le président Bassirou Diomaye Faye à Paris « pour faire connaissance » avec Emmanuel Macron

Après les voisins africains, la France. Pour son premier déplacement hors du continent, Bassirou Diomaye Faye a choisi Paris. Elu en mars à l’issue d’une présidentielle mouvementée, le chef de l’Etat sénégalais doit rencontrer Emmanuel Macron jeudi 20 juin à l’issue du Forum mondial pour la souveraineté et l’innovation vaccinales. Plusieurs présidents africains sont attendus lors de cette conférence de donateurs, tels le Rwandais Paul Kagame ou le Ghanéen Nana Akufo-Addo.

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« Il ne s’agit pas d’une visite officielle, mais d’un déjeuner pour faire connaissance », tempère son entourage soucieux de ne pas alimenter les accusations de vassalité qui accompagnent chaque passage à l’Elysée d’un président issu des anciennes colonies françaises en Afrique.

Bien que « non officielle », la rencontre entre MM. Faye et Macron revêt un caractère symbolique fort tant les relations entre le nouveau parti au pouvoir au Sénégal, le Pastef, et les autorités françaises sont empreintes de méfiance.

« Respect mutuel »

Depuis sa création en 2014, la formation, qui se définit comme panafricaniste, a fait du rejet de la présence française au Sénégal et du franc CFA, perçu comme un instrument néocolonial, un marqueur de son programme. Le ton s’est adouci après le succès à la présidentielle. Après la promesse de « rupture », le nouveau chef de l’Etat évoque désormais une coopération fondée « sur le respect mutuel ». Une nouvelle cordialité qui n’empêche pas des coups de griffe comme lorsque, à la mi-mai, le premier ministre Ousmane Sonko, recevant son allié politique Jean-Luc Mélenchon (La France insoumise), s’en est directement pris à la politique menée par Emmanuel Macron.

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« Nous y avons presque cru lorsque le président Macron déclinait la nouvelle doctrine africaine de l’Elysée, déclarait-il alors devant la première personnalité politique française venue lui rendre visite : [le] refus de tout soutien politique à des régimes autoritaires et corrompus. Ce n’est pas ce qui s’est passé au Sénégal. »

Paris a encaissé, sans réagir. « C’est le chef de parti qui s’est exprimé, pas le président Faye, qui n’a d’ailleurs ni reçu M. Mélenchon ni attaqué M. Macron », minimise un officiel français qui préfère retenir la « leçon de démocratie » donnée par le Sénégal lors de sa dernière séquence électorale.

« On parlait de défiance de notre part et pourtant nous réservons notre premier voyage hors d’Afrique à la France, abonde un proche conseiller du président Faye. Cela montre notre volonté de raffermir les liens avec ce pays qui demeure un partenaire privilégié même si nos relations doivent évoluer. »

Etre « à l’écoute »

L’heure n’est donc plus au ressentiment mais à l’apprivoisement mutuel. Ce « déjeuner opportun » sera l’occasion pour les chefs d’Etats d’apprendre « à se découvrir », affirme-t-on des deux côtés. Pour l’Elysée, cette première entrevue, préparée avec l’ambassadrice à Dakar qui a au préalable rencontré une quinzaine de ministres sénégalais, l’enjeu sera d’être « à l’écoute » pour mieux engager la redéfinition de la relation bilatérale.

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« Notre objectif est de nous assurer que notre aide au développement corresponde aux priorités des nouvelles autorités sénégalaises. Migration, formation des jeunes, visas… plusieurs sujets pourraient être abordés », relate l’Elysée. « La France doit être au rendez-vous de cette nouvelle relation avance ce grand acteur du Sud. Si l’on réussit, on va tuer l’activisme panafricaniste mortifère à la Nathalie Yamb », parie un fonctionnaire du ministère des affaires étrangères dans une allusion à la militante suisso-camerounaise connue pour ses propos incendiaires sur la France.

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Côté sénégalais, on espère, à la faveur de ce tête-à-tête, renforcer la stature internationale du nouveau président. En deux mois et demi, celui-ci a effectué neuf voyages en Afrique et commencé à endosser le rôle de médiateur entre les dirigeants de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) et les putschistes du Sahel (Mali, Burkina Faso, Niger). « La France gagnerait à appuyer ses efforts car le Sénégal est une voix écoutée qui encourage les régimes militaires à revenir sur les rails de la démocratie », veut croire un diplomate africain.

D’autres dossiers plus brûlants pourraient être au menu du déjeuner comme l’avenir des 320 soldats français encore stationnés à Dakar. Alors que le parti de M. Faye dénonce régulièrement cette présence militaire, les deux pays pourraient trouver un terrain d’entente sur la reconfiguration voulue par l’Elysée. Combien d’hommes pourront rester au Sénégal ? Pour quelles missions ? Ces questions seront discutées avec la volonté d’aboutir à une décision « coconstruite », soutient Paris.

Carnage de Thiaroye

Alors que le président Macron a fait de la question mémorielle un levier de sa diplomatie africaine, certains au Sénégal espèrent qu’il se saisira du massacre des tirailleurs à Thiaroye. En décembre 1944, des dizaines de tirailleurs de retour à Dakar avaient été exécutés par des gendarmes français et des troupes coloniales pour avoir réclamé leur solde. En 2012, François Hollande avait esquissé un premier pas en reconnaissant le rôle de la France dans le carnage. Un sujet intime pour le président Faye dont le grand-père a été tirailleur lors de la première guerre mondiale.

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« M. Macron peut aller plus loin », suggère Aïssata Seck, présidente de l’Association pour la mémoire et l’histoire des tirailleurs sénégalais et conseillère régionale d’Ile-de-France, qui a soumis une note à l’Elysée en amont du déjeuner entre présidents. « Il pourrait panthéoniser un ancien tirailleur africain, faire inscrire la mention “morts pour la France” sur leurs tombes. Ou venir en décembre pour les commémorations et présenter des excuses », espère cette militante, inquiète que la situation politique française n’empêche de telles recommandations de se concrétiser.

Une visite officielle en bonne et due forme pourrait se tenir lors du Sommet de la francophonie prévu en octobre à Villers-Cotterêts (Aisne). Reste à savoir dans quel contexte politique.

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