« Le président suscite un rejet qui fragilise nos institutions »

Directrice d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), Dominique Schnapper interroge à travers ses travaux de sociologie les évolutions de la démocratie. Elle publie aujourd’hui Les Désillusions de la démocratie (Gallimard, 288 pages, 22 euros).

Dans votre livre, vous déplorez l’essor d’une démocratie extrême, qu’entendez-vous par là ? Comment se manifeste-t-elle ?

Platon, Montesquieu et Tocqueville ont déjà souligné les excès possibles de la démocratie. Revenir à ces auteurs permet de penser ce moment où les principes qui la fondent, c’est-à-dire la liberté et l’égalité des citoyens, risquent de se retourner contre elle. L’aspiration à la liberté peut alors devenir un libertarisme hostile ou indifférent aux normes communes. L’aspiration extrême à l’égalité peut mener à des formes d’égalitarisme qui gommerait les singularités et les distinctions constitutives de la condition humaine et de la vie sociale. De fait, la distinction entre un élu et un citoyen, entre un professeur et un élève, entre un médecin et un patient est aujourd’hui moins bien acceptée. La dynamique démocratique peut avoir des effets contraires à ses promesses.

Nous assistons à la montée de tensions sociales qui empêchent la tenue des débats rationnels qui, avec l’esprit de compromis, font partie de la pratique démocratique. Le respect des institutions, nécessaire à la pratique démocratique, est ébranlé. L’assaut lancé, le 6 janvier 2021, contre le Capitole par des partisans de Donald Trump, convaincus que l’élection présidentielle avait été truquée, représente un grave exemple de ce délitement. En France, certains continuent de remettre en cause la légitimité de l’élection d’Emmanuel Macron, parce qu’ils ont été contraints de voter pour lui en 2022 pour faire barrage à l’extrême droite. Mais, en démocratie, il est habituel de voter souvent sans enthousiasme pour celui qui gérera le mieux ou le moins mal les affaires de la vie collective. L’enthousiasme pour le chef, c’est plus souvent pour un tyran.

La dissolution a été perçue comme un « pari » pris par le président, au mépris du risque qu’il fait courir en cas d’une victoire du Rassemblement national. Ce récit vient ajouter à la défiance dont il fait l’objet et dont vous parlez dans votre livre…

Une partie de la population lui voue une haine particulière. Aucun de nos présidents n’a échappé à une forme de détestation, mais ce sentiment doit rester contrôlé, faute de quoi la démocratie ne peut pas fonctionner normalement. S’agissant de notre président, on en vient à oublier qu’il a été élu de manière conforme à la Constitution. On peut être en désaccord avec sa décision de dissoudre l’Assemblée et la critiquer, sans tomber pour autant dans la haine. Emmanuel Macron continue d’être perçu comme un homme arrogant. Je ne sais pas si c’est vrai, mais cette perception est devenue un facteur politique important. L’aspiration à l’égalité fait que les démocrates ont tendance à refuser toutes les formes de supériorité. Aujourd’hui, le président suscite un rejet qui fragilise nos institutions. Dans la vie politique démocratique, les adversaires politiques ne doivent pas devenir des ennemis. La haine corrompt la démocratie.

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