Après Goma, la ville de Bukavu a été prise il y a près d’un mois par le M23 et a été le théâtre d’affrontements entre ce groupe rebelle et les Forces armées de la République démocratique du Congo. Depuis, le chaos et l’insécurité se propagent dans la capitale du Sud-Kivu. Les femmes et les enfants sont les principales cibles de la progression du M23. L’hôpital de Panzi, qui soigne les femmes violées, est débordé.
Bukavu borde le mythique lac Kivu. Mais cette ville n’est pas connue pour ses attraits touristiques. Son histoire est étroitement liée à celle du docteur Denis Mukwege, Prix Nobel de la paix en 2018. Ce chirurgien a créé, en 1999, l’hôpital de Panzi qui accueille et opère des centaines de femmes mutilées après avoir été violées dans la région. Depuis sa création, cet hôpital situé à Bukavu a soigné plus de 60 000 femmes violentées sexuellement. Depuis quelques semaines, la ville fait face à une recrudescence du nombre de viols.
Bukavu a été le théâtre d’affrontements entre le M23, le Mouvement du 23 mars, associé aux forces rwandaises, et des forces de la FARDC ces dernières semaines.
Depuis, jour après jour, la ville sombre dans le chaos.
La justice populaire bat son plein
Amani (le prénom a été modifié), membre d’une association de lutte contre le sida située à Bukavu, raconte que depuis la prise de la ville, les forces congolaises ont progressivement déserté et que, désormais, le M23 ne parvient pas à maîtriser la situation. La raison ? Les prisonniers évadés viennent se mêler aux forces rebelles et déversent leur haine en se livrant au banditisme et au pillage. 5 000 prisonniers courent les rues et alimentent la terreur dans les rues de Bukavu. Selon les différents témoignages recueillis, le M23 serait dépassé par le banditisme et l’explosion de violence dans la ville.
En quittant les lieux, les forces armées de la République du Congo ont abandonné munitions et armes qui ont été récupérées par ces prisonniers qui s’en servent pour les braquages. Les armes circulent librement. La violence devient incontrôlable.
Les différents témoignages recueillis à Bukavu font état de la peur organique qui s’est emparée de la population. Les habitants vivent au rythme des coups de feu et d’hommes qui frappent aux maisons au crépuscule, une kalachnikov à la main pour voler et violer.
Pour que la peur change de camp, les civils tentent de se défendre et racontent les lynchages à la nuit tombée. La justice populaire bat son plein. Amani, qui n’a accepté de nous parler qu’au bout de plusieurs jours avec une extrême prudence de peur des représailles, raconte qu’un soldat du M23 a tenté de violer une jeune fille de 14 ans dans un quartier proche de la frontière rwandaise. « Ce sont les jeunes qui l’ont défendue et sauvée. Ils ont été plus forts que la terreur que répand le M23. »
Mais ce n’est pas suffisant. « C’est de pire en pire tous les jours, nous vivons une situation totalement inédite, la ville s’embrase. Chaque jour, Bukavu compte ses morts. » Les femmes et les enfants en première ligne.
Un afflux de femmes violées
Les femmes, déjà lourdement touchées par le viol dans ce territoire du Sud-Kivu, sont à nouveau prises au piège dans cette ville cette fois.
Elles craignent de sortir de chez elles et vivent barricadées. Elles en paient déjà les conséquences : « Quatorze femmes sont décédées la semaine dernière parce qu’elles ne se sont pas rendues au centre de soin pour le VIH et n’ont pas pu récupérer leur traitement », se lamente Amani, qui revient tout juste de l’hôpital où sa femme a avorté tant la tension nerveuse est forte.
Les viols aussi sont en augmentation. À l’hôpital de Panzi, on ne répond pas aux demandes des médias tellement l’hôpital est surchargé. Nous avons obtenu confirmation par une infirmière qui travaille sur place que l’hôpital faisait face à un afflux de femmes violées. « Nos analyses prouvent que l’on a observé une augmentation significative des viols qu’ils soient collectifs ou non », confirme Paulin Nkwosseu, chef des opérations terrain pour l’Unicef en République du Congo.
La situation des enfants est également alarmante. Il y a quelques semaines, le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme avait tout de suite alerté sur des cas d’exécutions sommaires d’enfants par le M23 lors de son entrée dans la ville. Aujourd’hui, Paulin Nkwosseu, basé à Goma, qui vient de passer plusieurs jours dans la ville, confirme l’affolement et la panique qui animent les habitants. L’entrepôt de l’Unicef à Bukavu, dans lequel étaient stockées des solutions de pâtes nutritionnelles et énergétiques pour les enfants qui souffrent de malnutrition, a été vandalisé et pillé. 600 cartons et 863 000 dollars de nourriture et matériel ont été volés.
Les enfants perdus, victime de cette spirale de la violence
« Dans une situation de crise comme celle de Bukavu, nombreux sont les habitants qui s’enfuient et prennent la route, on compte 185 000 personnes déplacées, dont 107 000 enfants. Cet exode désordonné, beaucoup d’enfants se perdent, c’est un phénomène normal. L’Unicef pilote un centre dans lequel de nombreux enfants sont abandonnés ou perdus », explique Paulin Nkwosseu. D’autres errent toujours seuls dans la ville. Avec tout le traumatisme afférent. L’Unicef a chiffré que 490 000 enfants étaient impactés par le conflit au Sud-Kivu, c’est-à-dire sans accès à l’hôpital, sans éducation, ou orphelins. « Nous avons également chiffré que les violences graves (c’est-à-dire mutilations ou violences sexuelles) sur les enfants étaient en augmentation de 150 %. »
Certains enfants ont aussi été enlevés par des bandes pour être enrôlés de force comme enfants soldats. D’autres jouent au gangster dans la rue, pour rendre justice avec des armes abandonnées. Les enfants ne peuvent plus aller à l’école, plus de 1 000 écoles ont été fermées dans le Sud-Kivu.
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L’état psychologique des femmes est étroitement lié à celui des enfants. La perte ou la séparation de leurs enfants accroît encore davantage leur vulnérabilité.
Aujourd’hui, tous les regards sont braqués sur le Sud-Kivu. Cette escalade de la violence accroît le risque d’un conflit régional plus large.
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