«Le style de la France insoumise, ou la diversité dans le débraillé»

FIGAROVOX/HUMEUR – Ophélie Roque, professeur de français en banlieue parisienne, décrypte avec humour l’esthétique des élus d’extrême gauche.

Ophélie Roque est professeur de français en banlieue parisienne. Elle a publié Black Mesa (Robert Laffont, 2023), son premier roman.


«La forme, c’est le fond qui remonte à la surface». La phrase n’est pas de moi, elle appartient à Victor Hugo qui l’a écrite quelque part dans les années 1860. 150 ans plus tard, elle semble offrir une parfaite clé de lecture pour qui daigne un instant se pencher sur cet étrange phénomène qu’est la France insoumise. Peut-on imaginer meilleur expert que celui qui fut le démiurge attentif du monstrueux et du grotesque ? Le Joker c’est lui à travers le rictus de Gwynplaine, héros supplicié s’il en est de l’Homme qui rit.

En tout l’esthétique compte, or il s’avère que j’ai la chique coupée à chaque fois que je contemple l’un des cadors de la France insoumise. J’halète, le souffle court et le cœur battant. Que l’on ne se méprenne aucunement, à aucun moment ne sera ici abordé la question du physique. On a le faciès qu’on a et chacun fait avec. La véritable monstruosité n’est pas sur le visage mais dans le style adopté. Et il est indéniable qu’il y a quelque chose de l’ordre du débraillé, du rampant, du beuglant, du «viens, on va causer très très fort puisqu’on fait la Révolution». La chose est fausse ! Abominable même ! Esthétiquement et moralement indéfendable. Regardez les cols de chemise de Robespierre avant que la guillotine ne le raccourcisse : amidonnés dans les règles de l’art. Lénine, Staline, Mao, Gomułka et Hô Chi Minh sont tout sauf débraillés. Pourtant eux aussi tenaient un discours un tantinet rude envers le bourgeois. Seul Fidel s’est permis de régner en jogging Adidas. Singularité cubaine.

LFI, c’est la diversité dans le débraillé. De Mathilde Panot à Ersilia Soudais, de Boyard à Quatennens, c’est le XIXe siècle poissard revisité. Impossible de ne pas songer à la chiffonnière criarde ou au plumitif blafard. C’est bien simple, on dirait une assemblée de «freaks» dont le dompteur serait Jean-Luc Mélenchon. Gestes larges, verbe haut, l’homme tente de hisser à lui une pléiade de Gremlins en plein apprentissage révolutionnaire. Mélenchon c’est Monsieur Loyal doublé du magnétiseur Mesmer. Il place tout le monde autour d’un baquet et galvanise tout un chacun. Le fluide, c’est pour maintenant ! Il les fait danser et rentrer à la niche d’un seul grondement. Mais attention, le gourou n’est pas qu’idéologue, il est surtout pragmatique. C’est lui qui organise le ramdam et il ne s’agirait pas qu’il y ait des velléités d’indépendance sur les côtés. La lumière c’est tout pour lui, que les autres restent cachés dans le demi-jour de la légitimité !

À défaut de dépierrer des rues désormais goudronnées, on les sent prêts à élever des barrages : deux ou trois caddies entremêlés feront parfaitement l’affaire.

Ophélie Roque

Côté look, Cristina Cordula s’en arracherait les cheveux. Beaucoup d’insoumis adoptent une dégaine zadiste, la noblesse du combat en moins. Entendons-nous bien, le style zadiste est légitime. Il est légitime puisqu’il s’explique. Le combattant écolo poireaute souvent dehors. Comme les castors, il se construit un abri avec des bouts de bois mêlés de boue et tente de résister à la pluie qui ruisselle et au vent qui écarte les assemblages en contreplaqué. En revanche, il ne me semble guère que l’Assemblée Nationale soit si mal bâtie qu’un aquilon sournois s’élève des coursives. Dans ce cas, pourquoi tant de laideur ? Car ce qui gêne est moins le combat que l’apparence du combat. Ça se pose en révolutionnaire et ça se veut négligé. Dont acte mais la cause en ressort-elle grandie pour autant ?

Sans compter que les joyeux membres de la troupe se mangent souvent entre eux. L’éclopé est jaloux de l’invalide, le borgne louche du côté de l’aveugle. L’infamie et le malheur sont leur fonds de commerce. On vend ce que l’on a et tout autre que soi devient concurrence. Si la concorde et le partage sont les deux drapeaux qu’ils souhaitent à la France, entre cadres du parti c’est bien différent ! Dans l’intimité, on sort les crocs et on mord – qui un coup de griffe, qui un coup de dents. Et fermement encore ! Les canines plantées jusqu’à l’os. Staline a tué Trotski et Khrouchtchev a déboulonné Staline. Les révolutions se font toujours sur un empilement de cadavres ; il n’y a là aucun jugement, c’est un fait. Un soulèvement sans violence n’est pas une révolution, c’est tout au plus une protestation timidement lancée derrière un coin de barricade. Et à défaut de dépierrer des rues désormais goudronnées, on les sent prêts à élever des barrages : deux ou trois caddies entremêlés feront parfaitement l’affaire. Avec en surplus, la nique au grand capital ! Il ne reste plus qu’à brancher les haut-parleurs et à lancer deux ou trois fumigènes rouges ou roses pour montrer tout leur sérieux et leur détermination.

Pour reprendre le titre du fabuleux film d’Ettore Scola sont-ils, eux aussi, Affreux, sales et méchants ? Affreux, je ne me permettrais pas. Sales, tout dépend. Méchants, même pas sûr ! Mais alors que sont-ils ? Ayant commencé par Hugo, je me permets de conclure avec Céline «ils étaient méchants parce qu’ils étaient lourds».

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