Depuis quelques jours, le Niger est sur tous les fronts. Le 14 mars, Niamey a expulsé trois dirigeants chinois de sociétés pétrolières et le 17 mars, il a décidé de rompre avec la Francophonie. Une décision relayée ensuite par le Mali et le Burkina Faso. Pourquoi cette offensive souverainiste de la part du général Abdourahamane Tiani ? Quels sont les dessous de ces deux choix politiques de Niamey ? L’économiste français Olivier Vallée a été conseiller technique au Sahel, notamment au Niger, où il a gardé de contacts. Il répond aux questions de Christophe Boisbouvier.
RFI : Pour expliquer leur rupture avec la francophonie, les trois pays de l’AES affirment que l’OIF est un « instrument politique téléguidé », sous-entendu par la France. Pourquoi ont-ils attendu jusqu’à 2025 pour rompre ?
Olivier Vallée : Ce qui s’est passé, c’est que les trois pays de l’AES ont essayé, via l’OIF, de rétablir des relations plus paisibles avec Paris et qu’à chaque fois, ça a été, en particulier vis-à-vis du Niger, un refus catégorique. Deuxième facteur, en grande partie sous l’influence de l’Élysée, l’OIF a été peu à peu remplie à un certain nombre de postes de Franco-Sahéliens et les Franco-Sahéliens qui étaient dans l’OIF ont plutôt milité ouvertement contre les pays de l’AES.
Est-ce que la réintégration dans l’OIF de la Guinée Conakry, c’était en octobre dernier, a provoqué un mécontentement chez les pays de l’AES ?
Non, pas vraiment. C’était simplement la manifestation de plus qui tendait à prouver que les proscrits de la francophonie n’étaient pas les ennemis de la démocratie, mais plus spécialement ces trois pays de l’AES.
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Le Niger est aussi dans une relation exigeante avec son partenaire chinois, puisqu’il vient d’expulser trois Chinois responsables de la gestion de sa filière pétrolière. Pourquoi cette mesure d’une grande fermeté ?
En matière pétrolière, les grands accords sur l’ensemble de la filière – que ce soient le pipe qui est géré par une filiale sino-béninoise, Wapco, la raffinerie Soraz qui est à Zinder, qui est une filiale sino nigérienne, et l’extraction même du pétrole, qui est assurée par la compagnie chinoise Cnpc -, ce sont des accords qui ont été passés principalement par l’administration Issoufou. Et pour ce qui est de Wapco, par un ministre du Pétrole qui s’appelle Bazoum, qui va devenir ensuite, on le sait, président. Donc je crois qu’il y avait un litige, ou plusieurs litiges, sur tous les contrats qui ont été signés pendant l’administration Issoufou et l’administration Bazoum, et que des incidents récents lors de la convocation de dirigeants chinois des filiales nigériennes auprès du ministre du Pétrole ont été d’une certaine façon la goutte de pétrole qui a fait déborder le baril et qui a poussé le gouvernement du Niger à cette décision d’expulsion dans un cadre juridique. Maintenant, le dossier est confié au ministre de la Justice qui va demander plusieurs audits, et en particulier un audit sur le fonctionnement de Wapco.
Donc en fait, ce n’est pas une mesure individuelle contre ces trois cadres chinois, c’est une mesure contre l’État chinois qui ne verse pas assez de royalties et qui ne paye pas assez d’impôts ?
C’est certainement un des éléments qui devraient apparaître à la suite des audits et de la révision des contrats. Et on est un petit peu dans le cadre de la reconquête du contrôle des ressources minières qu’on observe dans les autres pays de l’AES. Ce qui est plus particulier dans le cas nigérien, c’est que toutes les clauses des contrats passés avec les administrations précédentes sont restées secrètes et n’ont pas été transmises au gouvernement actuel du Niger. Donc l’identification du manque à gagner ou du déficit fiscal qu’aurait subi le Niger n’est pas encore établi. Et ces trois responsables chinois n’ont pas fait l’objet d’emprisonnement, de menaces de rétention. Ils ont été expulsés par une décision motivée.
Le Niger a trop besoin de la Chine pour pouvoir jeter en prison des ressortissants chinois ?
Je pense qu’il y a deux choses. Il n’est pas nécessaire pour le Niger d’arriver à une relation aussi tendue avec la Chine qu’avec la France et, deuxièmement, la prison, en particulier pour des ressortissants étrangers, ne fait pas partie des habitudes du Niger.
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