« Le Sénégal risque de ne pas pouvoir se nourrir en 2050 », alerte le directeur général adjoint du projet PSS – VivAfrik
La tenue du séminaire destiné aux journalistes Sénégalais les 16 et 17 mai 2024 à Dakar sur « Les nouveaux enjeux de gouvernance et de modernisation de l’Agriculture » a été l’occasion pour le directeur général adjoint du projet PSS (Projet d’appui aux réformes et politiques agricoles) d’alerter sur la capacité du Sénégal à pouvoir se nourrir à l’horizon 2050. A cet effet, Dr Ibrahima Hathie, spécialiste des politiques agricoles et de l’analyse des filières a alerté en ces termes : « si on ne fait pas attention, le Sénégal risque de ne pas pouvoir se nourrir en 2050 », invitant les politiques à « réfléchir davantage sur comment préserver ces terres, augmenter la fertilité du peu de ressources foncières qui reste et faire accroître la productivité pour s’en sortir ».
Le séminaire destiné aux journalistes est organisé dans le cadre du Projet PSS et des activités de ses partenaires. Il est organisé à une étape critique de mise en œuvre des plans d’actions de plusieurs dans le contexte politique et médiatique suivant l’arrivée du nouveau gouvernement.
Ce séminaire de haut niveau a pour objectifs d’accompagner la dynamique et l’étape du Projet PSS ; donner une visibilité au projet dans le nouveau contexte politico-médiatique ; appuyer les projets sectoriels et leur donner un accélérateur ; donner une lisibilité aux transformations systémiques en cours et offrir des sources d’information de qualité aux journalistes.
Ibrahima Hathie qui présentait une communication sur les « Enjeux relatifs à l’agriculture » a relevé que « la question foncière se pose de manière très forte avec acuité. Dans la mesure où on voit qu’il y a plusieurs usages du foncier qui compétissent avec le foncier agricole. Nous avons l’habitat, avec l’urbanisation, une bonne partie de la terre pour l’urbanisation. Vous avez les investissements structurants qui prennent une bonne partie de ces terres. Vous avez aussi les exploitations minières. Toute cette partie est extraite des terres qui auraient pu servir de l’agriculture, tout ce qui est infrastructure. Mais en dehors de cela, on se rend compte que le foncier subit une dégradation du fait du changement climatique avec la salinisation dans une bonne partie du pays. Notamment dans le bassin arachidier. Ce qui fait qu’une bonne partie de la terre est perdue pour l’agriculture ».
Sous un autre registre, Dr Hathie constate qu’au-delà de ces pertes, il y a une fragmentation de la terre à cause de l’explosion démographique. « Il y a une fragmentation de la terre. Car avec l’augmentation de la population et les héritages, les exploitations agricoles se retrouvent avec des superficies qui se rétrécissent de jour en jour. Et cela pose des problèmes de rentabilité. Quand une exploitation se retrouve avec une superficie qui diminue fortement, elle ne peut plus se nourrir et nourrir les populations. C’est pourquoi les politiques doivent réfléchir d’avantage à comment préserver ces terres, faire en sorte que les gens qui vivent de l’agriculture, puissent consolider les superficies et puissent être appuyés pour augmenter la fertilité du peu de ressources foncières qui restent et faire accroitre la productivité. Si on ne le fait pas, on ne s’en sortirait pas », dit-il.
« Je voudrais dire, d’abord l’Etat a fait beaucoup d’efforts en termes de subvention pour aider les producteurs à avoir des intrants (semences, engrais). Pour ces besoins, ces efforts sont encore insuffisants », a dit l’expert qui évoquait la question de l’engrais et des semences, le spécialiste de politique agricole précise.
« La subvention était autour de 30 millions, qui est passés à 40, puis 70, l’année dernière, elle est passée à 100, et cette année, on est à 120 milliards de FCFA. Mais les 120 milliards de FCFA ne sont pas pour l’engrais. C’est-à-dire qu’il y a une partie qui est destinée à l’engrais. Si nous regardons les besoins, vous partez sur le terrain, vous vous rendez compte que la partie de l’engrais qui est subventionné, couvre environ, 20 à 25 % soit 1/5 des besoins. Ce qui veut dire si nous voulons régler les problèmes de fertilité, nous devons réfléchir à, comment faire pour que le paysan puisse lui-même accéder à crédit, à l’engrais, aux semences et pouvoir produire suffisamment pour rembourser. C’est de la seule façon que nous pourrons régler la durabilité dans ce secteur », a rappelé le spécialiste des politiques agricoles et de l’analyse des filières.
« L’avenir de l’agriculture au Sénégal dépend de sa relève générationnelle »
Au intervenant, autre point de vue sur un autre sujet. En effet, le spécialiste en politique agricole, Yoro Idrissa Thioye, qui a présenté une communication sur la Loi agro-sylvo-pastoral (LOASP), a préconisé d’« apporter des solutions aux maux de l’agriculture et rompre avec les démarches précédentes ». Le représentant du Conseil national de concertation et de coopération des cadres ruraux (CNCR) lors de ce séminaire a soutenu que l’avenir de l’agriculture au Sénégal dépend de sa relève générationnelle. Il s’exprimait sur le thème : « Les agriculteurs et les défis majeurs de la LOASP dans le contexte politique actuel ».
Lors de son temps de parole, le spécialiste en politique agricole a évoqué un certain nombre de difficultés liées à l’agriculture, telle que la chute continue des rendements, la baisse de la fertilité des sols, la non-maîtrise de l’eau, la réglementation foncière peu adaptée, le faible niveau de formation des agriculteurs, l’insécurité alimentaire, la faiblesse des revenus agricoles, etc.
Yoro Idrissa Thioye a tout de même invité à rompre avec les démarches précédentes par la réappropriation du processus d’élaboration des politiques agricoles par les acteurs, l’implication de la représentation nationale dans l’élaboration des politiques, le renforcement des orientations stratégiques du secteur primaire. Ce qui pour lui, permettra de marquer un changement de logique, de rendre lisible sa politique agricole, et de traduire en texte légal la priorité accordée à l’agriculture.
L’expert agricole a également invité l’Etat à revaloriser l’image sociale des métiers de l’agriculture, initier un partenariat pour une nouvelle économie rurale.
« Les paysannes et paysans ont toujours du mal à accéder aux services sociaux essentiels alors qu’ils ont droit à une protection sociale adaptée. Le système de financement agricole et rural reste encore peu efficace et efficient. En moyenne, 73 % des crédits sont de court terme, 23 % de moyen terme et seulement 4 % de long terme alors que les besoins en investissement sont énormes au sein des exploitations familiales, pour l’installation des jeunes et l’autonomisation des femmes », a souligné le représentant du CNCR qui parlait du domaine de la protection sociale des personnes exerçant les métiers de l’agriculture.
Pour ce qui est de la stratégie nationale d’insertion pour l’installation des jeunes dans les chaînes de valeur agro-sylvo-pastorales et halieutiques, Yoro Idrissa Thioye soutient que « l’avenir de l’agriculture au Sénégal dépend de sa relève générationnelle. Malgré l’existence d’une politique nationale de jeunesse, les réponses apportées sont sectorielles et souffrent d’un déficit de cohérence et de synergie ». Ce qui pour lui, « justifie la nécessité d’une meilleure gouvernance et portage politique ».
Moctar FICOU / VivAfrik
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