LA TRIBUNE – Le nombre de nations spatiales en Afrique a explosé en l’espace de quelques années. Au-delà des pays pionniers, comme l’Egypte ou l’Afrique du Sud, premiers à lancer un satellite dans les années 1990, le continent compte désormais une quinzaine de nations spatiales. Comment l’expliquer ?
Maram KAIRÉ – C‘est un réveil pour le continent et le spatial est devenu une ambition africaine. Pendant longtemps, on a estimé que le spatial coûtait cher, était technologiquement inaccessible aux Africains et que le continent avait d’autres préoccupations plus urgentes.
Mais en regardant les objectifs de développement durable fixés par les Nations Unies, on peut remarquer que les pays les plus avancés sont ceux qui ont misé sur le spatial. Cela a conduit à cette prise de conscience que cette activité pouvait soutenir les urgences auxquelles doit faire face l’Afrique. Les satellites permettent de mieux surveiller les frontières et d’améliorer la sécurité de nos territoires par les satellites. L’Afrique est une terre d’agriculture par excellence et en utilisant les données satellitaires, il est possible d’accroître la productivité du continent de façon considérable. Les satellites de télécommunications peuvent faciliter l’enseignement à distance. Dans le domaine de la santé, le paludisme reste la maladie qui fait le plus de victimes à travers le monde, et plus particulièrement sur le continent africain. Grâce aux satellites, il est possible d’identifier les zones dotées d’eaux stagnantes et polluées, et les proliférations de moustiques qui conduisent au développement de ces épidémies.
En prenant conscience de toutes ces questions, les Africains ont reconsidéré leur position par rapport au spatial et veulent profiter de l’avènement du New Space où les satellites sont miniaturisés, les coûts sont réduits et la technologie accessible à nos universitaires ou à nos ingénieurs. C’est ce qui justifie depuis ces vingt dernières années le lancement d’une quarantaine de satellites depuis le continent africain. L’Afrique ne veut plus être un spectateur mais devenir un acteur dans le domaine du spatial.
Le Sénégal s’est lui aussi lancé dans le secteur avec la création en mars 2023 de l’Agence d’études spatiales que vous présidez…
Le Sénégal veut devenir le moteur de l’Afrique francophone en matière de spatial. Il est important de rappeler que notre pays ne part pas de zéro et a déjà contribué au développement des sciences spatiales. Juste après l’indépendance, au début des années 1970, la ville de Gandoul a accueilli la première antenne de télécommunication qui a permis de former les premières générations de techniciens africains sur les télécommunications par satellite. Cette antenne a également permis à la NASA de faire le suivi de la navette spatiale au début du programme dans les années 1980. Le Sénégal a une longue tradition de l’utilisation des services dérivés du spatial. A travers l’Association sénégalaise pour la promotion de l’astronomie, créée en 2006, nous avons parcouru le pays pour sensibiliser la population à l’importance de l’astronomie. Nous avons attiré l’attention de certaines structures comme la NASA, qui nous a confié trois missions de suivi des occultations stellaires pour les sondes New Horizons et Lucy. La réussite de ces missions a pu convaincre les autorités d’accorder beaucoup plus d’attention au secteur spatial.
Le Sénégal va franchir une nouvelle étape en ce mois de juillet, avec le lancement de Gaindesat, son premier satellite. Que représente ce satellite pour le pays ?
Ce premier cubesat marque, pour le pays, un premier pas dans l’espace. Le Sénégal fait son entrée dans l’ère du NewSpace qui nous permet d’envoyer un satellite en orbite sans avoir besoin de moyens exorbitants. Ce cubesat a été fabriqué au Centre spatial universitaire de Montpellier avec la contribution des jeunes Sénégalais qui ont été formés. Ce projet représente aussi l’appropriation de la technologie des nanosatellites par nos jeunes ingénieurs, l’objectif final étant de transférer les compétences pour que de tels projets soient intégralement menés au Sénégal.
Ce satellite sera utilisé pour du suivi environnemental. Cela va nous permettre de collecter des données en temps réel sur le niveau de l’eau ou de la végétation dans les différentes régions du pays sans avoir besoin d’envoyer des équipes sur place pour faire les relevés, ce qui demande beaucoup de ressources humaines et de logistique.
Quels sont les autres projets de l’Agence spatiale sénégalaise?
L’agence comprend, un an après sa création, 14 personnes, et nous sommes en train de travailler sur notre plan stratégique de développement pour les dix prochaines années. Ensuite, nous allons installer le premier observatoire de recherche en astronomie, astrophysique et de surveillance de l’espace dans la ville de Kédougou, au sud-est du Sénégal, là où nous avons les plus hauts sommets du pays et la meilleure qualité de ciel.
En parallèle, dès 2025, doit débuter la construction de notre premier centre d’assemblage, d’intégration et de test de microsatellites qui va accompagner notre partenariat avec la startup française Prométhée pour développer une constellation de cinq à huit satellites qui doit entrer en orbite à l’horizon 2028. Tous les satellites de cette constellation seront fabriqués dans notre pays depuis la Sénégal Space Valley, une ville nouvelle qui va être dédiée au développement du secteur spatial. Ce qui nous permettra d’accéder à une souveraineté des données.
A quels usages sont destinés ces satellites ?
Avec les deux premiers satellites de la constellation de Prométhée, nous allons mettre l’accent sur la surveillance maritime et l’agriculture. Le Sénégal est entré dans l’ère de la production de pétrole et de gaz. La première goutte de pétrole a été présentée par le président de la République il y a tout juste deux semaines de cela. La production démarre sur des plateformes offshore au large des 700 kilomètres de côtes du pays. Nous avons besoin d’un système d’alerte précoce pour pouvoir surveiller ces plateformes et l’un des satellites sera dédié à la surveillance maritime. Ensuite, nous sommes confrontés à beaucoup de pêche illégale, la constellation va servir à détecter les bateaux qui rentrent de façon non autorisée dans les eaux sénégalaises. Cela nous permet aussi de lutter contre l’immigration clandestine. Nous perdons chaque année beaucoup de jeunes Sénégalais qui prennent des pirogues, quittent les côtes et qui vont chavirer en haute mer avec 200 à 300 passagers à leur bord. Si le spatial peut aider à détecter le plus tôt possible ces pirogues, il est possible d’alerter les autorités maritimes.
Concernant l’agriculture, nous voulons favoriser la démocratisation de l’agriculture intelligente. Par exemple, la Compagnie sucrière sénégalaise exploite des champs de canne à sucre sur des centaines d’hectares. Le soutien satellitaire permettrait de gagner un rendement en productivité et on économise en ressources humaines. Nous voulons que ces technologies puissent être mises à la portée du plus grand nombre d’agriculteurs au Sénégal. La cartographie depuis l’espace permettra de détecter s’il y a des anomalies au niveau des cultures et de suivre les aléas climatiques. Au Sénégal, nous avions l’habitude d’avoir une saison des pluies qui durait cinq à six mois et cette période est désormais concentrée sur trois mois tout au plus. Les agriculteurs n’ont pas une bonne visibilité sur le démarrage des pluies et gardent les mêmes habitudes de culture. Disposer de meilleures informations au niveau météorologique permettra de diffuser le plus largement possible cette information cruciale en quasi temps réel. Les populations ont besoin d’être impactées dans leur quotidien pour pouvoir s’approprier cette dynamique spatiale. C’est la raison pour laquelle nous avons mis l’accent sur la pêche qui concerne tous les Sénégalais et sur l’agriculture ou la sécurité de nos frontières.
A terme, le Sénégal pourra-t-il viser des projets d’exploration ?
Nous essayons d’abord de convaincre les autorités et la population de la pertinence de la création de l’agence spatiale en faisant aboutir des projets concrets de nanosatellites. Mais nous aimerions pouvoir mettre une sonde en orbite lunaire à l’horizon 2030. Si nous arrivons à ce stade, cela veut dire que des entreprises ou des startups du spatial auront émergé à proximité de notre futur centre d’assemblage de satellites. Pour pouvoir fabriquer cette sonde, il faudra au préalable avoir créé un écosystème où les acteurs du privé et de l’Etat vont travailler ensemble. Nous voulons développer l’industrie spatiale du Sénégal en créant toutes les composantes du secteur et que les nouveaux emplois tirent toute l’économie du pays. Bien entendu, la coopération internationale sera toujours essentielle parce que nous ne disposons pas de lanceurs donc nous continuons à travailler avec des pays qui disposent de lanceurs, comme les Etats-Unis avec SpaceX, et nous comptons sur l’arrivée de Ariane 6.
Quel impact sur la formation des Sénégalais ?
La naissance du premier cubesat Sénégalais a été très médiatisée tout comme les différentes missions menées avec la NASA. La demande des jeunes est très forte vers ces métiers. Nous aimerions que ces étudiants n’aient plus besoin de sortir du pays pour étudier le spatial et trouver ensuite les infrastructures pour travailler également dans le pays. Il faut qu’ils puissent se dire qu’il est possible de rêver d’étoiles dans leur propre pays. A l’heure actuelle, nous n’avons pas d’écoles d’ingénieurs spécialement dédiées au spatial mais l’Ecole Polytechnique dispose d’une formation en aéronautique. Au niveau de l’agence, nous sommes en train de voir comment les connecter avec des partenaires pour développer cette filière spatiale. Nous avons entamé des discussions avec l’Université Paris-Saclay pour intégrer des formations liées aux sciences spatiales dans les masters de nos universités et écoles d’ingénieurs le plus rapidement possible.
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