Le mirage « Akon City », la ville futuriste du chanteur américain, se dissipe au Sénégal

Près du village de Mbodiène, à 100 km au sud de Dakar, face à l’océan Atlantique, les herbes folles poussent, les troupeaux de zébus les ruminent, mais pas l’ombre d’une grue, d’un marteau-piqueur ou d’un ouvrier. Concédées en 2020 au chanteur américain d’origine sénégalaise Akon – Alioune Badara Thiam de son vrai nom – pour y construire une grande ville futuriste à son nom, ces terres broussailleuses devraient pourtant être un vaste chantier.

A l’origine, le projet Akon City, dont le budget annoncé avoisinait les 6 milliards de dollars (5,5 milliards d’euros au cours actuel), promettait l’achèvement d’une première phase de travaux fin 2023, reportée à 2025 en raison de la pandémie de Covid-19. Celle-ci devait comprendre des routes, un centre commercial, des hôtels de luxe, un hôpital, un poste de police et une centrale photovoltaïque. Jusque-là, seule la structure d’un bâtiment incurvé a vu le jour : le « Welcome Center » (centre d’accueil) de la future cité, selon les autorités locales.

Le 28 juin, la Société d’aménagement et de promotion des côtes et zones touristiques du Sénégal (Sapco), rattachée au ministère du tourisme, a adressé une mise en demeure à l’artiste. Conséquence : sans reprise effective des travaux d’ici à la fin du mois de juillet, l’Etat pourrait lui retirer la quasi-totalité des terres qui lui avaient été concédées, soit 50 hectares sur 55 (pour lesquels il n’a pas encore de titre foncier). Ce qui mettrait, de fait, un terme définitif à Akon City. Contactées, les équipes chargées du projet, représentées notamment par l’entreprise KE International, maître d’œuvre du chantier, n’ont pas répondu aux sollicitations du Monde Afrique.

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« Pour l’instant, nous gardons espoir que le projet débute, souffle Marcel Diome, le chef du village de Mbodiène. Jusqu’à présent, tout ce qu’il avait promis, Akon l’a fait. Nous croyons donc en lui même si c’est un peu lent. » Le notable ajoute que la star a financé la construction d’un terrain de basket, d’une maison de la jeunesse et clôturé le terrain de football. Des réalisations bien loin de la ville futuriste annoncée, mais qui sont pour lui la preuve de son engagement.

Une ville digne du Wakanda

Lors de son lancement, Akon City incarnait la promesse d’une ville nouvelle, « green » et « high-tech », imaginée par Akon lui-même, avec le soutien de l’ancien président Macky Sall (2012-2024). Les premiers plans, dévoilés en 2018, avaient inondé la presse et présageaient une cité aux infrastructures ultramodernes et à l’architecture tout en courbes ; une ville digne du Wakanda, le royaume africain fictif des films Black Panther, et qui n’aurait rien à envier à Dubaï. « Je veux que mes bâtiments ressemblent à des sculptures », avait annoncé le chanteur américain lors d’une conférence de presse en 2020, expliquant que les comparaisons avec le blockbuster des studios Marvel avaient « décuplé [sa] motivation ».

Le chanteur américain Akon devant une vue d’artiste de son projet « Akon City ».

Outre des hôtels de luxe, des centres commerciaux démesurés et des studios de cinéma, Akon avait imaginé la construction d’hôpitaux, d’universités équipées de technologies de pointe et d’une centrale solaire de 120 mégawatts afin de produire de l’électricité localement en toute autonomie. La ville aurait même fonctionné avec sa propre cryptomonnaie, « l’akoin ». Objectif : « stimuler le micro-échange et la stabilité financière en Afrique et au-delà », selon le chanteur. Lancé en 2020, l’akoin a vu son cours s’effondrer en quelques mois, passant d’une valeur de 0,15 dollar à 0,00035 dollar aujourd’hui, selon le site BitMart.

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Akon n’en est pas à sa première mise en demeure. Déjà, en 2022, l’absence de travaux lui avait valu un rappel à l’ordre de la Sapco. L’équipe du projet avait alors entrepris des études géotechniques et réalisé quelques modestes opérations de terrassement. Dans la foulée, début 2023, la charpente du fameux « Welcome Center » était apparue. Depuis, plus rien. Face aux critiques sur l’avancée du chantier, Akon avait affirmé lors d’une interview à la BBC, fin 2023, que son projet était « en marche à 100 000 % » et qu’à l’avenir, les personnes critiques « auraient l’air stupide ».

Un financement nébuleux

Au Sénégal, certains médias n’ont pas hésité à évoquer une « escroquerie », néanmoins jamais démontrée. A l’instar du site Dakaractu, qui, en mars 2022, se demandait si Akon City ne serait pas une pyramide de Ponzi.

« Il n’y a pas eu d’enrichissement personnel ni d’arnaque », rétorque un ancien collaborateur d’Akon basé à Dakar, qui a démissionné début 2023 avec une dizaine d’autres consultants. « Akon a dépensé plusieurs millions sur fonds propres pour ce projet. Mais il n’a pas réussi à confirmer les promesses d’investissement alors qu’il n’est pas en mesure de tout financer seul », poursuit-il, regrettant un « manque d’engagement » de la star américaine. Un problème de taille pour un projet ultra-personnalisé, dont la crédibilité dépend quasi exclusivement de la personne qui le porte.

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Le financement d’Akon City a toujours été pour le moins nébuleux. En 2020, la société américaine KE International indiquait au Monde Afrique avoir « déjà collecté 4 milliards de dollars venant d’investisseurs dirigés par Julius Mwale », un homme d’affaires kényan déjà engagé dans un projet similaire au Kenya, la Mwale Medical & Technology City – qui a elle aussi bien du mal à sortir de terre. Selon plusieurs anciens collaborateurs du projet à Dakar, ces promesses de financement d’Akon City n’ont jamais été concrétisées.

« Pour les habitants de Mbodiène, Akon City reste un rêve », estime Marcel Diome, qui ne désespère pas de voir les anciens champs de maïs et les pâturages remplacés par des bâtiments futuristes. En vue des Jeux olympiques de la jeunesse, qui se dérouleront au Sénégal en 2026, la demande d’hébergement devrait exploser entre Dakar et la Petite Côte, la portion de littoral au sud de la capitale. Mbodiène et les hectares jusqu’ici promis à Akon intéresseraient ainsi plusieurs investisseurs désireux d’y bâtir des complexes hôteliers, moins grandioses mais plus concrets.

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