Le Québec se prépare à un afflux de demandeurs d’asile haïtiens

L’inquiétude monte dans la communauté haïtienne du Québec. Des organismes sondés par La Presse disent être en état d’alerte devant une hausse des demandes d’asile. Depuis quelques semaines, des Haïtiens venus des États-Unis frappent à leur porte en quête d’aide.


Ce qu’il faut savoir

  • La fin annoncée du statut de protection temporaire aux États-Unis pousse des Haïtiens à demander l’asile au Québec.
  • Des organismes montréalais se préparent à une augmentation des arrivées.
  • Des groupes réclament qu’Ottawa se retire de l’Entente sur les tiers pays sûrs.

Montréal, avec sa forte communauté haïtienne, est au cœur de cette dynamique migratoire.

Ce mouvement découle directement de la décision de l’administration Trump de mettre fin au statut de protection temporaire (TPS) aux États-Unis, exposant plus de 500 000 Haïtiens à une expulsion dès août. Bien que cette décision soit contestée en justice, la crainte d’un retour forcé en Haïti pousse certains à envisager d’autres options, y compris une demande d’asile au Canada.

Une première vague pourrait être constituée d’Haïtiens vivant aux États-Unis ayant le droit de faire une demande d’asile au Canada. Mais elle pourrait être suivie d’entrées irrégulières.

Une légère hausse

Une Haïtienne de 45 ans, qui a requis l’anonymat parce qu’elle a peur d’être obligée de retourner en Haïti, a demandé l’asile au Québec le 8 février. Arrivée à New York le 7 janvier 2024 alors qu’elle bénéficiait du statut de protection temporaire, elle a fui les États-Unis après des semaines d’angoisse.

« J’avais tellement peur… Je n’osais même plus regarder par la fenêtre. J’ai passé deux semaines enfermée chez moi », confie-t-elle.

Ayant de la famille au Québec, elle a pu bénéficier d’une exception à l’Entente sur les tiers pays sûrs (ETPS) et demander l’asile légalement à la frontière. Elle a pris un bus, puis un taxi jusqu’au poste frontalier de Saint-Bernard-de-Lacolle. « Il y avait beaucoup de monde ce jour-là dans la salle, des Haïtiens et des gens d’autres nationalités. On a eu un bon traitement. Je ne peux pas me plaindre », raconte-t-elle.

Soulagée ? « Oui, vraiment soulagée. Je peux enfin dormir. C’est un renouveau. »

Sur le qui-vive

Les organismes d’aide de Montréal constatent déjà des signes d’augmentation. « Il faut se préparer », avertit Marjorie Villefranche, directrice de la Maison d’Haïti. « On voit une hausse des Haïtiens venant des États-Unis. Environ cinq ou six personnes par semaine viennent nous voir après avoir demandé l’asile. »

PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

Des demandeurs d’asile sur le chemin Roxham près de Saint-Bernard-de-Lacolle, en 2017

Ousseynou Ndiaye, directeur de l’organisme Un itinéraire pour tous, craint une répétition de la crise migratoire de 2017, lorsque des milliers d’Haïtiens avaient traversé la frontière en empruntant le chemin Roxham.

En 2017, on s’est fait prendre par surprise. J’espère que cette année, personne ne dira : “On ne l’a pas vu venir.” Trump est de retour, il faut se préparer.

Ousseynou Ndiaye, directeur de l’organisme Un itinéraire pour tous

« Nous, on est en mode alerte », commente-t-il.

Le PRAIDA, organisme responsable de l’accueil des demandeurs d’asile au Québec, affirme ne pas avoir constaté de hausse. « Nous surveillons les volumes de demandes de services afin de nous adapter, au besoin », indique l’organisation.

Pression sur Ottawa

Cette situation accentue la pression sur Ottawa pour réexaminer l’ETPS. En vigueur depuis 2004, cet accord entre le Canada et les États-Unis oblige les demandeurs d’asile à déposer leur demande dans le premier pays où ils arrivent.

« Avec le climat actuel aux États-Unis, on doit se demander si ce pays est toujours sûr pour tous les demandeurs d’asile », souligne François Crépeau, professeur de droit de l’Université McGill. « C’est une question qui devra être tranchée par la Cour suprême. »

La Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes (TCRI) demande le retrait du Canada de l’ETPS. « Il y a un nouvel appel de la part du Conseil canadien pour les réfugiés, que la TCRI appuie sans réserve. Maintenant, on voit que les États-Unis ne sont à l’évidence pas un pays sûr », affirme Louis-Philippe Jannard, coordonnateur du volet protection à la TCRI.

Un afflux cet été ?

L’augmentation du nombre de demandeurs d’asile haïtiens reste modérée, mais plusieurs experts prévoient une accélération dans les mois à venir. « Avec le retour du beau temps, si les passeurs ouvrent de nouvelles routes, on pourrait voir une hausse significative des arrivées », estime Ousseynou Ndiaye.

Selon la nouvelle version de l’ETPS, ces entrées sont interdites et les migrants qui tentent de traverser sont renvoyés aux États-Unis. Mais une voie de contournement est possible. Si ces migrants réussissent à rester 14 jours sur le territoire canadien sans être détectés, ils peuvent ensuite faire une demande d’asile.

Kicha Estimé, fondatrice du foyer La Traverse, observe déjà un sentiment d’urgence. « Je reçois des appels d’Haïtiens qui me demandent comment ils peuvent faire pour rentrer au Québec. Beaucoup veulent quitter les États-Unis pour venir ici au Canada. Mais ils ont peur. »

Marjorie Villefranche, de la Maison d’Haïti, résume la situation : « Trump a vraiment spotté Haïti. C’est un tout petit pays sur une toute petite île, mais il nous a vraiment spottés. Il parle de nous souvent, et jamais en bien. »

Qui peut encore demander l’asile au Canada ?

L’ETPS bloque l’accès à l’asile au Canada pour ceux qui arrivent des États-Unis. Certaines exceptions permettent toutefois de présenter une demande :

• Avoir de la famille immédiate au Canada (époux, tuteur légal, enfant, père ou mère, frère ou sœur, grand-parent, petit-enfant, oncle ou tante, neveu ou nièce, conjoint de fait, conjoint de même sexe)

• Être un mineur non accompagné

• Être titulaire d’un visa ou d’un permis canadien valide

• Risquer la peine de mort dans son pays d’origine ou aux États-Unis

En savoir plus

  • 7864
    Nombre de demandes d’asile déposées par des Haïtiens en 2024. Sur 2211 demandes entendues, 982 ont été acceptées par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié.

    gouvernement du Canada

    4,2 %
    Proportion des immigrants permanents admis au Québec en 2023 qui sont nés en Haïti

    Bilan démographique du Québec


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