massivement ses richesses agricoles tout en important une grande partie de son alimentation.
Un modèle que le gouvernement veut désormais inverser. « Le premier président de la Côte d’Ivoire, Félix Houphouët-Boigny, a toujours dit que la réussite de la Côte d’Ivoire réside dans l’agriculture. Aujourd’hui, nous nous tournons vers le maraîchage et la production vivrière », explique Kobenan Kouassi Adjoumani. « Entre sécurité alimentaire et souveraineté alimentaire, nous avons choisi plutôt la souveraineté alimentaire : produire nous-mêmes ce que nous voulons consommer », insiste-t-il.
Le riz, objectif numéro un
Si dans les années 1970, la Côte d’Ivoire était autosuffisante en riz, ce dernier était boudé par les Ivoiriens, qui préféraient le goût du riz importé. Depuis, des efforts ont été faits. « Aujourd’hui, le riz que nous produisons en Côte d’Ivoire est nettement meilleur, sa saveur est vraiment incontestée. Cela nous renforce davantage dans notre volonté de parvenir à l’autosuffisance en riz », reconnaît le ministre de l’Agriculture.
Il faut dire que les Ivoiriens consomment de grandes quantités de riz… Et parfois même, matin, midi et soir ! « Le riz est la protéine végétale la plus consommée en Côte d’Ivoire. Aujourd’hui, nos objectifs d’atteinte de la sécurité alimentaire et même de la souveraineté alimentaire en matière de riz sont quasiment atteints, se réjouit-il. Nos besoins réels en consommation de riz sont de l’ordre de 2,1 millions de tonnes. Nous avons produit plus de 1,3 million de tonnes en 2023. Selon le bilan que nous venons de faire avec l’Agence pour le développement de la filière riz (Aderiz), nous sommes arrivés à plus de 1,5 million de tonnes en 2024. Le gap qui reste est donc de 600 000 tonnes. Nous pensons qu’avec les moyens dont dispose l’État et l’enthousiasme prononcé des producteurs, nous serons capables d’ici fin 2026 d’atteindre cette souveraineté alimentaire en termes de riz. »
Si le ministre se réjouit, c’est que l’objectif est poursuivi depuis longtemps. Dès 2012, le gouvernement ivoirien a misé sur le riz au travers du Programme National d’Investissement Agricole (PNIA) et de la Stratégie Nationale de Développement de la Riziculture (SNDR, 2012-2020). Cette stratégie a été renouvelée pour 2024-2030 pour un coût estimé à 917 milliards de FCFA. Reste que le pays importe tout de même environ 1,3 million de tonnes de riz par an pour près de 400 milliards de FCFA (600 millions d’euros), soit plus qu’il n’a besoin officiellement pour couvrir la demande interne.
Au-delà du riz, la Côte d’Ivoire mise sur d’autres cultures stratégiques pour renforcer son autonomie alimentaire. Bananes plantains, manioc, igname, maïs… Autant de denrées essentielles, déjà largement cultivées et consommées localement. « Nous déployons une politique d’irrigation ambitieuse qui, à terme, nous permettra d’atteindre la souveraineté alimentaire sur ces produits aussi », assure le ministre.
Anader, le bras armé de l’autosuffisance alimentaire
À Découvrir
Le Kangourou du jour
Répondre
Pour concrétiser son ambition d’autosuffisance alimentaire, la Côte d’Ivoire s’appuie sur un réseau d’agences dédiées au développement agricole, en tête desquelles l’Agence nationale d’appui au développement rural (Anader). Créée en 1993, cette structure mobilise près de 2 500 agents à travers tout le pays pour encadrer et accompagner les agriculteurs. « Former, orienter, conseiller », tels sont les piliers de l’action de l’Anader, souligne Kobenan Kouassi Adjoumani. L’objectif ? Optimiser la production locale pour garantir la souveraineté alimentaire. Conscient des défis à relever, l’État a récemment renforcé les moyens de l’Anader avec une dotation de 5 milliards de FCFA : 597 motos, 102 véhicules 4×4, ordinateurs, tablettes et GPS. « Cette agence est notre force sur le terrain, jusqu’au plus profond des villages et hameaux », insiste le ministre.
Pour parvenir à cette autosuffisance, un obstacle se dresse. « Le changement climatique ravage certaines productions, reconnait le ministre. Au niveau de la Côte d’Ivoire, nous avons misé sur la recherche qui nous permet d’avoir des semences à haut rendement mais qui s’adaptent au climat ». Il insiste aussi sur la qualité des intrants pour soutenir la production, le déploiement de l’irrigation et de la mécanisation. Après sa forte présence au Salon international de l’agriculture à Paris, la Côte d’Ivoire donne rendez-vous à Abidjan pour son propre Salon de l’agriculture du 23 mai au 1er juin prochain.
Crédit: Lien source