« Le mariage forcé est un crime, mais il reste impuni », déplore Me Amélie Villageon de retour de Guinée au profit d’Avocats sans frontière
Amélie Villageon, avocate originaire de Montauban (Tarn-et-Garonne) et membre d’Avocats sans frontières France, revient d’une mission en Guinée, où elle a formé magistrats, avocats et soignants à la lutte contre les violences basées sur le genre. Elle pointe les failles du système judiciaire et les résistances culturelles qui freinent l’accès à la justice des victimes.
Quels sont les principaux obstacles à la lutte contre l’impunité des auteurs de violences basées sur le genre (VBG) en Guinée ?
Le premier frein est structurel : le système judiciaire souffre d’un cruel manque d’effectifs, de formation et de moyens matériels. Des dossiers disparaissent, obligeant les avocats à les reconstituer avec des ressources limitées. L’accès au droit est aussi un enjeu majeur : les avocats sont absents de nombreuses zones du pays, et l’aide juridictionnelle ne fonctionne pas. De nombreuses victimes, en situation de précarité, sont aussi financièrement dépendantes de leur agresseur et craignent des représailles. La méconnaissance des droits et le poids des traditions achèvent de dissuader celles qui voudraient saisir la justice.
Comment vos formations aident-elles à améliorer la prise en charge des victimes ?
La Guinée dispose d’un arsenal juridique incriminant les VBG, mais son application est entravée par une approche judiciaire lacunaire. Trop souvent, policiers, gendarmes et magistrats accordent une importance excessive aux certificats médicaux, négligeant d’autres éléments de preuve. En l’absence de lésions visibles, ils classent les affaires, alors qu’il est possible de recueillir des témoignages ou de demander une expertise psychologique. Nos formations, interactives et collaboratives, visent à combler ces lacunes.
Les traditions et les croyances religieuses sont souvent invoquées pour justifier certaines violences. Comment abordez-vous cette question ?
Nous ne donnons pas de leçon. Ce serait contre-productif venant de juristes étrangers. En revanche, nous amenons les professionnels du droit à interroger leurs propres pratiques. Ils connaissent le principe de hiérarchie des normes, qui place la loi au-dessus de la coutume. Le rappeler permet de mettre en évidence l’illégalité de certaines pratiques, comme le mariage forcé ou l’excision. Mais en pratique, ces crimes restent largement impunis. Les poursuites contre les leaders religieux ou les chefs de village, souvent complices, sont rares. Il est donc essentiel de sensibiliser ces figures d’autorité, pour enrayer à la source la perpétuation des violences.
La lenteur de la justice est un problème en France comme en Guinée. Quelles solutions proposez-vous ?
En France, des procédures accélérées, comme la comparution immédiate ou l’ordonnance de protection, ont été mises en place. En Guinée, le problème est plus profond : c’est l’ensemble de l’appareil judiciaire qui est en crise. Faute de moyens humains et matériels, les procédures traînent, les victimes se découragent et les auteurs restent impunis. Nous accompagnons les professionnels du droit pour qu’ils exploitent au mieux les ressources existantes. Mais sans investissements structurels, la lutte contre l’impunité restera incomplète.
Quelles actions concrètes mettez-vous en place pour pallier ces carences ?
Notre mission s’inscrit dans le projet Libre (Lutte contre l’Impunité des auteurs de violences Basées sur le genre afin de Renforcer l’Égalité), qui se déploie sur trois ans. Il comprend la formation des acteurs judiciaires, mais aussi la création d’un groupe d’avocats spécialisés dans la défense des victimes. L’objectif est d’améliorer leur accompagnement et d’assurer un suivi plus rigoureux des dossiers.

Comment sensibiliser les juges et magistrats à la nécessité de lutter contre les stéréotypes sexistes ?
L’égalité entre hommes et femmes est un objectif de développement durable de l’ONU depuis 2015. Avocats sans frontières collabore avec des organisations locales, comme le Club des jeunes filles leaders de Guinée et le Centre guinéen pour la promotion des droits de l’homme, pour sensibiliser les professionnels du droit, mais aussi les leaders religieux et politiques. L’enjeu est avant tout l’application des lois existantes. Il ne s’agit pas de faire évoluer les mentalités par la contrainte, mais d’inciter chacun à remplir son rôle : poursuivre les auteurs, protéger les victimes et garantir l’accès à la justice.
Le mariage forcé et la polygamie sont encore répandus. Comment lutter contre ces pratiques ?
Le mariage forcé est pénalement réprimé en Guinée, mais les poursuites restent rares. Nous travaillons avec les acteurs judiciaires pour structurer une réponse plus efficace. Il ne suffit pas de poursuivre les auteurs : les complices, qu’ils soient chefs de village ou autorités religieuses, doivent aussi être tenus pour responsables.
En tant qu’avocate française, comment adaptez-vous votre approche à ce contexte ?
Nous n’avons pas vocation à nous substituer aux avocats guinéens, mais à les accompagner et à partager des pratiques adaptées aux réalités locales. L’approche est toujours collaborative, fondée sur l’échange et la coconstruction de solutions. L’objectif est de renforcer les compétences sans imposer un modèle extérieur.
Crédit: Lien source