Les accusations envers l’abbé Pierre secouent la France : « Pour beaucoup, la figure de l’abbé était l’un des derniers liens avec l’Église »
Voici un dossier qui bouscule la société française. Véritable icône de la lutte contre l’exclusion sociale, personnalité préférée des Français durant longtemps, l’abbé Pierre (Henri Grouès de son vrai nom), décédé en 2007, est accusé par sept femmes d’agressions sexuelles. Ces agressions auraient été commises entre la fin des années 1970 et 2005, ont communiqué ce mercredi trois associations issues de son œuvre, Emmaüs International, Emmaüs France et la Fondation Abbé Pierre.
C’est en juin 2023, il y a un an, qu’Emmaüs France a reçu un premier témoignage d’une femme (dont l’anonymat a été maintenu) faisant état d’une agression sexuelle commise par l’abbé Pierre. Un travail a alors été mené en interne par le cabinet de la prévention des violences Egaé, dirigé par Caroline De Haas. Celui-ci « a permis de recueillir les témoignages de sept femmes qui font état de comportements pouvant s’apparenter à des agressions sexuelles ou des faits de harcèlement sexuel […]. L’une d’entre elles était mineure (16-17 ans) au moment des premiers faits », peut-on lire dans le communiqué.
Parmi les faits remontés, le rapport évoque « des comportements inadaptés d’ordre personnel, des propos répétés à connotation sexuelle, des tentatives de contacts physiques non sollicités, des contacts non sollicités sur les seins ». « Un des éléments qui ressort de l’enquête, est que les faits se ressemblent d’une personne à l’autre. Chaque histoire est particulière mais des similitudes apparaissent à la lecture des récits. »
Malgré l’ancienneté des faits présumés, l’absence de signalement – à ce stade – devant la justice, et l’impossibilité de recueillir la contradiction de la part de l’abbé Pierre, les associations soulignent qu’elles croient ces témoignages. « Nous savons que ces actes intolérables ont laissé des traces [auprès des victimes], et nous nous tenons à leurs côtés. Ces révélations bouleversent nos structures » et « ces agissements changent profondément le regard que nous portons sur un homme ». Un dispositif de recueil de témoignages et d’accompagnement, « strictement confidentiel, s’adressant aux personnes ayant été victime ou témoin de comportements inacceptables de la part de l’abbé Pierre », a donc été mis en place.
Même si aucun lien n’est établi, notons que dans un ouvrage d’entretiens avec Frédéric Lenoir publié en 2005 chez Plon (Mon Dieu… pourquoi ?), l’abbé Pierre avait reconnu avoir rompu son vœu de chasteté. « J’ai donc connu l’expérience du désir sexuel et de sa très rare satisfaction, mais cette satisfaction fut une vraie source d’insatisfaction car je sentais que je n’étais pas vrai », reconnaissait-il.
L’abbé Pierre accusé d’agressions sexuelles par plusieurs femmes
Une première étape ?
Dès ce mercredi, ces révélations ont secoué l’Église catholique de France dont les évêques ont déclaré avoir appris « avec douleur » la teneur des témoignages. La secousse dépassera cependant les frontières de l’institution. « Pour beaucoup de Français désormais éloignés de la religion, la figure de l’abbé Pierre était l’un des derniers liens avec l’Église catholique. C’est donc un choc pour eux et un drame pour l’Église de France », constate Céline Hoyeau, autrice de l’ouvrage La trahison des pères (Bayard) consacré aux abus sexuels dans les communautés catholiques.
« Je pense par ailleurs que ce rapport n’est qu’une première étape, commente Laurence Faure, journaliste à l’hebdomadaire La Vie qui a enquêté sur l’abbé Pierre. D’autres enquêtes devraient avoir lieu. Il est donc encore difficile d’établir une analyse précise des faits, mais il semble que l’abbé Pierre, icône idéalisée, ait bénéficié de son aura pour commettre ses abus sexuels. ‘J’ai l’habitude de me défendre’, a d’ailleurs témoigné une des victimes présumées. ‘Mais là, c’était Dieu. Comment vous faites quand c’est Dieu qui vous fait ça ?’«
Ce témoignage ne surprend pas Yves Hamant, lanceur d’alerte sur les questions d’abus de pouvoir et de conscience. C’est une caractéristique désormais étudiée : des abus sexuels commis au sein de l’Église découlent très régulièrement d’abus de pouvoir et de conscience accentués par l’aura spirituelle dont bénéficie leur auteur. Ces prédateurs ont donc la capacité de sidérer leurs victimes et d’écarter les soupçons à leur encontre. « C’est sans doute pour cela que les premières évocations d’abus du vivant de l’abbé Pierre n’ont pas été prises au sérieux, alors que la société, de son côté, était moins prête à porter attention aux victimes », considère Laurence Faure.
« Quoi qu’il en soit, pour les catholiques, cette nouvelle affaire doit marquer le temps de la maturité, de la conscience que le mal peut s’immiscer partout, même auprès des personnes qui témoignent d’une forme de bienveillance et de bienfaisance », appelle la journaliste. Ces dernières années, « l’Église de France a déjà entamé une réflexion et mis en place des structures et des groupes de travail pour se réformer et prévenir ce type d’abus, mais ce nouvel épisode montre que tout le passé n’est pas encore ressorti et invite à une réflexion plus profonde sur les personnalités charismatiques dans l’Église », conclut, de son côté, Céline Hoyeau.
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