Le Sénégal se lance dans l’aventure spatiale

Par Philippe Achilleas, Professeur de droit public (Université Paris-Saclay)

Il arrive que la passion d’un homme change le destin d’un pays. Maram Kaire (photo) , en fondant l’Association Sénégalaise pour la Promotion d’Astronomie (ASPA) en 2006, a ouvert la voie au développement des activités spatiales au Sénégal. Pour susciter l’intérêt de la société sénégalaise, où traditionnellement l’espace semblait réservé aux nations industrialisées, il était crucial de développer un récit captivant, similaire à celui forgé par Kennedy pour les États-Unis avec son discours de 1961 annonçant une mission américaine habitée sur la Lune avant la fin des années 1960.
Au Sénégal, l’approche n’était pas de présenter l’espace comme une nouvelle frontière à conquérir, mais plutôt comme un domaine en lien direct avec l’utilisation du croissant lunaire pour le calendrier des fêtes musulmanes comme le ramadan et le pèlerinage à La Mecque. Cela a permis de connecter l’espace à des éléments tangibles de la vie quotidienne et religieuse. Ainsi, pendant quinze ans, l’ASPA a construit et partagé une histoire de l’aventure spatiale qui était claire et pertinente pour l’ensemble de la population, faisant de l’astronomie un catalyseur pour l’éveil scientifique et technologique du pays.

La mise en place d’une coopération astronomique unique avec la NASA pour l’observation de corps célestes depuis le Sénégal dans le cadre de trois missions réalisées entre 2018 et 2021 avec la participation de trois institutions françaises (CNES, CNRS et IRD) marque une étape décisive dans le développent d’une politique spatiale nationale. La première mission consiste à apporter un soutien sol à la mission New Horizons dont l’objectif principal est d’étudier Pluton. Les deux autres missions interviennent dans le contexte de la crise sanitaire de la COVID-19 qui rend très complexe les déplacements des scientifiques américains. La NASA prend alors le risque de s’appuyer sur une équipe sénégalaise formée au cours de la première mission assistée de chercheurs français pour un appui à la Mission Lucy. Celle-ciconsiste à étudier huit astéroïdes troyens sur l’orbite de Jupiter.
En 2018, Maram Kaire, alors Conseiller Technique du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation (MESRI), obtient un soutien politique décisif. Le président Macky Sall en recevant toute l’équipe de la NASA au Palais présidentiel est convaincu que le Sénégal doit prendre part à l’aventure spatiale. En 2023, à la suite de la projection publique du documentaire Star Chasers of Senegal, il annoncela création de l’Agence Sénégalaise d’Études Spatiales (ASES) avec Maram Kaire à sa tête. L’ASES a pour mission de soutenir, coordonner et mettre en œuvre la politique spatiale nationale. Le Sénégal devient ainsi le 22ème État africain à se doter d’une agence ou d’un centre spatial. 

Le Sénégal entend également bénéficier de la dynamique du new space qui a révolutionné l’accès à l’espace avec la miniaturisation des satellites et la baisse des coûts de lancement. Cette démocratisation de l’accès à l’espace permetà un nombre croissant d’États, d’entreprises et d’institutions académiques de développer des activités spatiales. Le projet SenSAT piloté par le MESRI entend soutenir la fabrication et l’exploitation d’outils spatiaux. La mise sur orbite du premier satellite national doit permettre au Sénégal de rejoindre le club des 15 Etats africains ayant lancé un satellite. 

GAINDESAT-1 (Gestion automatisée d’INformations et de données environnementales par SATellite) est développé en partenariat avec RIDE Space et le Centre Spatial Universitaire de Montpellier (CSUM). Son lancement est programmé en 2024 par l’entreprise américaine SpaceX. Le programme, d’un coût total de près de 600 millions FCFA  (environ 900 000 euros), va garantir un accès plus rapide aux données environnementales d’origine spatiale.

Actuellement, plusieurs structures comme la Direction de la gestion et de la planification des ressources en eau (DGRPE), l’Office des lacs et cours d’eau (OLAC) disposent de moyens de réception de données d’origine spatiale. Leur collecte en vue du traitement est fastidieuse et coûteuse. Le satellite, en survolant le Sénégal deux à trois fois par jour, peut récupérer les données stockées dans ces stations pour les transmettre au centre de contrôle et de réception situé à Diamniadio. Le satellite est également équipé d’une caméra pour collecter directement des données depuis l’espace pour tester un certain nombre d’applications notamment dans les domaines de l’agriculture et de la gestion forestière. L’ASES travaille déjà, en partenariat avec l’opérateur français Prométhée Earth Intelligence, à la fabrication d’une constellation de 5 à 7 satellites dont le déploiement complet est fixé à 2028. 

Le Sénégal voit plus loin. Le pays ambitionne de devenir un leader dans le domaine spatial en Afrique de l’Ouest francophone et de se positionner comme un acteur majeur parmi les nations du Sud pour les utilisations de l’espace. Pour atteindre cet objectif, l’ASES a élaboré une stratégie ambitieuse qui comprend la mise en place d’un centre dédié à l’assemblage, à l’intégration et au test de microsatellites, couplé à un incubateur de startups spécialisées dans le secteur spatial. Cette initiative est complétée par le développement annoncé de la Sénégal Space Valley située dans la banlieue de Dakar et l’établissement du premier observatoire de recherche en astrophysique à Kédougou, en collaboration avec l’Université du Sénégal oriental. 

L’initiative spatiale du Sénégal, portée par des figures inspirantes et des partenariats stratégiques, engage le pays dans une ère nouvelle, illustrant son potentiel à influencer positivement son développement économique et technologique.

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