Respectant ses engagements, le général de Gaulle est parti en visite officielle pour la Roumanie et ce pour consacrer les « retrouvailles » de deux peuples latins du continent les plus éloignés par la géographie, mais très proches par la culture et les affinités politiques. De Gaulle va même jusqu’à évoquer « deux peuples frères ». Mais voilà que, à contrecœur, le chef de l’État doit écourter son séjour, non sans avoir donné le ton en laissant filtrer cette confidence à Ceausescu : « La Roumanie, avec son système de sélection à l’entrée de l’université, donne une leçon à la France. »
La Caravelle présidentielle atterrit à Orly le 18 mai, vers 22 heures 30, et le préfet de police, Maurice Grimaud, a dû prévoir un itinéraire clandestin pour ramener le Général en son palais de l’Élysée, vu que le Quartier latin est en ébullition. Sans compter que la France entière est paralysée par la grève. Il y a des millions de grévistes, en effet, plus de cent grandes entreprises occupées, le métro et les bus stoppés à Paris. Jean Ferniot écrit : « L’arrêt progressif de toute activité risque de plonger le pays dans une crise économique d’autant plus grave que, dans six semaines, l’abaissement des barrières douanières livrera la France à une concurrence sans pitié. »
Dimanche matin, 11 heures, bien qu’une réunion de crise se soit déjà tenue à Matignon, le Premier ministre, Georges Pompidou, les membres du gouvernement concernés par la situation, Fouchet, Messmer, Gorse, ainsi que le préfet de police, sont convoqués à l’Élysée. Tous sont accueillis froidement par le Général qui n’est pas d’humeur aimable. « Je ne pense pas que vous ayez à me dire autre chose que je ne sache déjà, soupire de Gaulle. Ce qui se passe a assez duré. Cette fois, c’est la chienlit, c’est l’anarchie, et ce n’est pas tolérable. Il faut que cela cesse. J’ai pris mes décisions. On évacue aujourd’hui l’Odéon et demain la Sorbonne. Pour l’ORTF, vous reprenez les choses en main. Vous mettez les trublions à la porte, et puis voilà ! »
L’heure de la soufflante a sonné. Pompidou essuie l’affront quand Fouchet veut faire entendre que les forces de l’ordre sortent « traumatisées » de ces violences de rue. « Eh bien, Fouchet, s’emporte le président dont le teint a viré au rouge brique, il faut faire ce qu’il faut avec la police. Il faut lui donner de la gnôle. » De ces échanges sort un communiqué disons viril : « La réforme, oui, la chienlit, non ! »
Il y a des millions de grévistes, plus de cent grandes entreprises occupées, le métro et les bus stoppés à Paris
La réponse des contestataires claque comme un outrage au vieux chef : « La chienlit, c’est lui » ou « De Gaulle aux archives » ou encore « De Gaulle à l’hospice » lit-on sur les murs, et même un « De Gaulle à Sainte-Hélène ! » soulignant la nature bonapartiste du pouvoir.
Il reste que les grands syndicats, la CGT, la CFDT, et Force ouvrière sont d’accord pour l’extension du conflit sans pour autant constituer de front unique. Tandis que les examens se tiendront bien aux dates fixées, comme l’a assuré Alain Peyrefitte, ministre de l’Éducation nationale.
En attendant, la fièvre contestataire touche tout le monde en France, et la « Une » du JDD montre la dernière image du Festival de Cannes 68. Une scène de chaos. Louis Malle, François Truffaut, Jean-Luc Godard, Claude Berri, Milos Forman, Roman Polanski et Claude Lelouch ont fait irruption dans le Palais pour informer le public que le Festival est clos. Godard : « Nous n’en sortirons que par la force des Esquimaux Gervais. » Truffaut : « Tout ce qui est un peu digne ou important s’arrête en France. Je propose donc que nous arrêtions Cannes pour réunir les états généraux du cinéma français. » La fête aura duré huit jours et le bilan est catastrophique : un festival sans palmarès, un marché stoppé, et des films privés de carrière mondiale. Au même moment, Claude Nougaro, sous le coup de l’émotion, écrit : Paris mai, et la chanson est immédiatement interdite de diffusion avant de devenir un classique incontournable de l’artiste
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